Star et starlette

Date 29-05-2014 17:43:21 | Catégorie : Nouvelles confirmées


Star et starlette

Diana est dos à l’un des pylônes du pont Jacques-Cartier. Face au vide, son équilibre est précaire car les violentes rafales de vent canadien la font vaciller. Ses yeux sont rougis par les larmes qui coulent le long de son joli minois aux traits fins. Sa chevelure brune flotte comme le drapeau à la feuille d’érable.

Comment en est-elle arrivée là, à deux doigts de se jeter dans les flots sauvages du Saint-Laurent ? Elle se remémore la première fois où elle l’avait vu, lui, l’homme de sa vie, celui dont elle rêvait étant petite, qui viendrait la tirer de sa condition médiocre pour l’amener dans son magnifique château. Elle connaissait sur le bout des doigts tous les contes mettant en scène un Prince Charmant.

Lorsqu’il y eut ce casting pour un remake de « Blanche-Neige », elle s’était inscrite. N’ayant aucune expérience professionnelle autre que celle d’aide-comptable dans une société qui avait fait faillite et de serveuse de fastfood, elle fut finalement retenue comme figurante. Et c’est sur le plateau de tournage qu’elle l’avait croisé, David, le beau et célèbre David.

À force de lui faire les yeux doux dès qu’il passait à proximité, elle parvint à attirer son attention et même plus. Et, en peu de temps, elle se retrouva à son bras pour la projection de la première du film. Elle lui devint vite aussi indéfectible que sa grosse chaîne en or à la médaille surdimensionnée représentant un D stylisé.

Le conte de fées commença pour Diana. Elle aimait parader dans la Cadillac cabriolet de couleur dorée, arborant des lunettes de soleil et des boucles d’oreilles de taille XXL, à l’opposé de sa jupe à lamelles argentées très mini. Le couple très glamour s’affichait avec plaisir dans les boîtes de nuit jet set, restaurants chics et toutes les fêtes privées organisées par les gens les plus en vue du moment. Ils y croisaient des rappeurs avec trois bagues à chaque doigt, des bijoux clinquants et des vêtements trop larges à strass, ainsi que des actrices ou chanteuses aux mèches teintées aux couleurs de l’arc-en-ciel.

L’amoureux ne regardait pas à la dépense pour plaire à sa belle. Pour son anniversaire, il n’a pas hésité à louer l’un des châteaux de la Loire à coups de liasses de dollars. Ce dernier fut décoré par Jeffrey Beers en personne et la soirée finit avec un feu d’artifice digne d’un quatorze juillet sur les Champs-Elisées. La cave était garnie de bouteilles de champagne millésimé et de vins hors de prix, servis à toute heure du jour par le personnel de maison aux petits soins. Il est même arrivé à David de tremper ses biscottes dans un Mouton Rothschild 1986. Diana émit un jour son désir de manger une vraie raclette suisse. Qu’à cela ne tienne, David prit son jet privé, qui arborait son portrait sur le nez, pour aller en acheter directement à Lausanne. Il a fait un arrêt également au Havre pour y prendre une délicieuse baguette française et enfin à Brighton pour en ramener du vrai thé. Diana prit des cours privés de théâtre et de comédie, financés généreusement par son cher et tendre mécène.

La jolie jeune femme attisait les jalousies des groupies qui assaillaient David à la sortie du salon Dessanges, du magasin Gucci ou Burberry. Pendant que son bel Apollon au corps parfaitement musclé et bronzé enregistrait film sur film, passant d’un rôle de dur au cœur tendre à prisonnier rebelle, Diana tentait sa chance dans des castings aussi divers que variés.

Mais, sans qu’elle en comprenne la raison, David commença à devenir distant. Afin de raviver la flamme devenue veilleuse, Diana n’hésita pas à utiliser la carte Gold pour dévaliser toutes les boutiques de lingerie fine de Rodeo Drive. Elle fit installer une barre de pool dance dans le salon et s’entraîna de manière intensive pendant une semaine avec un coach personnel.

David revenait d’un tournage en Asie après plusieurs semaines d’absence. Diana était prête, le corps légèrement huilé afin de mettre en valeur sa belle peau basanée au grain parfait, mis en évidence dans un string doré. L’homme pénétra dans le salon et une musique très sensuelle se mit en route. La jeune femme commença son spectacle. Elle exécuta les figures apprises de façon très évocatrice. Ses cheveux détachés lui donnaient un air sauvageon et ses lèvres entrouvertes invitaient au baiser.

Elle finit par se pendre au cou de son amoureux, espéré transi. Ce dernier lui adressa un sourire gêné.

« Ça t’a plu mon amour ?
– C’était… inattendu ! En tout cas, tu peux envisager sérieusement une carrière dans un cabaret.
– Non, je me réserve pour toi uniquement ! Viens dans la chambre mon étalon !
– Ecoute, je suis en jet lag total ! De toute façon, j’ai quelqu’un d’autre dans ma vie. Elle arrive demain alors si tu pouvais faire tes valises rapidement ! »

D’abord sous le choc, Diana tenta une discussion qui s’avéra totalement stérile. Diana monta alors faire ses bagages et partit immédiatement chez sa meilleure amie Brenda, installée au Québec.

Pendant plusieurs jours, l’éconduite ne cessa de pleurer, prostrée dans son lit, jusqu’à la réception de cette lettre, décisive, celle qui fit basculer son destin.

Voilà comment elle en est arrivée là, dos au pylône, face au fleuve déchaîné qui se propose d’engloutir tous ses problèmes en même temps que son corps frêle et tremblant. Quelques instants de flottement et d’hésitation, Diana étend les bras en croix, ferme les yeux et se laisse tomber. Une décharge d’adrénaline se propage dans ses veines. Soudain, une voix se met à crier « Coupez ! Elle est dans la boîte ! »




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