Conversation à trois mains

Date 01-06-2014 10:01:46 | Catégorie : Nouvelles confirmées


Voici mon texte en réponse au défi de Kalimera : http://www.loree-des-reves.com/module ... hp?topic_id=2339&forum=21

Conversation à trois mains

«J’en ai marre de cette vie ! ». Voici la phrase que Claire hurle à l’attention de sa mère, qui lui demande de ranger un peu le capharnaüm qui règne dans sa chambre, avant de courir se réfugier sous sa couette. Les larmes au goût salé inondent son visage d’adolescente un peu replète, faisant couler le mascara sombre qui souligne ses yeux noisette, et mouillant son oreiller orné de têtes de mort. Ce n’est pas la première fois que des sentiments de ce genre venaient la hanter : un mélange de ras-le-bol, de tristesse et de profonde solitude.

Depuis la rentrée plus rien ne va. Suite au déménagement de la famille à plusieurs centaines de kilomètres de la ville natale de Claire, et ce, en raison d’une mutation de son père, elle a dû changer d’école. La jeune fille a adopté depuis trois ans le look gothique et a l’impression de faire un peu tache parmi les jupes colorées et les T-shirts à paillettes des autres élèves. Elle se sent rejetée, même par les profs qui ne l’interrogent jamais. C’est un peu la fille invisible, celle qui n’intéresse personne car elle n’existe même pas.

Ses parents ont bien tenté de la convaincre de changer de garde-robe pour tenter de s’intégrer. Mais ces vêtements sombres, ce maquillage à outrance et ses accessoires voyants sont sa façon de se démarquer. Ils reflètent aussi sa personnalité sombre, terne, presque en deuil permanent. Porter des manches longues, même en été, permet aussi de masquer l’horrible cicatrice qui lui barre le bras droit, partant du poignet jusqu’au coude. Ses parents lui ont raconté qu’elle avait fait une terrible chute dans les escaliers à l’âge d’un an.

Claire tourneboule dans son lit. Il y a tellement de rage en elle. Comment exorciser cette tempête intérieure qui la tourmente de plus en plus ? Ecrire. Elle a lu un article qui évoquait les bienfaits de se confier à une page blanche. Mais Claire déteste écrire. Nous sommes au vingt-et-unième siècle, fini le papier, vive le numérique.

La jeune fille allume l’ordinateur portable qui trône sur son bureau, pose ses mains sur le clavier et observe la feuille blanche virtuelle qui lui fait face.

« Ça y est ! Je sais ce que ressent un auteur en mal d’inspiration maintenant, pense-t-elle. »

Après une longue hésitation, Claire commence à taper les premières phrases qui lui viennent à l’esprit.

J’en né trop marre de cette vie de merde. Je ces pu qui que je suis.

Là, les mots s’effacent et sont remplacés par :

J’en ai assez de cette existence. Je ne sais plus qui je suis.

Elle continue :

Raz-le-cul de ses profs qui me snobent et les autres qui pète plus au que leur cul.

De nouveau, le texte disparaît avant de réapparaître sous la forme :

Ras-le-bol de ces professeurs qui m’ignorent et ces élèves qui se croient supérieurs.

« Ce traitement de texte est puissant tout de même ! Mais il n’aime pas mon style, pense Claire. »

Là, une phrase s’écrit toute seule :

Personnellement, je préfère les phrases en bon français.

« Hé ! s’exclame Claire. On dirait que quelqu’un me parle par l’ordi. Je rêve ou bien ? »

Non, je m’adresse à toi Claire !

« Qui t’es ? »

On dit : qui es-tu ? Je suis Clara.

« Je connais pas de Clara et comment tu me parles sans le tchat ? »

Je suis ta sœur jumelle, morte à la naissance. Nous étions siamoise, reliée par le bras droit.

Claire remonte la manche droite de son pull noir à grosses mailles et observe sa fameuse cicatrice.

Je peux communiquer avec toi car je contrôle encore ta main droite.

La jeune fille remarque alors que sa main court toute seule sur le clavier sans recevoir de quelconques instructions de son cerveau.

Pendant de longues minutes, elle converse avec sa sœur. Celle-ci ne l’a pas contactée avant car elle n’en voyait pas l’utilité. Mais elle a ressenti toute la détresse et la solitude sa sœur et il fallait qu’elle se manifeste pour lui dire qu’elle n’était jamais seule. Claire finit par descendre à la rencontre de ses parents, assis dans la cuisine.

« Pourquoi vous ne m’avez jamais dit que j’avais une sœur jumelle siamoise ? »

Le couple se jette un regard étonné et gêné. La mère de famille s’approche de sa fille.

« C’était trop difficile pour nous de t’en parler car cela réveillait des souvenirs trop douloureux. Mais comment l’as-tu découvert ? Tu as fouillé ma table de nuit ?
- Elle vient de communiquer avec moi grâce à au PC. Venez ! »

Sur ce, toute la famille se rend à l’étage, dans la chambre de l’adolescente. Celle-ci se pose devant l’écran, la main droite sur le clavier, quand un message s’écrit :

Bonjour Maman et Papa. C’est Clara. Vous me manquez tant.

Maman fond en larmes et se réfugie dans les bras de son mari qui se fâche :

« Claire, c’est toi qui écris ! Ta blague n’a rien de drôle, c’est cruel ! Tu fais du mal à ta mère.
– Non, ce n’est pas moi. Je te jure ! Je ne contrôle pas ma main droite lorsque Clara s’exprime. D’ailleurs comment aurais-je pu deviner son prénom ?
– Tu as raison. Mais… c’est incroyable ! »

Depuis ce jour, Claire ne s’est plus jamais sentie seule. Il lui suffit d’avoir une feuille et un stylo ou un PC pour échanger avec sa sœur Clara. Cette dernière lui est d’un grand secours au cours de français. Elle est enfin redevenue une jeune fille brillante et souriante, malgré son look gothique dont elle ne se dépare pas.

Le soir, elle jette un regard vers la photo posée sur sa table de chevet, celle qui était cachée toutes ces années à l’abri de son regard, unique souvenir de sa jumelle. Juste avant qu’elle ne glisse dans le sommeil, sa main droite vient doucement caresser ses cheveux.




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