Chroniques d'un Enfant des Ages Obscurs, Chapitre Un a Cinq, Pages 30 à 33

Date 05-06-2014 10:37:21 | Catégorie : Nouvelles confirmées


J’ai alors avoué à mon invité que c’est pour cela que les différentes chambres de l’appartement se sont progressivement métamorphosées en bibliothèques. Les lits et autres meubles destinés au quotidien ne sont pas ensevelis sous les livres, les opuscules, les parchemins ou les textes que j’y accumule. Ce n’en n’est pas loin malgré tout. Mais des milliers d’ouvrages y sont entreposés. A tel point que les fenêtres qui les éclairaient autrefois ont été condamnés, et que des dizaines d’étagères les obstruent. Dans l’une, ce sont les récits des explorateurs du XVIème siècle qui les parsèment. Aux cotés des œuvres complètes de Jules Verne, j’ai aligné deux originaux rédigés de la propre main de Christophe Colomb au retour de son second voyage vers les Amériques. J’ai décoré un élément mural uniquement consacré au Manuscrit de Voynich. J’ai installé à ses cotés des feuillets montrant différents diagrammes censés ouvrir des « portes ». Ses ultimes Mots ne disent t-ils pas ceci : « Tu m’as aidé à franchir de nombreux Seuils. ».
Quand j’ai évoqué le nom cet ouvrage Mythique considéré comme perdu, le visage d’Aÿcart a pris un teint verdâtre : « Vous êtes… vous êtes sûr qu’il ne s’agit pas d’un faux ; que ce n’est pas une pale copie. Vous savez que la rumeur prétend que le dernier de ses exemplaires a été détruit dans l’incendie de la demeure du comte de Saint-Germain dans les années 1780 ; c’était un ou deux ans avant le début de la Révolution Française il me semble… 
- Oui, je suis au courant, ai-je rétorqué, progressant toujours plus avant dans le couloir. Mais je peux vous assurer que ce n’en n’est pas un. Je n’ai évidemment pas le droit de vous expliquer de quelle manière je me le suis procuré. Puis, de toute façon, ce serait une histoire trop longue à résumer en quelques mots…
- Incroyable, a marmonné Aÿcart. Comment est ce possible… ».
Je ne me suis pas étendu sur le sujet. Il y a des informations qui, lui comme moi le savons, ne doivent pas être dévoilées. Il en va parfois de notre vie. En tant que Frère, il a très bien compris que nous évoquions des Secrets susceptibles de nous mettre en danger tous les deux. Et je suppose d’ailleurs que, lui aussi, détiens des renseignements dans tel ou tel domaine qu’il lui est interdit de partager.
Puis, nous nous sommes éloignés. Afin de le distraire, je lui ai alors détaillé une autre des chambres inoccupées. Je lui ai dit que cette dernière protégeait surtout des traités occultes aisément disponibles par des Initiés tels que nous ; mais introuvables pour le commun des mortels. Il est vrai que les Frères et les Sœurs du Sanctuaire ont des réseaux leur permettant d’y accéder ou de les étudier. Ils ne sont pas les seuls, puisque Franc-maçon, Rosicruciens, ou Veilleurs de l’Apocalypse les arpentent également. J’ai parlé à Aÿcart du Gemma Magia, du Dei Occulta Philosophia, du Malleus Maleficarum, plus connu sous le nom de « Marteau des Sorcières, et traitant des Lamies, et autres Succubes et Incubes. Je lui ai également parlé du Rameau d’Or. Et nous avons devisé un instant sur la pertinence de ses conclusions, selon lesquelles Moïse aurait usé de Vocables rattachés à l’Art pour libérer les Hébreux d’Égypte. Aÿcart a soutenu que la seule possibilité pour ce Prophète d’avoir fendu la Mer Rouge en deux, et d’avoir ainsi protégé le Peuple d’Israël de la colère de Pharaon, ça a été de faire appel à l’Art. Je lui ai rétorqué que c’était plausible, mais que d’autres hypothèses l’étaient tout autant.
Au passage, Aÿcart a frôlé de ses doigts les étagères qui longent le couloir. Elles s’y étalent de loin en loin. Réparties de chaque coté, elles encadrent ses parois. Il n’y a qu’un seul endroit où elles n’y paraissent pas : là où le cadre montrant une peinture que j’ai moi même réalisée onze mois plus tôt. Représentant la place forte de Vannes à l’Automne 1342, s’y discernent Gautier de Mauny et Robert III d’Artois parés de leurs armures aux ciselures étincelantes et de leurs capes vermeilles. Il n’y a que leurs heaumes qui les différencient : l’un a coincé le sien sous son bras ; il est cabossé et le dragon aux yeux d’émeraude et aux écailles flamboyantes enroulé sur lui même est fendu en deux. Une de ses ailes n’existe plus. L’autre en est toujours harnaché ; il luit d’un éclat bleuté, et le loup rugissant qui le surplombe semble déterminé à déchiqueter l’imprudent passant à portée de ses crocs affûtés. Gautier de Mauny et Robert III d’Artois sont accompagnés de 10 000 hommes d’armes. Ils sont en train d’assiéger la citadelle. Sur les remparts de cette dernière apparaît Olivier IV de Clisson donnant des ordres aux défenseurs afin de se préparer à repousser les prochains assauts des assiégeants. Olivier de Clisson sait qu’ils seront portés le lendemain matin. Mais, pour l’instant, il ne fait que désigner les emplacements où ils doivent se tenir à ses fidèles. Au dessus d’eux, le ciel est ombrageux ; le crépuscule assombrit progressivement le firmament. Au loin, des nuages noirs s’amassent et des éclairs en surgissent ; ils s’abattent sur la forêt et les champs alentours. D’ailleurs, un incendie commence à se propager au cœur de l’un d’entre eux.
De leur coté, ni Gautier de Mauny ni Robert III d’Artois ne se préoccupent du feu qui s’étend en direction des hameaux alentours. Non, ce qui capte leur regard, ce sont les milliers de soldats campant devant trois des quatre murs d’enceinte. Des foyers illuminent leurs faces et leurs vêtements rouges et noirs défraîchis. Soudards, mercenaires, anciens brigands se pressent autour d’eux. Des fanions montrant les trois Lions dorés sur fond pourpre en lambeaux se dressent au sommet des collines surplombant leurs campements. Des lances, des boucliers, des épées s’amoncellent aux cotés des victuailles et des ribaudes attendant d’être consommées. Nombre de guerriers tuent le temps en aiguisant leurs lames, en jouant aux dés, en s’abreuvant de vin d’Arbois ou du Béarn. Ailleurs, des groupes se forment et fixent les parois rocailleuses de Vannes. Ils songent certainement que c’est la troisième fois depuis moins d’un an qu’ils essayent de faire plier cette cité afin de l’offrir aux Anglais. Ils sont impatients de voir William Montagu, le célèbre comte de Salisbury, les rejoindre. Il sera là dans quelques heures, ils en sont certains. Cette conviction se lit dans les yeux de Gautier de Mauny et de Robert III d’Artois.
Une effervescence incroyable règne partout. En haut des murailles, la fresque montre parfaitement le désarroi et l’inquiétude des partisans de Philippe VI de France. A ses pieds, elle restitue fidèlement la fierté et le contentement des affidés a d’Édouard III d’Angleterre. La peinture exhibe leurs figures se réjouissant déjà de la prise de la ville et du butin dont ils vont pouvoir s’emparer.
Je ne sais pas pourquoi j’ai reproduit cette fresque dantesque. D’habitude, lorsque j’ai des visions, j’en rédige un descriptif dans l’un des nombreux cahiers que je destine à celles-ci. Je suppose que, comme les autres, il s’agit de réminiscences d’épisodes de l’une de mes vies antérieures métamorphosées en cauchemars. Mais, pour quelle raison cette fois-ci, mes doigts ont été attirés vers un pinceau plutôt que vers une plume ? Je crois qu’il ne faut pas chercher à comprendre. Tout ce que je peux dire, c’est qu’Elisandre m’a avoué avoir ressenti un froid glacial en provenir. D’après ses affirmations, cela s’est produit près d’une demi-douzaine de fois : un blizzard polaire s’en serait subitement échappé ; il aurait envahi les deux ou trois mètres qui l’entouraient. Une sorte de sifflement lugubre se serait mêlé à l’appel d’air provoqué par ce changement brutal de température. Et il n’aurait duré qu’une ou deux secondes, avant que tout ne redevienne normal.
J’avoue qu’au début, je n’y ai pas cru. Je l’ai soupçonné de s’adonner à la boisson ou à la drogue. J’ai aussi pensé qu’il était malade et qu’il avait des hallucinations. Et j’ai appelé mon médecin traitant afin de lui faire subir une multitude d’analyses. Or, ces dernières ne révélant aucune particularité concernant son état mental ou physique, il a bien fallu que je me résolve à le croire. Malheureusement, je n’ai aucune explication à donner à ce phénomène.
En tout cas, le jour où j’ai conduit Aÿcart jusqu'à mon bureau, il ne s’est rien passé de particulier. Mon invité n’a même pas jeté un œil en direction de la fresque. Elisandre, lui, l’a jaugé de loin, s’attendant à ce qu’un ectoplasme bondisse sur Aÿcart ou sur lui. J’ai remarqué que des gouttes de sueur perlaient de son front à l’instant où nous avons circulé devant. Je suppose qu’il s’est attendu à ce que mon hôte y devine l’existence de formes draconiques spectrales. Or, cela n’a pas été le cas.
Aÿcart a été davantage attiré par les lignées d’étagères s’en éloignant. Des yeux, il a déchiffré les titres des ouvrages qui y étaient rangés. Il a été étonné de voir qu’il ne s’agissait pas des livres consacrés à l’Ésotérisme ou à l’Occultisme. C’est vrai que sur ces dernières, j’entasse les romans dont je me délecte entre vingt-trois heures et deux heures du matin, comme je l’ai déjà spécifié. Ils m’aident à m’endormir paisiblement. Ils me permettent d’évacuer la tension accumulée. Ils me font oublier mes manuscrits aux récits, certes captivants, mais exigeants. Ma concentration doit être extrême lorsque je les étudie. Alors, quand je me couche, avant d’éteindre pour me plonger dans un sommeil profond et peuplé de songes tourmentés, je me réfugie environ trois heures dans des textes divertissants.



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