Chroniques d'un Enfant des Ages Obscurs, Chapitre Un a Cinq, Pages 39 à 42

Date 20-06-2014 11:13:49 | Catégorie : Nouvelles confirmées


J’aurai pris grand plaisir à ce qu’Aÿcart ne le contemple. Une fraction de seconde supplémentaire, je me suis vu guidant mon hôte jusqu’à lui. Je me suis imaginé scrutant les traits de son visage. Je suppose que, de la même manière que lorsque je lui ai expliqué que je détiens un exemplaire du Manuscrit de Voynich, son regard se serait voilé. Il l’aurait détaillé, scrutant chacune de ses particularités. Il aurait examiné ses moulures, ses inscriptions latines, grecques ou hébraïques. Il aurait tenté de décrypter les messages codés qu’il laisse apparaître.
Je connais assez Aÿcart pour savoir qu’il n’aurait pas résisté à cette curiosité dont nous sommes tous la proie au sein de la Fraternité. Certains membres sont capables de la dominer, de la dompter, d’autres pas. Aÿcart, comme moi, n’y parvenons pas. Lui comme moi avons un besoin irrépressible de chercher à comprendre ce que nous ignorons. C’est une nécessité ; presque une question de survie intellectuelle. Si nous ne nous y abandonnons pas, c’est comme si nous remettions en cause la solidité de notre santé mentale. Je ne sais pas pour Aÿcart, mais, pour ma part, il m’est plusieurs fois arrivé de ne pas pouvoir assouvir celle-ci. Et durant quelques instants, j’ai cru que je n’y survivrai pas.
Aÿcart se serait approché du piédestal avec humilité. Il aurait jeté un œil vers moi, vers le miroir, puis vers l’armoire. Il aurait observé la porte jouxtant le Reliquaire. C’est celle qui et ouvre sur la cellule d’Elisandre. Lorsque j’y songe, cette dernière me rappelle un peu celle où je dormais au Sanctuaire. A part son matelas encadré par un sommier fissuré, un guéridon, et un buffet sur lequel repose une télévision à écran plat, il n’y a rien. N’ayant aucun gout pour les livres, la simple étagère disposée au-dessus de son lit est entièrement vide. S’y amasse des monceaux de poussière et quelques toiles d’araignées. Car, autant Elisandre est soigneux en ce qui concerne la propreté de l’appartement, autant il n’est pas attentionné envers ce qui lui appartient. Il est toujours impeccablement habillé, possède un maintien digne des meilleurs maîtres d’hôtels de la capitale. Autant, j’ai le sentiment que, quand il se retrouve seul, il ne sait pas organiser son quotidien.
Ensuite, Aÿcart aurait centré son attention sur le piédestal. Il aurait immédiatement reconnu la personne qui l’a fabriqué. Il m’aurait demandé de quelle manière je me le suis approprié. J’entends presque le son de sa voix :
« Je ne me trompe pas. Il s’agit du « Reliquaire d’Yliath le Nécromant.
- En effet, aurais-je répondu, avec une pointe de fierté et d’amusement.
- Je croyais qu’il avait disparu depuis plus de deux-cents ans. Personne n’en n’a plus entendu parler après l’énigmatique disparition de François d’Esquart au début du XIXème siècle. Il me semble que c’était après l’incendie de son domicile. Il parait qu’on n’y a jamais exhumé son corps, alors qu’on en a très aisément sortis ceux de son épouse et de sa servante.
- C’est exact. C’est au cours de cet « accident » que le piédestal aurait été détruit, aurai-je renchérit. Alors, imaginez ma surprise quand j’ai vu qu’il était en vente à Drouot. Je l’ai évidemment acheté tout de suite. Il m’a couté une véritable fortune. Et j’ai craint que sa résurgence ne capte l’attention de Delmocène, puis, d’Aeüs. Heureusement, ils n’en n’ont jamais rien su. Et je préférerai qu’il en demeure ainsi. ».
Aÿcart aurait consenti en effectuant un léger signe de la tète. Puis, il aurait poursuivi : « Si je me souviens des récits à son sujet, Yliath est le pseudonyme de Guilhem Van Haguen. Disciple de Martinez de Pasqually il aurait été, avec lui, à l’origine d’une branche dissidente de la Franc-maçonnerie au milieu du Siècle des Lumières. On dit aussi qu’il se serait adonné à l’Alchimie, Ensemble, ils auraient tenté de découvrir la formule de la Pierre Philosophale. Et on dit encore que le Reliquaire aurait été conçu au cours de leurs expériences. Malheureusement, nul écrit n’évoque leurs pratiques.
- Tout à fait, et je peux même vous révéler ceci, aurai-je rajouté : parmi les Francs-maçons réunis dans la crypte de cet immeuble au cours de la Terreur, l’un d’eux était un Adepte de Pasqually et de Van Haguen. Il se nommait Gaétan Viguier. Il appartenait à l’Ordre des Vrais Chevaliers Maçons Elus fondé par eux. Mais la Confrérie a été dissoute peu après que Cagliostro ait participé ici à l’ultime réunion des Francs-Maçons. Traqués, assassinés, les partisans de Pasqually et de Van Haguen ont été l’objet de rumeurs invraisemblables. La plus tenace d’entre elles expliquant qu’ils se livraient à des messes noires à l’aide de textes tels que « le Dragon Rouge » ou « le Livre des Blasphèmes ». Mais que n’a-t-on pas diffusé comme on-dit sur la Franc-maçonnerie ou sur les spécialistes du Grand Œuvre de cette époque ? ».
Aÿcart aurait consenti. Puis, il aurait approfondi son examen du Reliquaire d’Yliath. Tout comme moi le jour où des livreurs de l’hôtel Drouot l’ont installé à cet endroit, il l’aurait observé attentivement. Il aurait commencé par étudier son trépied. Incrusté de gemmes couleur de nuit, il est taillé à l’intérieur d’un morceau d’ébène monumental. Les sculptures dont il est parsemé évoquent les pentagrammes que les Sorciers élaboraient autrefois. S’y mêlent cercles concentriques, spirales, losanges ou étoiles. S’y agglomèrent filaments écarlates torsadés débutant à sa base, avant de s’étirer dans toutes les directions. Parfois, ils s’y enroulent avant de s’en éloigner brusquement. D’autres fois, ils le pénètrent en profondeur, le creusant. Ailleurs, ils se croisent et se recroisent, dessinant les contours d’un canevas sans queue ni tète. Puis, finalement, ils s’acheminent au cœur des formes torturées qu’ils croisent.
Aÿcart aurait suivi leurs mouvements, leurs méandres improbables. Il aurait essayé de comprendre à quoi ces filaments se référent. « Il est vrai, aurait t’il affirmé, que ce genre de décoration n’est pas un phénomène isolé. Nombre d’ustensiles Alchimiques sont parcourus de symboles Occultes censés démultiplier leurs pouvoirs. ».
J’aurai vivement acquiescé. Des artefacts ressemblant au Reliquaire de Guilhem Van Haguen inondent les couloirs ou les salles d’études du Sanctuaire. Les plus intéressants d’entre eux, les plus rares aussi, appartiennent évidemment à Aeüs et aux plus Hauts Conseillers de notre Confrérie. S’il savait qu’un membre « inférieur » de cette dernière en détenait un de cette qualité, je me demande quelle serait sa réaction.
Ensuite, il aurait suivi ses traits jusqu’au sommet du trépied. Il aurait longé ses veinules jusqu'à ce qu’elles s’évanouissent. Il aurait évalué chacun de ses glyptiques. Ses doigts auraient caressé les nains bossus aux faces bouleversées exaltant ses arceaux. Ses mains auraient frôlé les nymphes aux visages angéliques de ces derniers. Et son regard se serait attardé sur leurs licornes ou leurs chimères.
Mais, ce qui l’aurait surtout étonné, c’est sa Vasque. Elle mesure un mètre cinquante de diamètre. C’est une surface importante, mais qui n’est pas exceptionnelle. Sa profondeur est d’une cinquantaine de centimètres. De quoi contenir un volume considérable. « Yliath le Nécromant a dû y verser des litres de philtres ou de mixtures dont je n’ose même pas imaginer la composition, aurait vraisemblablement murmuré Aÿcart. ». J’aurai, une fois encore, été entièrement d’accord avec lui. Pourtant, ce n’est pas ce qui l’aurait le plus intrigué. Non, ce qui l’aurait décontenancé, ce sont les figures dont les pourtours du récipient sont pourvus.
Ces gravures représentent en effet le Panthalassa, aussi appelé « Archéopangée » ; ou plus simplement, la « Pangée ». Elles évoquent donc une époque remontant à plus de 600 millions d’années. Elles montrent cet immense Continent avant qu’il ne se brise en une douzaine de fragments, et avant qu’ils ne dérivent jusqu'à leurs emplacements actuels. Or, rien que d’imaginer qu’une personne du XVIIIème siècle ait pu les dessiner tels qu’ils existaient à ce moment là est quelque chose d’extraordinaire. Quand on sait que ce n’est qu’à partir de la seconde moitié du XXème siècle que les géographes ont commencé à envisager cette hypothèse, il y a là de quoi se poser des questions. Et encore, à l’heure actuelle, ces savants ne sont pas tous d’accord sur la forme approximative de leurs contours. Certains les situent en plein milieu de l’actuel Océan Pacifique ; d’autres dans les alentours du Pôle Sud ou du Pôle Nord. Alors, que penser de la perception du monde qu’avaient les Occidentaux des années 1750 ? Eux qui n’avaient pas entièrement établi les dimensions exactes des Amériques, il y a de quoi s’interroger ?



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