La ballade du berger Corse

Date 07-05-2012 13:40:00 | Catégorie : Nouvelles


Voici une histoire aussi farfelue qu' authentique. d' ailleurs, toutes mes histoires sont authentiques : Il ne me viendrait pas, maintenant, l' idée d' inventer des souvenirs !



J’ avais vingt ans …
Je me sentais particulièrement heureux, en cette fin d’après-midi; heureux comme on peut l’être à cet âge-là, pour des petits détails qui avaient beaucoup d’ importance, à cette époque: je portais un petit costume italien gris sombre à petits filets argentés, une belle chemise et une cravate de soie que j’ avais achetés sur un grand boulevard parisien , lors de mon dernier voyage, et je filais sur une route de montagne, sur ma vespa, le nez au vent.
La route en lacets, qui montait vers Cauro, me permettait de négocier les virages à grands coups de déhanchements, de gauche à droite et, à chaque contour de montagne, je pouvais ressentir les brusques changements de température dus à l’ exposition de ses flancs.
C’ est alors que j’ aperçus mon berger. C’ était une époque où l’ habit faisait le moine et où un berger était habillé en berger. Celui-là, je ne pouvais pas m’y tromper : pantalon côtelé noir, large ceinture de flanelle rouge, gilet en peau de mouton retournée et chapeau noir à large bord.
Il se tenait prés du bord de la route, face à moi, le bras levé en me présentant la paume de sa main pour m’ inviter à m’ arrêter, l’ air très calme. Je m’ arrêtais à sa hauteur et lui dis: - » je vous emmène? » .
Sans dire un mot, il s’installa derrière moi et posa ses mains sur mes épaules.
- Où vous allez ? Lui demandais-je Il me tapota une épaule et me répondit simplement :
- Roule, petit. Roule
Je repartis vers Cauro sans qu’ il m’ en dise plus.
Au bout de quelques minutes, il me posa cette question saugrenue:
- Dis-moi, petit. Est-ce que tu chantes en Corse ?
Question étonnante à ce stade de nos relations, mais je du convenir que, effectivement, je connaissais quelques chansons, dont «  Pescador dell’ onda « .
- ça ira.. me répondit-il, laconique.
Arrivé à Cauro, il me dit de traverser le village et de prendre la route de Bastellica. Enfin, il me révéla son plan dans lequel il m’ avait trouvé une place, en toute simplicité !
Voilà : il allait rendre une visite impromptue à sa sœur, qu’ il n’ avait pas vu depuis longtemps, et il voulait qu’ on lui fasse une surprise en lui chantant une petite sérénade sous sa fenêtre. L’ idée lui semblait excellente et commençait à le rendre fébrile. Moi, beaucoup moins.
Après quelques kilomètres sur la route de Bastellica, il me dit de tourner à droite, sur un petit chemin de terre rempli d’ ornières. C’ est alors que la pluie se mit à dégringoler, sans préavis et en abondance, comme c’ est souvent le cas en montagne . Et zut ! Mon beau costume italien ! En un instant, ma belle coiffure «  banane «  était collée sur mon front et mon costard était gorgé d’ eau.
Je continuais, lentement, à avancer dans les flaques d’ eau et nous arrivons enfin prés d’ un long hangar, avec une longue porte métallique fermée, en façade, et une petite porte et une fenêtre aux volets clos sur le côté. Le berger, tout excité, s’ approcha silencieusement de la fenêtre et me fit de grands signes de la main pour que je vienne me placer près de lui.
Mais qu’ est-ce que je faisais là, moi ?
- Tu es prêt ? Me chuchota t- il … Prêt à sauter sur mon scooter, oui !
- Allez, on commence: un, deux, trois !
« O pescador dell’ onda , O Frederi
O pescador dell’ onda, O Frederi
Beni’ a pisca più qua
Sulla tua belle barca, la piu bella si ne va
Frederi la la « 
Je me sentais pitoyable, sous cette fenêtre inconnue, avec la pluie qui me coulait dans le cou et mon manque de cœur à chanter . Le volet s’ est enfin écarté lentement et j’ aperçus un visage de femme d’ une trentaine d’ années, teint olivâtre et yeux noirs, qui me regardaient, pleins de méfiance. Aussitôt, elle se mit à engueuler son frère en corse et il parut tout penaud. Puis la porte s’ entrouvrit et elle nous invita à entrer..
La vue de l’ intérieure m’ a interloqué. De longs cordages étaient tendus , soutenant des couvertures qui divisaient le hangar en zones servant de pièces.
J’ avais vu, peu de temps auparavant, la même installation chez une amie Sarde que je raccompagnais chez elle, un soir. Il y avait le même agencement, avec des alvéoles faisant office de chambres qui abritaient sans doute plusieurs familles
Ce hangar-là ressemblait un peu à la caverne d’ Ali Baba: du matériel électro-ménager, des ballots de vêtements neufs, des cartons, des coffres étaient entassés de partout.
On m’ invita à prendre place sur un banc, devant une très longue table en bois épais et des gens apparurent derrière les rideaux, en me détaillant avec curiosité
Pendant que le frère et la sœur continuaient de se disputer,ils amenèrent sur la table des montagnes de lonzus, prizzutus, coppas et figatellis
J’ avais beau répéter que je ne comprenais pas le Corse, personne ne m’ a dit un seul mot en français ce soir-là, sauf le berger, de temps en temps, à l’ occasion de brefs répits avec sa sœur.
J’ ai eu droit au fameux fromage qui ne se mange qu’ avec les vers au cœur du fromage. Ce sont des vers qui ont la particularité de se détendre brusquement et de sauter en l’ air. Bien entendu, il est hors de question de refuser de goûter à un tel délice: j’ en ai mangé en prenant l’ air gourmand du connaisseur qui se régale ;
J’ ai également goûté à tous les vins de toutes les dames-Jeannes que l’ on m’ a présenté: les blancs, les rosés, les rouges, les vins cuits, certains frôlant les 15-16° ! Et puis les cacavelli, les biscuits de pâques, pour faire glisser l’ aqua vita «  maison » , matière première pour lance-flamme.
Le temps passant, il me semblait que je comprenait parfaitement le Corse C’ est alors que l’ on m’ a amené une quantité de montres neuves à expertiser…Je me plais à croire qu’ elles n’ avaient sûrement pas la valeur qu’ elles paraissaient avoir, mais j’ ai donné un avis que je m' efforçais de paraître très autorisé sur la qualité de la marchandise. Je remarquais le sérieux qu’ils avaient tous pendant que je leur donnais des estimations des plus fantaisistes.
La nuit était tombée, il fallait que je rentre à la base.
Avec beaucoup de ménagement, ils m’ ont installé sur ma vespa, m’ ont démarré le moteur et m ont salué joyeusement au moment de mon départ.
Ce n’ était pas la première fois que je redescendais une montagne en ayant les oreilles chaudes.Cette fois encore, j’ étais le spectateur très zen qui regardait les virages défiler à la lueur de mon phare qui n’ arrivait pas à percer les ténèbres des ravins que je frôlais

J’ avais toujours vingt ans, un peu mal à la tête, et mon beau costume Italien pendouillait lamentablement sur ma peau encore humide





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