Paris je reviens

Date 11-07-2014 12:26:48 | Catégorie : Nouvelles


Paris je reviens


Thomas attendait son meilleur ami, Simon, en Gare de Lyon ; ce dernier était censé rejoindre son bataillon dès le lendemain matin pour son service militaire. Thomas s’en voulait de laisser Simon partir douze mois dans une caserne à jouer au petit soldat ; cette contrainte datait d’un autre temps, quand les Français et les Allemands se battaient à Verdun en pleine fin du monde.

Simon descendit du train et chercha Thomas du regard ; quand il vit son copain d’enfance, il se dirigea vers lui d’un pas décidé. Simon se doutait que Thomas avait organisé quelque chose pour son dernier jour avant le grand départ chez les bidasses ; il avait senti, lors de leur dernière conversation téléphonique, que son pote culpabilisait de ne pas l’accompagner pendant cette année de conscription. Pour Simon, cela ne représentait rien d’autre qu’un an de perdu et des souvenirs à raconter à ses futurs enfants ; en cela il était beaucoup plus zen que Thomas.

Thomas révéla une partie du programme puis géra la logistique ; ils déposeraient le paquetage de Simon dans un casier à la gare puis partiraient déjeuner aux Halles avant d’écluser les endroits à la mode. Thomas savait que Simon adorait Paris et qu’il en appréciait chaque pavé ; il souhaitait lui donner un grand bol d’air de la capitale avant qu’il ne s’isole dans le microcosme militaire. Il avait prévu un bouquet final que Simon ne serait pas prêt d’oublier, un moment de la magie parisienne.

Simon ne connaissait pas le petit restaurant où Thomas l’avait invité ; en bon Lyonnais, il était habitué aux bouchons remplis de bourgeois coincés mais pas à ce genre de bar à vins où chacun parlait avec ses voisins. Il n’était pas timide et il ne lui avait pas fallu cinq minutes pour se faire de nouvelles relations ; Thomas l’avait surpris par sa sociabilité, lui d’habitude si exigeant dans les rapports humains, surtout en public. Le repas s’était déroulé dans cette ambiance d’auberge espagnole et ils avaient sympathisé avec la moitié de l’établissement. Il profita du café et des pâtisseries pour poser la question qui trottait dans sa tête depuis son arrivée.
— Alors, quelle est la surprise du jour ?

Thomas faillit recracher le contenu de sa tasse ; il regarda Simon d’un œil noir et ne se décontracta que lorsqu’il comprit que son ami le faisait marcher. Il décida de jouer le jeu.
— Je ne te livrerais que trois mots clé : classe, noir, folie.
— C’est sûr qu’avec ça je vais trouver, protesta Simon.
— Je sais ; la vie est injuste, concéda ironiquement Thomas.
— Est-ce qu’il y a de belles filles ?
— Oui, plein.
— Alors je n’ai plus de questions. Je penserais à ces beautés sauvages quand je serais là-bas au milieu des analphabètes et des brutes épaisses, à manier le fusil et courir au soleil avec trente kilos sur le dos.

Simon n’insista pas sur le sujet ; il désirait avant tout profiter de l’après-midi dans cette belle ville de Paris où il ne s’ennuyait jamais. Il se laissa conduire dans les magasins branchés et les bars à la mode ; il ne se rendit pas compte que leur périple les amenait à marcher sans prendre une seule fois le métro. Simon prit du plaisir à parcourir les grandes rues parisiennes, de la rue de Rivoli à l’Avenue de la Grande Armée ; pour cette raison, il ne s’aperçut de leur destination qu’au dernier moment. Il s’arrêta devant l’Hôtel Méridien de la Porte Maillot et comprit au sourire de Thomas que la suite des événements se tenait dans cet endroit prestigieux.

Thomas se marra quand il vit la tête de son ami ; son plan avait réussi jusque-là et Simon n’avait toujours pas la réponse à sa question. Il décida de l’affranchir progressivement.
— Tu comptes rester la bouche ouverte à gober les mouches ou on rentre ?
— D’accord, je reprends un air intelligent. C’est grand ici ; où suis-je supposé aller ?
— Tu suis les touristes japonais devant nous et tu continues tout droit.
Simon s’exécuta et constata que le chemin l’amenait devant l’entrée d’un bar ; il regarda le panneau d’entrée et lut l’annonce du concert d’un chanteur américain.
— Je ne crois pas qu’on soit autorisé à boire un verre ici, dit il à Thomas.
— Qui te parle d’un verre ?
— Veux-tu dire que nous allons au concert ?
— Un peu mon neveu ; non seulement nous avons les places mais en plus c’est du tout-inclus donc nous pouvons boire et grignoter à volonté.

Trois heures plus tard, Simon était encore en pleine hallucination ; il se trouvait assis à une table dans un bar, en train de déguster des cocktails fruités tout en tapant la causette avec de belles Japonaises peu farouches. Quand il ne dérouillait pas son anglais avec ses voisines, il assistait à un spectacle inoubliable : un grand Noir chantait du rythm-and-blues en tapant sur un piano à queue et en agitant une tête de mort appelée Henry. Il régnait en ces lieux une atmosphère irréelle, entre le vaudou et le cinq étoiles ; Thomas ne semblait pas étonné le moins du monde et, plus bizarre, il continuait à socialiser avec les gens.
Le chanteur procéda à deux rappels puis clôtura le concert. Simon regarda sa montre et constata qu’il était déjà trois heures du matin ; il demanda à Thomas s’il y avait une suite.
— Bien sûr qu’il y a de quoi faire d’ici ton départ pour le stalag, répondit son ami.
— Plus précisément, qu’as-tu prévu ?
— On boit encore des verres avec nos nouvelles amies de Tokyo jusqu’à la fermeture du bar et ensuite on décolle.
— Je vais être bourré.
— Elles aussi, moi aussi, le barman et tous tes camarades de train également. Paris sera peuplé d’éléphants roses et ils t’accompagneront dans tes souvenirs sucrés de cette dernière soirée en tant qu’homme libre.
Sur ces bons mots, Thomas prit sa chaise et s’incrusta à la table des touristes japonaises et leur sortit une de ces réparties dont il avait le secret et qu’il utilisait toujours quand il voulait arriver à ses fins.
« Paris, je reviendrais. » se dit Simon en rejoignant la troupe de buveurs de cocktails.



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