God save the U.S. Navy....

Date 08-05-2012 11:36:54 | Catégorie : Nouvelles


GOD SAVE THE US NAVY :

Noël 1962 .En ce temps-là, la marine dorlotait vraiment ses marins, à table. Il y avait une quantité d’ aliments que je n’ avais jamais goûté auparavant , et les jours de fêtes, nous étions vraiment gâtés.
Aussi, lorsqu’ on nous a appris que le navire US , qui se trouvait à quai sur le port d’ Ajaccio, allait nous envoyer une trentaine de marins pour faire le réveillon avec nous, nos exigences ont été sans limites.
Deux longues tables on été dressées dans le réfectoire et, pour la circonstance, la belle vaisselle de la Marine Nationale a été sortie. Ce n’ est peut-être pas très connu, mais la Marine a de sacrés vaisseliers !
Les plus délicats d’ entre nous ( il y en a toujours deux ou trois ) se sont chargés de la décoration de table, sous les sifflets , mais on les a quand même laissé arranger leurs fleurs.
Pour la décoration de la pièce, facile ! L’ Aéronavale, sachant utiliser au mieux ses vols de formation, avait prévu, juste à propos, d’ en orienter quelques uns vers Venise ( vins cuits ), Malte ( alcools divers ) et Gibraltar ( essentiellement whiskies ). Les vins locaux ayant été testés depuis longtemps, quelques voyages en camionnettes avaient réglé l’ affaire. Quant aux caisses de champagne amoncelées dans un coin, nous ne savions jamais bien quelle était sa provenance. Le fait est qu’ elles fleurissaient à la moindre festivité. Et le marin festoie beaucoup.
. Il se faisait que mes connaissances scolaires d 'anglais, fortement étayées par une formation volontaire et enthousiaste dans les bars américains du Havre, ont contribué a ce que je sois désigné pour m’ occuper de la réception . En tenant compte, également ,de mes compétences reconnues pour l’ animation hors piste…
Tout étant bien prêt pour la soirée mondaine, je montais donc jusqu’ à l’ aubette pour attendre le car qui était déjà parti chercher nos invités…

Il m’ arrive souvent de penser que, probablement quelque part, aux fin fonds de la Californie ou de l’ Alaska , un vieux marin raconte son épopée de la noël 1962, avec ces’ bloody f…. frog -eaters’ , et je le comprend…

Quand le car est arrivé, j’ ai d’ abord aperçu une trentaine de mannequins figés qui ne bougeaient pas, ne souriaient pas, mais ne pleuraient pas; on avait dû sélectionner les plus coriaces. Je les ai accueillis à leur descente du car, en me présentant . Ils m’ ont serré la main l’ un après l’ autre et, aussitôt, se sont rassemblés en un groupe compact. J’ avais l’ impression qu’ ils cherchaient à se rassurer mutuellement.
Bon….J’ ai demandé quels étaient ceux qui parlaient un peu Français . Ils ont poussé l’ un d’ eux hors de leur pack, comme si c’ était lui qui était désigné pour le sacrifice.
‘ Sifflé ‘, il s’ appelait. Avec l’ accent sur le E ça, je l’ ai appris un peu plus tard.
Je lui ai posé une question en français . Il est devenu rouge écarlate et m’ a fait sa réponse.
Je connaissais l’ anglais- yaourt : je l’ avais pratiqué. Mais le français-beurre de cacahuète, j’ avais jamais entendu encore ! Je l’ ai fait répété plusieurs fois, pour le cas où il emploierait un accent que j’ ignorais à ce jour Ses copains , qui avaient sûrement des doutes depuis longtemps, se sont mis à gronder de colère et à l’ insulter. C’ est toujours enrichissant, les contacts humains : il y avait une tapée de mots grossiers que j’ ignorais totalement .
Je mis fin à son supplice en demandant qui était responsable du groupe. Il y en a un qui a avoué…
Quand j’ ai voulu les emmener vers le réfectoire, j’ ai bien vu que je venais de faire une erreur dans le rituel . Quoi ? Aller bouffer avant la messe ? Ça, on ne m’ avait pas prévenu que notre aumônier mettait une parenthèse à sa biture pour leur servir une messe.
C’ est ainsi que, pour la première fois de ma vie, j’ ai suivi, le dos au mur extérieur de l’ aumônerie, ma première messe de minuit..
Je ne pourrais même pas dire que la foi les transfigurait, quand ils ont repassé la porte !
Ils m’ ont suivi, têtes basses, jusqu’ au réfectoire où ils ont été accueillis par une petite foule en délire. D’ un coup d’ œil entraîné, j’ ai vite remarqué que nos réserves ne l’ étaient plus, réservées: la communauté les avait allègrement écornées !
Comme prévu, je les disposais , assis en alternance avec un français.
Première tournée d’ apéro: pas un ricain ne touche à son verre.. ni à la deuxième, ni la troisième, après, j’ ai cessé de vérifier. Bon, on attaque le repas . Ils mangent .
Finalement, nous nous sommes totalement désintéressés d’ eux et avons fait comme à l’ accoutumée.
Vous connaissez tous la petite cérémonie qui consiste à remplir le verre d’ un participant pour qu’ il le boive selon un rite ? Les américains, eux, ne le connaissaient pas .
On a commencé.: un des nôtres s’ est levé avec son verre plein et respecta le protocole chanté :
- « Ami Bernard, ami Bernard, lève ton verreu, et surtout, ne le renverse pas ! Et porte-le au mentibus, au frontibus, au nasibus, à l’aquarium , et glou et glou et glou « …jusqu’ à ce que le verre soit vidé. Après quoi, on entonne :
- « Il est des nô-otres, il a bu son verre comme les au-autres, c’ est un ivro-ogneu ça se voit rien qu’ en r’ gardant sa tro-ogneu ! «
Et on passe au suivant .
Non non ! Stop !
Figurez-vous que nos invités sont en train de se marrer comme des baleines !
O opportunité, quand on te tient !
Je sais réagir vite .
- « What’s your name ? «
- « Freddy «
- « Ami Freddy, ami Freddy ……. «
En moins d’ une demie-heure, ils étaient tous ronds comme des queues de pelles ! Ils se fichaient totalement de la petite chanson, après la première surprise passée. Ils se levaient en rigolant fort, et ils s’ envoyaient le contenu de leurs verres d’ un seul coup de coude .
Les américains soûls sont ingérables .Ils ont pris le contrôle de la rigolade en envoyant contre les murs des bouteilles pas toujours vides!
J’ ai profité de l’éphémère entente cordiale pour questionner leur responsable, et il m’ a expliqué :

Leur ‘ old man’ , l’ équivalent de notre pacha, à nous, avait sélectionné , d’ autorité, une trentaine de ‘ volontaires’ pour cette mission humanitaire chez les mal-élevés.
Avant de les sacrifier, il les avait réuni pour les informer que celui qui rejoindrait le bord , après minuit, en sentant autre chose que la naphtaline, se retrouverait en fond de cale où on l’ oublierait, jusqu’ au retour vers une prison de la mère- patrie.
A mon avis, ils étaient mal barrés…
Et puis, il m’ a sorti , timidement un petit fascicule bleu-blanc-rouge, sur lequel était écrit : ‘ The French Navy ‘ Je l’ ai feuilleté, c’ était édifiant . Il y avait, entre autre, tout un chapitre qui traitait du vin rouge du marin français, en précisant que vers le 17éme siècle, je crois, un équipage français s’ était mutiné parce que le navire manquait de pinard ! Texto .
Pour l’ heure, le problème était plutôt de leur côté.
Mais, fichus pour fichus, autant qu’ ils en profitent. Ils adoptèrent notre philosophie et nous ont suivi dans nos piaules où, délicats que nous étions !, nous avions préparé notre fameux lait de tigre, harmonieusement disposé au centre d’ une corolle de bouteilles de vodkas, de rhums, de whiskies, avec les inévitables petits amuse-gueule pour les accompagner . Hein ! Ils savent recevoir , les frenchies !


Je vous averti : la fin n’ est vraiment pas un ‘ happy end ‘ mais faites un effort pour terminer

Il devait bien être deux heures du matin quand j’ ai réalisé qu’il serait peut-être temps de les ramener à leur passerelle . Mais comment les faire monter dans le car ? Ils étaient tous allongés sur le sol ou sur des lits et certains avaient commencé leur nuit.
Après réflexion, j'ai fait venir un camion-benne, bâché, avec des bancs.
On se les est coltiné en les tenant par les bras et par les pieds et on les à chargés, le mieux possible , dans le camion. Le maximum d’ entre nous les ont accompagnés jusqu’à la passerelle de leur navire .
En haut de la coupée, cinq ou six officiers attendaient, sûrement prévenus de notre arrivée par nos chants pas très religieux qui perçaient le calme de cette douce nuit.
Fallait opérer le transfert… Le camion a levé doucement sa benne, pas trop, comme le préconisaient certains malveillants, et nous avons fait de notre mieux, je vous l’ assure, pour qu’ils puissent glisser jusqu’ au sol sans chuter.
Je pense que c’ est plus la vue du comité d’ accueil que l’air frais de la nuit qui les a un peu dégrisés.
Tous avaient perdu leur bob. ( perdu ? Mon œil ! ). Certains n’ avait plus de vareuses.
Ils sont montés vers la coupée en se supportant l’ un et l’ autre et chacun, arrivé devant les officiers, s’ est figé, le temps d’ un salut irréprochable.
Puis ils sont partis vers leur destin …

Le lendemain midi, il était prévu qu’ un groupe de chez nous aille déjeuner sur leur navire. J’ y suis allé, avec quelques vieux quartiers-maîtres chefs qui se figuraient, naïvement, n’ ayant pas pris part aux réjouissances de la veille, qu’ ils seraient accueillis à bras ouverts. Personne n’ a eu l’ air de nous voir . A ma demande, un matelot m’ a révélé, à voix basse, que les volontaires de la nuit étaient tous en fond de cale .

Nous nous sommes fait toisés avec mépris, en partant, tandis que nos vieux quartiers maîtres gueulaient comme des putois parce que le repas, frugal, leur avait été servi avec du café OU du thé .
Comme ils disaient : nous, nous traitions mieux nos invités…























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