Réflexion sur la poésie engagée

Date 24-08-2014 10:18:54 | Catégorie : Essais


Une des fonctions de la littérature est de s'engager dans les affaires de son temps et de mener des luttes pour essayer de faire changer le monde. Souvenez vous donc de Voltaire, prenant parti pour Calas; souvenez vous de Zola défendant avec ardeur Dreyfus. La forme la plus fréquemment employée est l'essai... Souvent support du lyrisme, recherche esthétique, la poésie peut pourtant être choisie par un écrivain pour exprimer son opinion et mener un combat. Alors une question se pose : “ La poésie engagée est-elle efficace ? Parvient-elle à ses buts ? ”.

Dans un premier temps, j'évoquerai ces relatives faiblesses dans l'argumentation; pour ensuite mettre en exergue ses atouts majeurs.

Certes, lorsqu'il s'agit de défendre des idées, la poésie ne semble pas, à première vue, le meilleur support à choisir. Les caractéristiques du genre poétique paraissent le rendre peu apte à débattre, à convaincre. En effet, la poésie parle d'abord et avant tout à la sensibilité, non à la raison, à laquelle s'adresse toute argumentation. A mon avis, elle crée plus une impression qu'elle ne fait appel à la compréhension. Elle agit grâce au pouvoir charmeur et évocateur des mots. J'y vois là l'image d'une distillation. Peut-être est-ce dû au fait que je serai en Terminale scientifique cette année ? La vie et l'expérience du poète sont comme des essences, qui grâce à l'écriture poétique, sont transfigurées en un parfum pur. Gide, dans la préface de son Anthologie de la poésie française, assimile le poète à un “magicien” et donne comme objectif à la poésie “ d'amener son lecteur à être ému ”. “Mélancholia” de Victor Hugo qui dénonce le travail des enfants, en développant abondamment le champ lexical de la souffrance, en insistant sur l'innocence et le jeune âge des enfants et en faisant entendre leurs paroles adressées à Dieu, joue sur le pathétique plus qu'il n'argumente de façon claire et construite. Le poète fait ressentir l'idée, plus qu'il ne l'explique.
D'ailleurs, il ne semble pas que ce soit l'idée qui doive primer dans un poème. Un jour que Degas, un peintre, se plaignait : “ Je ne parviens pas à écrire, ce ne sont pourtant pas les idées qui me manquent ”, Mallarmé lui répondit : “ Mais, Degas, ce n'est point avec des idées qu' on fait des poèmes mais des mots ”. Par cette fine réplique, Mallarmé essayait de montrer le danger que court la poésie quand elle privilégie les idées, quand elle devient un raisonnement en vers.
Théophile Gautier, le tenant de “ l'art pour l'art ”, rappelle que le but de la poésie est avant tout esthétique, et que servir une cause ne peut que nuire à la recherche de la beauté. D'après lui, le poème doit rester éloigné de tout but utilitaire. Ce Parnassien n' affirme-t-il pas dans la Préface à Mademoiselle de Maupin, que “ tout ce qui est utile est laid ” ? Il semblerait bien que la poésie n'ait pas pour vocation première de défendre des idées.

Ce qui rend aussi la poésie difficile d'accès, c'est l'usage qu' elle fait de l'implicite : genre souvent bref, allusif, qui suggère plus qu'il ne dit, la poésie recourt habituellement au non-dit, à l'image. Il est parfois ardu d'expliquer les poèmes, le message qui est contenu en eux.
Ainsi, dans le poème tiré des Sept poèmes d'amour en guerre, il faut connaître le contexte historique pour comprendre vraiment ce que sont les “ plaintes qui font rire ” auxquelles fait allusion Eluard. Quand celui-ci écrit “ pour n'avoir pas accepté l'ombre ”, il faut décrypter l'image pour y voir une définition de la Résistance. De même, lorsque Hugo dénonce dans “Mélancholia” le travail des enfants en affirmant qu'il ferait “ D'Apollon un bossu, de Voltaire un crétin ”, l'idée ne devient claire que si l'on déchiffre dans ce vers les allégories de la beauté et de l'intelligence. Une idée doit être comprise facilement pour être efficace, or la poésie est parfois difficile d'accès.

Enfin, si l'on ne peut nier que certains poètes s'engagent et cherchent à transmettre des messages forts, le propre de la poésie est souvent d'avoir une portée, disons, universelle : alors son message ne risque-t-il pas de perdre ainsi de son intensité et de son efficacité ? Ainsi, Arthur Rimbaud, dans “Le Dormeur du val”, réagit aux spectacles de mort de la guerre de 1870. Mais qui pourrait dire de quelle guerre il parle précisément juste en lisant son poème ? De même, le propos d'Agrippa d'Aubigné dans Les Tragiques reste très général, et on ne peut ni dater l'évènement, ni percevoir explicitement que le poète admoneste les chefs catholiques et défend les protestants. Ainsi, en faisant de sa cible une idée générale (les rois qui massacrent une partie de leur peuple), plutôt qu'un homme ou un évènement particulier, le poète risque de ne pas réussir à changer immédiatement le cours de l'Histoire. Le poète, parce qu'il se situe, comme l'albatros de Baudelaire, à une certaine hauteur par rapport au monde, ne peut pas toujours entrer dans les contingences du monde réel. Il est donc plus difficile pour un homme engagé de dénoncer un fait précis, d'agir sur lui par le biais du poème.


Il semblerait donc que le genre poétique soit une forme peu efficace pour l'argumentation et le combat. Néanmoins, si l'on examine de plus près les richesses de la poésie, on peut se demander si elle ne possède pas autant d'armes que les autres genres littéraires, quand il s'agit d'engagement et de force de conviction ou de persuasion...


Homme sensible, le poète s'adresse au cœur des hommes. La poésie permet l'utilisation de registres variés. Pas de didactisme, mais des passages polémiques, satiriques, pathétiques, qui cherchent à faire réagir le lecteur en provoquant son indignation. Victor Hugo donne directement la parole aux opprimés, créant ainsi une forte tension dramatique, comme dans une mise en scène théâtrale : il fait parler les enfants asservis et emploie le discours direct : “Voyez ce que nous font les hommes !” Le tableau dressé précédemment, le portrait des enfants ont alors valeur de preuves. Boris Vian fustige de manière satirique ceux qui profitent des guerres par l'utilisation de termes péjoratifs et de mots inventés : “A tous les gras tous les cocus / Qui ventripotent dans la vie”, amenant le lecteur à prendre parti contre eux. Agrippa D'Aubigné, quant à lui, emploie le registre polémique dans son recueil. S'adressant aux rois grâce aux occurrences “vous”, et employant un champ lexical du vice et de l'asservissement, le poète nous invite à blâmer les rois catholiques. La poésie, grâce à ses formes et registres variés, joue de tous les moyens pour atteindre son lecteur. Mais le registre le plus propre à la poésie por toucher son lecteur est le lyrisme. Le poète s'implique personnellement dans son texte, qui résonne ainsi de toute son émotion, émotion contagieuse et efficace. Hugo, par les marques de l'énonciation, par ses exclamations, exprime toute son indignation : “quelle pâleur !”, “ô servitude infâme imposée à l'enfant !”. Et cette indignation nous gagne, à lire le texte.

L'image est également un moyen efficace de toucher le lecteur et de le persuader. On se rappelle combien Guernica de Picasso a frappé les esprits. La poésie, proche de la peinture, utilise aussi l'image, qui exprime une idée d'autant plus efficacement qu'elle surprend. Plus elle est inattendue, plus l'image prend de force. Ainsi, dans “Mélancholia”, la machine personnifiée, devient un “monstre” qui “mâche” et broie dans l'ombre des enfants. Les métaphores paradoxales “Innocents dans un bagne, anges dans un enfer” frappent l'imagination et provoquent la révolte, l'indignation chez le lecteur. La métaphore filée de la tête et du corps, respectivement, pour le roi et le peuple, chez D'aubigné, aboutit à la vision sanglante et paradoxale du “chef” qui “prend ses ébats / A couper de son corps les jambes et les bras.”

Enfin, et c'est peut-être là la plus grande force de la poésie, la musicalité, les jeux de rythmes, et de sonorités contribuent à entraîner l'adhésion du lecteur. L'alexandrin employé par Hugo dans “Mélancholia” donne par son ampleur de la force à la démonstration. Les nombreux rythmes binaires soulignent combien le mal fait aux enfants est inique et cruel : “Innocents dans un bagne, anges dans un enfer”. De même, la solennité de l'alexandrin dans Les Tragiques, souvent coupé à l'hémistiche, l'allitération en “s” des premiers vers, la fameuse diérèse sur “vicieux”, renforcent l'accusation de vice portée contre les rois et emportent le lecteur dans l'indignation de l'auteur. L'utilisation de l'octosyllabe, l'absence de ponctuation, chez confèrent au poème de Vian une fluidité persuasive. Les formules bien rythmées, musicales, se retiennent facilement, se gravent au fond des mémoires, jouant leur rôle d'armes de combat. L'octosyllabe ne vous rappelle-t-il pas La Marseillaise ? Comptez-donc...


Ainsi la poésie, malgré ses faiblesses apparentes quand il s'agit du combat d'idées, du fait de son absence de rationalité, de l'implicite dont elle use, de ses propos universels, joue cependant par ses nombreuses ressources le rôle d'une arme frappante capable de libérer les peuples, de faire vibrer les âmes, de faire penser. Témoins de leur temps, luttant contre l'oubli, les poèmes engagés chantent la résistance des hommes ET des femmes. Ainsi, selon Eluard, et je finirai là, les poètes, “hommes comme les autres” peuvent lutter mieux que quiconque car la poésie “crie, accuse, espère.”

J'attends avec impatience vos commentaires ainsi que vos avis sur la question.

Sur ce, A bientôt...





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