Le fromage de tête.

Date 15-05-2012 20:26:20 | Catégorie : Nouvelles


LE FROMAGE DE TÈTE :

Quoi qu'on en dise, la vie de retraité, ça laisse beaucoup de temps de loisirs...
Chacun les occupe à sa façon. Personnellement, après avoir épuisé consécutivement le bricolage, les mots croisés, les sudokus, la lecture, les baignades, les sites environnants et les contacts internet, il me vient parfois des réminiscences d' une ancienne passion de garnement dont j'étais coutumier et que j' aimais beaucoup pratiquer.
C' est un petit jeu qui consiste à faire le naïf imbécile. Le plaisir du jeu étant de voir les réactions des gens face à un comportement, une question inhabituelle,inattendue.
Attention ! il ne faut pas commette l' erreur d' avoir l' air de prendre les autres pour des imbéciles, mais de bien jouer le rôle d'imbécile. Si possible, attendrissant. Les plaisirs que l'on en tire peuvent être extrêmement variés, selon les gens à qui l'on s'adresse.

Un après-midi d automne, sous un ciel gris et tristounet, je passais mon temps dans le petit village de Mezzavia, tout près d'Ajaccio.
Mes pas me menèrent devant l' entrée d'un petit supermarché. Ici comme partout, ils sortent de terre bien plus que nécessaire et, où que vous alliez, vous vous retrouvez immanquablement devant l'un d'eux. Réflexe de client bien conditionné, je pris un chariot sans avoir la moindre intention d'acheter quoi que ce soit. Vous devez connaître le syndrome.
J'entrai dans un magasin pratiquement désert et commençais le rituel parcours des rayons, à pas lents, m' intéressant mollement autant aux lessives qu'à la farine de châtaigne, me surprenant, par instant, à placer dans mon chariot des articles que, somme toute, je finirai bien par utiliser.
Le hasard de mes pas m'amena devant le comptoir du rayon charcuterie. Je regardais, sans conviction, l' étalage des produits exposés, sous le regard endormi d'une employée, assise derrière le comptoir, qui me regardait à défaut de mieux.
Ma question m'a surpris autant que la jeune femme :
- ' Dites-moi, madame, avec quel lait il est fait, votre fromage de tête , '
Aussitôt ma phrase prononcée, je m' attendis à un petit sourire poli, voire même un petit rire, une petite réplique dans l' esprit de ma question dont la naïveté était quand même un peu trop grosse.
L' employée devint songeuse un instant, puis me répliqua avec un ton d'excuse :
- ' Ah ben ça, j' en sais rien.....Là c' est pas mon rayon habituel. Je fais un remplacement. ' et après un temps de réflexion : - ' Attendez, je vais demander à la chef de rayon .'
A cet instant, je me suis dit que je n' allais pas tarder à me faire passer pour un imbécile et me préparais au choc. La jeune femme en héla une autre, à l' autre bout du comptoir.
- ' Dis-donc, Annette, y'a le monsieur qui demande avec quel lait il est fait, le fromage de tête !'
J' attendais l' éclat de rire moqueur fatal et prenait l' air interrogateur que ma requête imposait. Un silence s' instaura, puis une réponse m' arriva.
- ' Alors là...Je ne pourrais pas vous dire . Je ne saurais pas vous répondre.. ' Et elle haussa les épaules, autant par ignorance que par désintérêt à ma question.
Oh non..C' était trop beau . Je n' en espérais pas tant. Je remerciais brièvement et disparus entre deux rayons où je me mis à pouffer sans retenue. C' était pas croyable ! la torpeur d' un triste après-midi avait complètement engourdi l' esprit des deux femmes. Je ne pouvais pas croire qu' en temps ordinaire, elles n'auraient pas capté la sottise de ma question !
Et ce fut en gloussant par instants que je me dirigeais vers une caisse, d'où une caissière inoccupée me regardait arriver, un peu intriguée par ma gaîté
- ' Vous avez l' air bien content de vous ' me dit-elle.
En riant, je lui contait ma récente petite histoire, m' imaginant lui arracher, pour le moins, un sourire.
Elle afficha aussitôt un désintéressement total à mon histoire en me disant:.
- ' Bof...moi, je n' y connais absolument rien, aux fromages '
Je l' ai regardé, sidéré. Pas vrai ! c' est pas possible! Tant de bol dans la même journée !
Je m' éloignais de la caisse en gloussant de plaisir quand je vis le directeur, que je connaissais assez bien, qui me regardait avec un air interrogateur, de derrière sa vitre.
Ma première impulsion a été d' aller lui raconter mon aventure. Et puis je me suis ravisé. ll ne faudrait pas tenter le diable trop de fois dans la même journée...

Vous pensez probablement que c' est une histoire inventée ? vous auriez tort !





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