Le passager agressif.

Date 18-09-2014 22:07:46 | Catégorie : Nouvelles confirmées


Vers onze heures, ce matin.
Je revenais d'une visite faite à mon docteur. Je ne dirais pas que sa santé m'inquiète, mais je n'aime pas rester trop longtemps sans aller le voir. Il en a profité pour m'ausculter. Dans le fond, j'ai eu du bol : il aurait pu être proctologue, et moi, j'aime bien qu'on me regarde dans les yeux, quand on discute.
Comme il est svelte, je présume qu'un de ses rêves secrets serait de m'amener à sa taille. J'ai coupé court à ses approches verbales en lui récitant un passage de la ballade des pendus, de Villon : ' quand de la chair que trop avons nourrie, elle est piéça dévorée et noircie...' Il s' est vengé en me faisant une ordonnance et nous nous sommes quittés en nous disant au revoir. J'aime bien les séparations optimistes.
Mais ce n'est pas du tout de cela dont je voulais vous entretenir.
Comme il faisait une chaleur étouffante, quoi de plus agréable que de rouler, peinard, climatisation branchée, sur les belles routes de Corse, vidées de ses hordes de touristes qui profitent du fait qu'ils ont enfin le temps pour vous bouffer le votre. Ah oui, c'est vrai : je crois que je vous ai déjà tout dit à ce sujet, dans quelques poèmes vengeurs et sans haine.
Puisqu'on parle des touristes, laissez-moi vous faire part d'un de mes sujets d'observation à leur propos :
Je me suis fait la réflexion que les touristes de la dernière cuvée n'avaient pas dû bouffer à leur faim durant toute l'année, afin de faire des économies pour pouvoir se rassasier pendant les vacances. Faut dire, pour justifier la profondeur de mes méditations, que c'est bien la première fois que je les ai vu remplir autant leurs chariots . Qu'est-ce à dire ? Y'aurait pénurie d'aliments, chez les gaulois ( c'est le petit surnom amical que nous leur donnons parfois, lorsqu'ils ne comprennent pas le mot ' pinzute ' ) et, foi de gaulois moi-même, je me demandais s'ils ne se contentaient de ne faire que les magasins, au détriment de nos splendides montagnes si rocheuses et de nos merveilleuses plages si sableuses.
Je m'aperçois que je digresse de plus en plus et que j'aurais tendance à oublier le sujet que je vous avais mitonné pour après le : Vers onze heures ce matin ....
Quoi que, arrivé à ce stade, je pourrais changer totalement d'avis et vous raconter quelque chose de tout à fait différent de ce que j'avais prévu; mais du point de vue littéraire, ce ne serait pas honnête.
Je roulais donc paisiblement sur une nationale quasi déserte quand je VIS cette étrange apparition :
Sur le bas-côté herbeux de la route, un épouvantail marchait à grand pas, très, très lourdement chargé : deux énormes sacs dans les mains et un monstrueux sac à dos sur..oui, sur le dos. Mais ce qui m'a surtout stupéfié les yeux, en supposant que cela se dise, c'était l'accoutrement du bonhomme. Il portait un lourd pardessus avec, par dessous, des pulls et des gilets ( j'ai eu l'occasion de m'en apercevoir plus tard ). La petite concession à l'élégance était apportée par une casquette rouge et des lunettes de soleil bleu ciel .
Ma première impression a été de voir en lui un métis, impression démentie plus tard, à mon détriment.
<<<Seulement, ce voyageur-là, je l'avais déjà dépassé et je n'avais pas la possibilité de me garer pour l'attendre.
Comme j'arrivais à la hauteur du magasin Spar, je décidais de faire demi-tour sur le parking. C'est alors que je me suis dit que le pauvre homme que j'allais prendre à bord aurait sans doute soif. J'allais , vite fait, acheter deux bières et j'en mis une dans la boite à gants.
Je suis retourné chercher mon passager , qui ne se doutait de rien, en me disant que beaucoup me prendraient pour un imbécile s'ils me voyaient faire.Mais, en même temps, ils apprendraient que je me fiche de leur avis.
Quand j'ai vu le bonhomme au loin, sur le bord de route, j'ai trouvé un point de stationnement pour l'attendre.
- Vous allez où, comme ça ?
- A Corte . Me répondit-il, en posant ses sacs aux sol .
C'est à cet instant que je VIS qu'il n'était pas métis...
- Houla ! je ne vais pas si loin . Si vous voulez, je peux vous avancer de douze kilomètres; cela vous fera économiser trois bonnes heures de route à pieds .
Et ce fut en mettant ses sacs sur le siège arrière que commença l'agression, et à l'instant où l'homme s'installa près de moi que l'agression se précisa .
Une incroyable puanteur envahit aussitôt l'habitacle ! Ce n'est pas la peine que je cherche à vous décrire le mélanges d'effluves nauséabondes, je vous laisse imaginer le pire .
Je baissais aussitôt les vitres et me mis à conduire comme un touriste, le bras gauche et la tête dehors, en m'efforçant de lui faire un brin de causette polie.Je m' aperçus alors que l'homme s'exprimait dans un langage assez châtié et avec beaucoup de bon sens.
Il me remercia avec beaucoup de chaleur lorsque je lui ai proposé une bière et la sirota avec un visible plaisir .
Ces douze kilomètres, je les connais parfaitement bien et, d'ordinaire, j'ai l'impression que le temps passe très vite, en les parcourant. Cette fois-ci, je ne comptais pas en kilomètres mais en respirations nécessaire pour survivre .
Mon petit terrain au bord de la rivière. Ses remerciement sincères, chaleureux et chargés d'odeurs insoutenables.
Je l'ai vu reprendre sa route, ployant sous sa charge. Très franchement, dans des conditions sanitaires plus convenables, je pense que je l'aurais emmené à Corte. C' est le genre de chose que j'ai souvent faites.
Pauvre homme...
Dès qu'il eut disparu, j'ouvris les quatre portes et le coffre de la voiture.
J'ai sorti ma chaise pliante et j'ai attendu patiemment que le petit air chaud qui soufflait, en remontant la rivière , chasse les miasmes de mon fugace passager....
En sirotant la bière qui me restait.





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