Le grand bourg s'affairait

Date 28-09-2014 12:20:00 | Catégorie : Poèmes confirmés


Le grand bourg s’affairait, il donnait une foire.
Le grand bourg se gonflait de villages alentours
Et de vallées lointaines. Par l’adresse des atours
Qui ornaient son discours, grossissait l’auditoire
D’un camelot matois. Parmi les meuglements
On crachait on topait on scellait des affaires.
Le maréchal-ferrant jouait un air de fer
Qu’il éteignait ensuite dans un bouillonnement.
Les narines recueillaient de l’étable d’alpage
Amenée dans des meules aux peaux estampillées,
Et des charcuteries que l’air éparpillait.
Les papilles salivaient aux odeurs de passage.
Epargnés par la guerre, quatre bersagliers
Etaient venus se prendre aux pas d’un chalandage
Brossant leurs vols de coq d’une ondulation sage
Qui frôlait les sourires de filles à marier.
Certaines osaient des mots qu’ils ne comprenaient pas,
Car ils étaient venus d’Italies différentes
Où tournoyaient les mains et la voyelle sonnante.
Ici le bout des mots souvent n’en portait pas.
Au cœur du présentoir de la grande loterie,
Une poupée attendait la maman d’adoption
A peine plus âgée qu’elle, qui remplie d’affection
La presserait au cœur en disant « ma chérie ».
L’une d’entre elles est passée en tirant sur la main
Calleuse de sa maman - car la pauvreté donne
La parité aux femmes pour les travaux de somme-
Et la mère attendrie à sa bourse mit la main.
Elle renonçait ainsi à un fichu fleuri.
La roue de l’infortune faite d’un bois trop sec
Ne fit jamais partir la pauvre enfant avec
La poupée désirée. Son petit cœur meurtri,
L’enfant pleurait, tendait les bras vers l’orpheline.
Rien ne la consolait et même le bout de craie
Que donna le forain n’avait aucun attrait.
La mère la souleva et contre sa poitrine
Elle posa les sanglots qui finirent par sécher
Au balan de ses pas. Après un long moment
De vallons et de guets aux bras de sa maman,
L’enfant se réveilla et ne put s’empêcher
De sangloter encore. Quand on lui a narré
Les raisons de la peine, le père un peu austère,
Ordonna le silence d’un froncement sévère
Qui donna aussitôt aux pleurs un coup d’arrêt.
On l’a assise au sol avec son bout de craie.
Elle renifla et puis laissa bouger sa main.
Sur une dalle en pierre apparut un dessin
Tâché de gouttes d’œil : des ronds et quelques traits.
Une voix caressa la tête inconsolée.
« Il est beau ton dessin! » Câline dit la voix.
« C’est ma poupée grand-mère elle est aussi à toi! »
Mais la craie sur la pierre comment la cajoler,
Pensa la brave femme? Et d’un ton assuré
A la fille elle conta l’histoire de l’enfant sage
Qui découvrit un jour que l’une de ses images,
Par miracle devint l’objet qu’elle figurait.
Quand on coucha l’enfant, l’aïeul déterminée,
Pris des bouts de chiffons du fil et une aiguille,
Du toupet de maïs. En mêlant ces broutilles
Et en plissant les yeux, elle sut confectionner,
A la flamme qui donnait de l’ambre chaloupé,
Une offrande modeste fourrée de son, de soin
Et de tendre affection. Et tard dans un recoin,
Sur le portrait naïf elle coucha la poupée…
Cette histoire simple et vraie de sépia s’est poudrée.
La guerre qu'on nommait « grande » n’était pas loin de là.
A la fille faite femme, la vie renouvela
Un beau sort qui lui fit six poupons deux poupées.



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