Azéline, Chapitre 25

Date 21-10-2014 10:07:43 | Catégorie : Nouvelles


- Un jour de printemps, nous étions chez mes parents. Nous avions décidé d’aller nous promener sur les chemins. La campagne autour de Lannargan est très jolie, il y a des plantes comestibles partout, des pissenlits, des orties, de la consoude.
de l’oseille sauvage.
.
Germaine et moi marchions main dans la main. Nous avions cueilli des herbes pour faire des salades. Nous portions chacune un grand panier. Ma mère serait contente en découvrant notre récolte, on pourrait même en donner aux voisins ! Les clochettes bleues et le muguet poussaient un peu partout dans les sous-bois. C’était une journée magnifique Béryl. Nous nous sommes assises dans l’herbe, au soleil, il faisait chaud, c’était agréable. La guerre et ses morts semblaient si loin de nous. Nous nous sommes embrassées. C’était si doux, si bon ! Nous faisions très attention quand nous étions dans mon village, mais ce jour-là était particulier, nous nous sentions tellement bien. La peau de Germaine était si blanche et délicate, si fine, elle était presque transparente. Je laissais courir mes doigts le long de ses bras nus. Elle me disait que je sentais encore meilleur que les fleurs du printemps. Elle enfouissait son visage dans mes cheveux et me respirait. Nous n’avons pas vu la mère de Guillemette qui cueillait de l’herbe pour ses lapins. ..

- C’est elle qui vous a dénoncées ?

- Bien sûr que c’est elle ! Elle était jalouse de nous. Elle ne comprenait pas que mes parents m’aient laissée partir à Rennes, ce lieu de perdition. Si au moins j’avais eu de la famille là-bas ! Mais une jeune fille seule dans une grande ville c’était inimaginable.

- Elle savait que tu étudiais pour devenir institutrice ?

- Bien sûr ! Mais dans son monde étriqué une femme ne travaille pas, elle se marie, a des enfants et s’occupe de son foyer. Si elle devient veuve, elle porte le deuil de son mari toute sa vie. Le plaisir n’avait aucune place dans sa vie.

- Mais ses enfants sont bien allés à l’école, s’exclame Béryl. Ils ont bien eu des professeurs formés à la ville !

- Pour elle, seule l’école religieuse était recommandable. L’école publique était pour les mécréants.

Des larmes coulent sur les joues d’Azéline.

- Elle s’est précipitée au village pour dire qu’elle nous avait vues. Elle détestait Germaine, elles étaient tellement différentes ! Madame Morvan était une femme en noir, une ombre qui rasait les murs. Sa seule distraction était la messe. Germaine vivait en couleur, c’était un soleil.

- Tes parents l’ont crue ?

- Oui et non. Ils se méfiaient de Germaine, elle était si différente de nous ! Quand on est rentrées, mes parents nous regardaient d’un drôle d’air. Ma mère a pris nos paniers sans rien dire, j’ai tout de suite vu que quelque chose n’allait pas. Plus tard, elle m’a dit qu’elle préférerait que Germaine ne vienne plus à la maison.

§§§§§§§


- Ton amie ne doit plus veniR ici Azéline, je n’aime pas son genRe. Elle a une mauvaise influence suR toi.

- Pourquoi est-ce que tu dis ça ? L’oncle de Germaine lui a envoyé des cigarettes, elle en a ramené pour papa, c’est gentil.

- Je ne dis pas qu’elle n’est pas gentille, mais elle a des manièRes d’effRontée. Elle paRle foRt, elle s’habille tRop couRt, et ne compRend pas notRe vie. Je ne suis pas idiote, je vois bien qu’on la fait RiRe quelquefois, elle se moque de nous.

- Tu te trompes maman, elle vous aime beaucoup…

La mère d’Azéline élève la voix.

- Les gens jasent. Nous allons êtRe la Risée de tout le village, elle ne ReviendRa pas un point c’est tout !

Aucune autre n’explication n’est donnée. Azéline apprend plus tard de la bouche de Guillemette que sa mère les a vues s’embrasser.

- Mais enfin Guillemette, tu ne peux pas croire ça !

La jeune fille ment elle aussi en répondant à son amie.

- Non bien sûr, mais c’est vrai que vous êtes très proches toutes les deux. Germaine est très spéciale, tu ne peux pas empêcher les gens de parler.


- Ce sont des commérages Guillemette ! Maman ne veut plus recevoir Germaine à la maison, qu’est-ce que nous allons faire !

Guillemette répond en lui tournant le dos pour rentrer chez elle :

- Ta mère a raison.

Quand on pense à l’attitude de Guillemette avec le gentil curé, ses paroles ont de quoi surprendre. Elle se fait défenseur de la morale aujourd’hui ! Demain, elle ira fricoter avec lui dans la sacristie. Azéline est furieuse. Elle en veut à son amie, à sa mère, à ses parents, et même à Germaine qui n’a pas su se tenir, qui n’a pas senti le danger.

Le retour à Rennes se fait plus tôt que prévu, les deux jeunes femmes prennent le train. Personne ne les accompagne à la gare cette fois-ci, pourtant leurs paniers sont lourds de tous les légumes et les victuailles qu’elles ramènent. Quelques gamins du village les suivent en se cachant derrière les arbres et en pouffant de rire. Germaine est très en colère, elle ne comprend pas l’attitude des gens de Lannargan.

- Ce sont des ploucs Azéline, des gens bornés, tu ne dois plus remettre les pieds ici. Ils devraient sortir un peu de leur trou ces taupes ! Regarde ! Même les jeunes prennent le chemin de leurs parents !

Azéline essaie de la calmer sans grand succès, et c’est avec soulagement qu’elle s’installe enfin dans le compartiment. Mais Germaine continue à pester, et elle commence à attirer l’attention sur elle, une fois de plus !

- Calme-toi Germaine, s’il te plaît. Tout le monde nous regarde.
Le regard que lui décoche la jolie brune, est foudroyant, ses yeux verts brillent d’un éclat presque inquiétant.

- Tu es bien comme eux ! Aussi frileuse, tu baisses les yeux. Il faut marcher la tête haute Azie, ne te laisse pas faire !
C’est si simple pour la jeune Parisienne et si difficile pour la petite Bretonne de Lannargan.

De retour dans leur appartement, elles ont des discussions sans fin qui ne mènent à rien. Elles viennent de deux mondes différents, et ça ne pourra jamais changer. Désormais, Azéline se rend seule chez ses parents, et Germaine reste à Rennes.
Tout rentre dans l’ordre, la jeune villageoise ne parle plus jamais de son amie, et ses parents évitent aussi le sujet. Elle doit se surveiller sans arrêt, elle ne peut rien raconter. Tout ce qu’elle vit, tout ce qu’elle fait d’important c’est en compagnie de Germaine, la femme qu’elle aime. Quand on lui pose des questions sur Rennes, elle reste évasive. Si elle est un peu fatiguée, elle a peur de laisser échapper des détails compromettants, elle commence à éviter les gens, à se taire, à ne pas participer aux conversations. Ses parents finissent par se demander si elle n’est pas malade.

- Tu es pâle ma fille, tu manges bien à Rennes ?

- Oui oui ne t’inquiètes pas.

- Tu soRs un peu tout de même ? Il ne faut pas Rester enfeRmée avec tes livRes !

- Non non, je sors.

- Tu vas au Jardin du ThaboR ?

- Quelquefois.

- Tu y vas avec des amis ?

- Non seule.

- Tu n’as pas d’amis ?

- Si.

- Ils ne viennent pas avec toi ?

- Non.

Elle a parfois l’impression que c’est la guerre des nerfs. Elle n’a même plus envie de voir sa famille.
Quand elle rentre à Rennes, c’est au tour de Germaine de la questionner.

- Alors tu rentres de chez les ploucs ?

- Ne dis pas du mal de mes parents s’il te plaît.

- Ils ont le droit de dire du mal de nous, mais il faut nous taire ! Personne ne me fait taire moi !

Azéline se retrouve une fois de plus coincée entre ces deux sphères complètement étrangères l’une à l’autre.
Les grandes vacances arrivent, les deux jeunes femmes doivent se séparer pour trois longs mois. Germaine repart à Paris, et Azéline à Lannargan. Cette séparation leur parait plus difficile que les fois précédentes.

- Tu m’écriras ma chérie ? Pourquoi est-ce que tu ne viens pas avec moi à Paris ? Tu vas t’ennuyer à mourir chez les bouseux.

- Ce sont mes parents Germaine, je ne suis pas mariée, je dois rentrer chez eux.

- Tu vas faire ce qu’ils t’ordonnent de faire jusqu’à quel âge ? Ils t’empêchent de vivre, de profiter ! Pense à nos amis qui sont au front, la vie est courte, il ne faut pas la gâcher avec des croyances stupides !

- Ce ne sont pas des croyances stupides, ma réputation est déjà mise à mal, qu’est-ce que les gens diraient si je partais avec toi à la capitale ? Je serai une fille perdue, une prostituée !

- Tout de suite les grands mots !

Elle voit qu’elle a blessé Azie. Elle est désolée de lui faire de la peine.

- Je t’écrirai ma chérie.

Germaine enlace Azéline, elle la couvre de baisers.
- Je ne peux pas me passer de ta petite personne, tu le sais ? Je vais penser à toi tous les jours. Je t’aime, tu es la femme de ma vie.

Azéline pleure, Germaine est tout pour elle, mais elle sait que leur amour est condamné. Condamné par sa famille, condamné par la société, et par l’Education Nationale. Que faire si elle se retrouve sans travail, sans argent et rejetée par ses parents ? La pauvre Azéline ne sait pas ce qu’elle va devenir. Quand elle est avec Germaine, elle essaie d’oublier ses soucis, elle profite de la vie, mais quand elles sont séparées les difficultés que crée leur relation remontent à la surface.

- Je t’enverrai des cartes postales de tous les coins de Paris. Tu verras ce que je verrai. Je te tiendrai au courant de tous mes faits et gestes. Tu seras avec moi, quoiqu’en pensent tes parents ! Nous sommes plus fortes qu’eux, tu le sais ?

Leurs adieux sur le quai de la gare sont insupportables pour Azéline, elle se sent vide, seule, inutile, coupée en deux. Une partie d’elle-même est partie vers Paris, ce qui reste s’enfonce vers la campagne.

§§§§§§§


- Germaine a tenu promesse, quand je vois la montagne de cartes postales que tu as reçue Azeline, c’est impressionnant !


- Oui Béryl, j’en recevais une par semaine, parfois deux. C’était un rayon de soleil pour moi. J’avais l’impression de vivre dans la nuit et dans la tristesse. Rien ne me plaisait plus, je sortais très peu, je ne mangeais presque rien. Mes parents étaient inquiets.


- Ils faisaient le rapprochement avec Germaine ?


- Non, pour eux une relation entre deux femmes était tellement improbable, qu’ils pensaient que c’était de l’histoire ancienne. Je recevais les cartes de ma fiancée (c’est comme ça que nous nous appelions), sous enveloppe, ils pensaient que j’avais un petit ami.


- Mais les lettres venaient de Paris, ils savaient que Germaine était parisienne !

- Oui, mais certaines lettres de soldat transitaient par Paris, je leur laissais croire qu’un beau poilu en pinçait pour moi !

- Germaine poilue ! Je ne sais pas si ça lui aurait plu !

Les deux femmes rient, Béryl voit qu’Azéline est très perturbée par tout ce qu’elle raconte. Le récit de ce qu’elle a vécu n’est pas libérateur mais cela semble plutôt la replonger dans la mélancolie qu’elle connaissait à ce moment-là. Rire lui fait du bien. Elle caresse les cartes postales de ses longs doigts pâles. Soudain son visage s’illumine :

- Regarde, on voit Germaine déguisée en soldat sur celle-là.










Cet article provient de L'ORée des Rêves votre site pour lire écrire publier poèmes nouvelles en ligne
http://www.loree-des-reves.com

L'url pour cet article est :
http://www.loree-des-reves.com/modules/xnews/article.php?storyid=5094