Marchand de sable

Date 24-10-2014 13:00:00 | Catégorie : Nouvelles


Marchand de sable.




Il est bientôt dix-huit heures. Je décide de prendre une petite pause, avant de me replonger dans mes dossiers. En période de bilans, je passe mes soirées au bureau.
Je contemple la chute lente et rougeâtre du soleil sur la terrasse, en dégustant un bon chocolat chaud. Je m’exalte devant ce tableau coloré mouvant, pendant qu’une petite brise agréable me fait apprécier mon entracte.
Mis à part la beauté du ciel, mes yeux se baladent sur le chantier d’un immeuble et j’observe des hommes qui se changent après une journée de travail très physique. De pauvres âmes abusées qui travaillent à la semaine ou à la quinzaine. Des individus au corps svelte, aux traits chiffonnés et aux yeux creusés par manque de sommeil.
Des hommes illettrés qui ont lâché leur « bled » pour trouver du travail en ville, laissant derrière eux leurs familles pour plusieurs mois. Ils travailleront, de toute évidence, toute leur vie, pour un salaire de misère, sans aucune sécurité ni retraite. Dur labeur pour être pauvre !

L’un d’entre eux s’esquive et vient s’accroupir dans un coin, pour sortir furtivement de sa poche une boulette de résine de haschich, il l’effrite à l’aide de son briquet pour se rouler un joint. Le rituel débute. En quelques secondes, le dépresseur se pointe sur les lèvres, la fumée attire la meute et le joint tourne.

Au même moment, en haut du minaret, le muezzin engage l’appel à la prière d’une voix saccadée et mélodieuse. Une seconde mosquée, cent mètres plus loin, l’entame à son tour et ainsi de suite jusqu’à ce que toute la ville soit conquise par un sentiment d’apaisement.
Une impression de légèreté intemporelle en cette entrée timide de la nuit. Sur la route, deux petits vieux rieurs vêtue de leurs djellabas de couleur se tenant par la main se transportent joyeusement vers la mosquée.
Voilà le Maroc de tous les jours, celui des différences sociales très marquées, où tout est fragile et calme en même temps, où l’on sent un équilibre fébrile de paix.

En route vers la maison, La nuit semble de plus en plus sombre, tous les commerçants ont fait tomber leurs rideaux, seuls quelques épiciers persistent. Un brouillard absolu s’abat sur la ville accompagné d’une fraicheur vicieuse qui pénètre directement dans mes os.
Je ne perçois plus rien, mon essuie-glace ne fonctionne plus et il est préférable que je m’arrête un instant pour essuyer mon pare-brise. Aucun chiffon en vue, je décide alors de prendre mon pull sur la plage arrière qui fera l’affaire.

Sur le bord de la route, près des poubelles collectives, des ombres s’agitent.
Je redémarre l’auto, m’approche et passe devant un âne traquant une charrette. Un homme taillé comme un clou, la cinquantaine, un chapeau de paille sur la tête, muni de son bâton, inspecte scrupuleusement les ordures à la recherche de bouteilles en plastique, et, avec un peu de chance, du fer et du cuivre.
Il les vendra par la suite au kilo, au lever du jour. Nombreux sont ces malheureux qui survivent aux périphéries des villes, sortant comme des rats de leur tanière dans ces nuits profondes.
Ces vaillants parcourent de longues distances pour gagner des clopinettes à risquer de choper de nombreuses maladies pulmonaires à force d’inhaler tous ces déchets toxiques.


Je me faufile tel un voleur dans la maison pour ne pas réveiller ma petite famille, que je ne fais plus que croiser. Nos horaires de travail sont radicalement décalés. Je rentre dans la salle de bain pour prendre un bon bain chaud, un pur moment de détente.
Minuit passé, sous les draps, tout le monde dort profondément et j’essaye de faire de même.
Mon sommeil depuis quelques temps se trouble, alors, pour cette nuit, aie pitié de moi, marchand de sable ! Envois- moi une double dose de ta poussière.
Ma femme tâtonne le côté du lit pour contrôler si j’y suis bien puis, reprend son sommeil où il en était, la chance !
Toujours les yeux grand ouverts dans cette chambre où je me sens de plus en plus à l’étroit. Il est temps de quitter la pièce pour m’étaler sur le canapé du salon.
Marchand de sable, sache que je ne compte plus sur toi, j’opte pour un remplaçant, le speaker sur le canal d’infos en continu.
Ça y est, sa voix chaude me berce et mes paupières lourdes s’abattent. Ce sentiment agréable de perte de conscience s’enclenche et ma respiration se convertit en ronflements.
Je te félicite, présentateur : tu as accompli ta mission, je suis enfin dans les bras de Morphée.













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