Le Hurlu a la berlue (version remasterisée)

Date 30-10-2014 08:29:53 | Catégorie : Nouvelles


Ce texte servait initialement de réponse à un défi de l'Orée des Rêves et en même temps de 'private joke' entre Couscous et moi puisque je devais écrire à la manière de ma Belge favorite, elle l'ayant brillamment réussi dans l'autre sens.
Et j'ai tellement aimé cette histoire que je l'ai retouchée, j'en ai élagué les éléments les plus contextuels, en particulier certaines références compréhensibles par les seules personnes participant aux défis de l'Orée des Rêves et j'ai encore procédé à des corrections suite à quelques remarques d'autres auteurs sur un site d'écriture.

Je vous livre le résultat, largement meilleur à mon goût.


NB: Le Hurlu existe vraiment à Mouscron. Aller sur le site de la ville permet d'en savoir plus. Sinon, téléphonez à Couscous au 0x Xx XX Xx Xx (la suite du numéro s'affiche une fois que vous avez rentrées vos coordonnées bancaires et votre code).


Le Hurlu a la berlue


« Vivent les allumoirs, ma mère, vivent les allumoirs ! » scandaient des enfants sur la Grand-Place. Je n'y croyais pas, il fallait que ça m'arrive à moi, pour ma première fois dans cette ville du Hainaut où j'avais un rendez-vous galant. Et voilà qu'ils dansaient autour de moi et chantaient à tue-tête.

Je savais bien qu'il y avait anguille sous roche. C'était vraiment trop beau.
Tout ça pour Delphine, ce petit bout de femme énergique. Rien ne me prédisposait à la rencontrer. Je marchais tranquillement dans une galerie de Bruxelles en quête d'un cadeau pour un collègue de travail. Et puis, patatras, je remarquai cette brune aux yeux bleus Mer du Nord, à la chevelure désordonnée, assise sur sa chaise en face d'une petite table où s'amassaient des tas de bouquins.
Qu'est-ce qui me prit d'aller voir ce qu'elle faisait là ? La curiosité ? La bêtise ? Arielle, mon ex, m'eût dit, dans sa méchanceté légendaire, que ce fût certainement un peu des deux. « Le monde est plein de polissons. », me disait toujours ma logeuse dès qu'elle croisait Arielle.

Je m'étais dirigé vers Delphine et je lui avais posé la question à deux euros.
— Qu'est-ce que vous faites donc là, jolie madame ?
— Je colorie des livres, monsieur le curieux.
— Et c'est un métier, ça, colorier des livres ?
— Oui et c'est même une tradition séculaire dans mon Hainaut natal.
— Et on gagne sa vie avec ça ?
— Tout dépend du nombre de livres. Vous n'êtes pas d'ici, vous, allez.
— Non, je suis de Paris. A quoi l'avez vous deviné ?
— A vos grands pieds, parbleu !

J'étais tombé dans la toile de ma tentatrice belge et mon cœur battait la chamade.
— Puis-je m'asseoir ?
— Vous voulez colorier ?
— Si vous insistez.
— Sortez vos crayons de couleurs !
— Je les ai oubliés à l'école.
— Vous ne faites pas votre âge.
— On me le dit souvent
— Et vous avez une bonne tête.
— Je croyais que c'était réservé aux gentils toutous.
— Vous n'êtes pas gentil ?
— Si, j'ai même eu un bonbon et une image à coller.
— Que faites vous de beau à Bruxelles ?
— Je cherche un cadeau.
— De Paris à Bruxelles, c'est la porte à côté.
— Je roulais en voiture et je me suis dit : pourquoi ne pas pousser un peu plus loin ?
— Vous vous êtes laissé emporter par vos rêves.
— Exactement !

Delphine avait lu dans mon âme. Elle me comprenait, elle, pas comme l'autre blonde d'Arielle qui faisait toujours semblant de m'écouter en comptant ses chaussures dans son placard.
Comment n'aurais-je pas craqué pour cette adorable petite Belge, avec son accent d'un autre temps, sa robe à fleurs et ses coloriages ?

J'aurais pu rester des heures à la regarder mettre des couleurs dans des images.
— Vous avez un prénom, je suppose, homme gentil aux grands pieds ?
— Je m'appelle Donald.
— Et vous avez trois neveux ?
— On me l'a déjà faite celle là.
— Désolée. C'était plus fort que moi.
— Et vous, comment vous ont prénommée vos parents ?
— Donald, est-ce bien une question à poser à une jeune fille ?
— Oui, quand on veut l'inviter à dîner.
— Je choisis le restaurant alors.
— On se voit à vingt heures ?
— Parfait.

J'étais aux anges, léger comme l'air, ivre d'amour, et tout ça tout ça comme dirait ma logeuse.
— Vous n'avez pas envie de savoir où nous allons dîner, Donald ?
— J'allais consulter une voyante pour obtenir l'adresse mais après mure réflexion, c'est mieux si vous me le dites sans lire dans le marc de café. C'est un peu moins romantique mais nous en rirons dans quelques années, au coin du feu, dans notre maison de campagne au bord du Lac Léman.
— Je vous croyais parisien, Donald.
— Oui mais il n'y a ni lac ni campagne à Paris et les rares maisons sont squattées par des gothiques.
— Vu comme ça.
— Alors, dans quel endroit fantastique allons nous profiter de nos agapes nocturnes ?
— Vous parlez vraiment trop bien Donald. Je vais avoir du mal à colorier vos paroles.
— Excusez moi. Je m'emballe et je deviens lyrique.
— Vous chantez aussi l'opéra italien ?
— Oui, parfois. Ma logeuse dit que ça nuit au voisinage et elle vient taper à ma porte.
— Elle est bien effrontée cette logeuse.
— Elle est blonde.
— Je comprends mieux.
— Revenons à nos boutons comme diraient les adolescents. Où dois-je piloter mon carrosse pour vous rejoindre, ô colorieuse divine ?
— Je vous l'écris sur un bout de papier rose. C'est dans ma province natale, le Hainaut. Il y a une belle ville appelée Mouscron et le restaurant se trouve sur la Grand-Place. Vous ne pouvez pas le rater. Sinon, rentrez les coordonnées dans votre GPS.
— Mon GPS ne fonctionne pas bien.
— Comment est-ce possible ?
— Je l'ai prêté à une amie qui se perdait tout le temps. Quand elle me l'a rendu, il parlait gaélique.
— Ils sont fous ces Normands !
— En plus, il confondait le Nord avec le Sud, l'Est avec l'Ouest et le périphérique avec la Seine.
— C'est une explication moins poétique à votre arrivée dans Bruxelles.
— La science ne connaît malheureusement pas la poésie.

La suite aurait du m'alerter. Le problème avec le coup de foudre, c'était qu'il ne faisait pas bon ménage avec le rationnel. Et comme aurait dit ma logeuse : « Faut pas croire, faut être sûr ! ».
— Donald, je dois vous dire quelque chose d'important.
— Vous êtes mariée et mère de douze enfants ?
— Non.
— J'ai de trop grands pieds à vos yeux ?
— C'est plutôt bon signe selon le dicton populaire.
— Lequel ?
— Donald ! Est-ce une question à poser à une jeune fille avant un rendez-vous ?
— Je suis perdu ! Quel est donc ce mystère d'importance ?
— Ce restaurant est fameux à Mouscron et possède une tradition réservée aux nouveaux venus.
— Un bizutage ? Dois-je faire le tour de la place en vélo avec une bière dans chaque main ?
— Non. Quelque chose de beaucoup plus classieux. Ça va vous plaire. Il s'agit de vêtements.
— Allez y, je n'ai pas peur. J'ai été punk, gothique, grunge, yuppie et j'en passe des pires.
— Je vais vous donner l'adresse d'un loueur de costume. Vous lui demanderez une tenue de Hurlu.
— A quoi ça ressemble ?
— A du steam-punk. Vous serez à l'aise, surtout avec le chapeau. C'est tendance à Mouscron.
— Topez-là ma chère amie.
— A ce soir Donald. J'ai hâte de vous revoir.
— Moi aussi.
— Je m'appelle Delphine.
— Moi c'est Donald.
— Je sais, vous me l'avez déjà dit.
— C'est l'émotion, Delphine.
— Donald !
— Delphine !
— Ça va !

Qui aurait pu le croire : je débarquais à Bruxelles, sur une bête erreur d'aiguillage liée à ce foutu GPS et hop, d'un coup, d'un seul, je me retrouvais en face de l'ineffable Delphine, la reine du coloriage, à lui servir mon boniment à la mode parisienne. Selon les statistiques, j'avais autant de chance d'en arriver là que le pape Benoît Seize de se fumer un pétard de jamaïcaine.
«Où il y a de la gêne, il n'y a pas de plaisir ! » ne cessait de dire ma logeuse. Autant dire que je n'avais pas réfléchi une minute et je m'étais lancé à la recherche de ce magasin où le vendeur m'avait fourni la tenue complète de Hurlu. Je m'étais étonné à plusieurs reprises de son regard amusé et de celui des autres clients mais quand j'avais demandé la raison de leur sourire ils m'avaient tous répondu que c'était dans la nature belge d'être toujours joyeux et que nous les Français on ferait bien d'en prendre de la graine.
Sur la route, au volant de ma belle voiture allemande, achetée à prix d'or pour frimer devant Arielle, je m'étais arrêté à une station-service remplir le réservoir. Le pompiste, encore un imbécile heureux, n'avait cessé de rigoler en me servant le diesel.

Une heure plus tard, je ne voyais toujours pas de Delphine à l'horizon, juste d'affreux marmots qui me braillaient dans les oreilles leur chanson à deux balles. «  Vivent les allumoirs, ma mère, vivent les allumoirs ! » chantaient ils, bientôt rejoints par des adultes habillés de toutes les couleurs.



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