Une certaine logique
Date 26-11-2014 19:16:21 | Catégorie : Nouvelles confirmées
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Une certaine logique
L'aéronef s'approcha de 4540s, une planète minière du système PBK2014.
Lee regarda le spectacle spatial avec le même étonnement que la première fois. Il en avait visité des mondes lointains mais à chaque fois la magie opérait : ici, il contemplait 4540s peu éclairée par une naine rouge avare de chaleur.
Lee se demanda ce qu'il trouverait lors de son inspection.
Les chiffres ne mentaient pas : 4540s affichait une perte d'exploitation alors qu'elle recelait des métaux faciles à extraire et à transformer sur place. Contrairement à ses voisines riches en hydrocarbures mais peu hospitalières, cette sphère rocheuse permettait à une colonie d'humains de vivre en parfaite autonomie. Une civilisation minière s'était installée depuis des générations et elle avait perfectionné les techniques d'extraction et de conditionnement de l'or, de l'argent et du cuivre présents dans le manteau planétaire.
« Comment un tel site peut-il passer de profits exceptionnels en pertes abyssales si rapidement ? » avait demandé Ursula, le contrôleur de gestion en charge de PBK2014, avant d'envoyer sur place un inspecteur de niveau 7.
Lee aimait son métier.
Après une carrière exemplaire dans l'armée, il n'avait pas eu beaucoup d'options. Peu versé en politique, Lee n'avait pas choisi une carrière de parlementaire mais s'était orienté vers le secteur privé. La Compagnie payait bien et recherchait des individus capables de décider vite.
Lee savait que l'intelligence ne suffisait pas pour percer dans ce métier. Il devait montrer son instinct de tueur comme lors de ses campagnes militaires.
Tuer des extra-terrestres hostiles c'était une chose, condamner une planète entière à une mort certaine demandait une bonne dose de sang-froid. Beaucoup de ses collègues avaient craqué après deux ou trois fermetures de site. Certains d'entre eux avaient même mis fin à leurs jours.
Lee se versa une tasse de thé.
Il connaissait les conséquences de sa mission pour les ouvriers concernés par son diagnostic. Cependant, au contraire de ses prédécesseurs, Lee avait été officier supérieur dans l'armée. Il savait que sacrifier quelques unités pour gagner une bataille était une tactique souvent gagnante. Lee ne s’embarrassait pas d'une quelconque morale et ne considérait pas l'individu comme un facteur décisif.
D'ailleurs, la lecture des rapports précédents le sidérait encore.
« Il faut être détaché des réalités pour écrire des conneries pareilles ! » avait-il hurlé à la lecture du premier rapport.
S'il avait eu le rédacteur sous la main, il l'aurait probablement atomisé sans autre forme de procès.
L'aéronef se posa sur le sol grisâtre de l'astroport.
Lee se soumit aux procédures d'usage puis se dirigea vers l’hôtel où une chambre lui était réservée. Le chauffeur de taxi ne lui adressa pas la parole. Lee en conclut que sa venue avait fait le tour de la ville et qu'il ne gagnerait pas le premier prix de popularité. La réceptionniste l'enregistra sans un sourire et Lee déposa ses bagages avant de reprendre la route en direction de la filiale locale.
Il avait du pain sur la planche avec les dirigeants de la succursale qui devaient l'attendre au garde-Ã -vous.
— Montrez-moi les derniers résultats, demanda-t-il au directeur général.
— Je voudrais d'abord vous faire visiter une usine, proposa ce dernier.
— Je m'en balance, répliqua Lee. Nous n'en sommes plus là . Vous le savez. Votre filiale n'est pas rentable. Il va falloir trouver des solutions rapidement.
— Les conditions de travail sont très difficiles sur ce monde lointain, expliqua son interlocuteur, un quadragénaire au physique d'instituteur.
Lee le toisa et se demanda pourquoi la compagnie embauchait des intellectuels pour diriger des opérations aussi simples.
Sa logique déclinait l'entreprise selon la division du travail : d'un côté, il y avait les décideurs qui conduisaient la Compagnie vers des profits juteux, de l'autre, il y avait les productifs cantonnés au rôle d'exécutant.
Les premiers apportaient la valeur ajoutée des produits bruts qu'extrayaient les seconds. L'économie tournait depuis des siècles grâce à ces fondamentaux, assurant le gîte et le couvert à des milliards d'individus.
Après une journée bien remplie, passée à écouter les représentants du personnel lui raconter combien la vie était pénible sur cette petite planète isolée à travailler pour un salaire de misère et sans perspective d'évolution, Lee décida qu'il en avait assez entendu.
Il commanda un taxi et rentra à l'hôtel. Sa surprise fut grande quand le chauffeur entama la conversation.
— Vous êtes venu pour fermer le site, déclara ce dernier.
— C'est une possibilité, mentit Lee qui savait en son for intérieur qu'il préconiserait le démantèlement des installations.
— Avez-vous rencontré des ouvriers ou visité la ville ?
— Je ne suis pas versé dans le social et le tourisme n'est pas ma première préoccupation.
— Pourtant, vous êtes conscient qu'une fermeture plongerait notre monde dans la misère.
— Tous les collaborateurs seront réaffectés sur d'autres sites, selon les besoins de la Compagnie en main d’œuvre qualifiée.
— Vous rayez une civilisation construite dans la douleur sur la base de quelques chiffres et d'une journée d'entretiens avec des gens désespérés.
— Le système est conçu ainsi. Il fonctionne bien. Qui suis-je pour le remettre en question ?
Visiblement, la réponse de Lee avait calmé le chauffeur car il n'eut pas de réponse.
« Il faudra que je signale son matricule, il y a de la graine de révolutionnaire dans ce garçon. » pensa-t-il en réglant sa note.
Lee se rendit dans sa chambre où il se versa un whisky avant d'entamer la rédaction de son rapport final. Il ragea en pensant aux inspecteurs précédents et à leurs tergiversations quant au futur de 4540s.
« Si ces mollassons avaient pris les bonnes décisions plus tôt, cette planète serait redevenue profitable. » conclut-il, fier du devoir accompli.
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