La maison en coquillages N°2

Date 05-02-2012 18:10:00 | Catégorie : Nouvelles confirmées


La maison en coquillages 2


Linette se réveillait avec un goût lourd dans la bouche, elle avait encore envie de vomir, elle se sentait fatiguée.
Sans bouger elle écoutait, les oiseaux qui griffaient les vieilles gouttières de zinc au dessus de la fenêtre. En raison de la petitesse de la pièce et du peu d'épaisseur des murs, il semblait que toute la nichée se trouvait dans la chambre.
Elle se laissait bercer par les piaillements de ses "amis". Elle s'inquiétait souvent pour eux et veillait à laisser régulièrement ses restes de pain sur le balcon.
Elle imaginait qu'ils étaient une famille de cinq, avec un papa, une maman et leurs trois petits, tous unis et elle aimait penser qu'ils étaient heureux de vivre ensemble et qu'ils s'aimaient beaucoup.
Sa petite sœur à son côté, grogna en la sentant bouger et se lever.
Dans le noir, Linette enfila sa robe blouse, cousue dans ce beau tissu écossais, achetait chez Boussac..
Elle portait cette robe toute la semaine et sa mère l'agrémentait d'un col blanc pour la tenue du Dimanche.
Daniel se réveillait lui aussi lentement.
Sans se réveiller tout à fait, avec des gestes machinaux elle ouvrit la fenêtre et commença de plier les grands volets en fer, cette action provoqua l'habituel raffut dans la famille piaf.
L'air frais, en entrant dans la pièce sombre, la réveilla un peu plus.
Agissant toujours par automatisme, elle ouvrit la porte de la "salle à manger", où le lit-cage était encore ouvert, sa mère sous les couvertures dormait encore, elle contourna la table et se trouva dans la petite cuisine.
Elle commença comme chaque matin par secouer énergiquement le cendrier de la cuisinière, puis elle descendit dans la cour, jeter les cendres sur le tas destiné à cela.
Ce tas n'avait aucune chance de grandir vraiment; le vent le soufflait régulièrement et répartissait le nuage de poussières grises sur le mâchefer recouvrant le sol de la cour, et sur le dos de Dick, le chien des voisins qui vivait là à l'attache.
Ce pauvre Dick passait le plus clair de son temps à aboyer comme un démon après les passants de l'autre côté de la grille, il tirait avec désespoir sur sa chaîne et Linette venait souvent le calmer par des caresses et quelques paroles tendres que le pauvre chien lui payait par de grands coups de langue sur la figure.
Linette n'était jamais dérangée par cette toilette canine qu'elle recevait avec compréhension.
Le tiroir de cendre vidé, Linette remonta son escalier-échelle pour aller remplir le foyer de la cuisinière de charbon, elle faisait glisser les morceaux de coke depuis le grand seau étroit en forme de broc.
La veille, comme de coutume elle était allée remplir le seau au tas entreposé dans le cagibi réservé à cet effet..
Dans la cour à côté des "ouatères", il y avait deux portes de mauvais bois vermoulu. La première ouvrait sur un grand débarras commun aux trois familles vivant dans la maison, et dans le second était entreposée les trois réserves de charbon alignées côte à côte.
Linette, comme tous les enfants aimait voir le bougnat faire sa livraison.
Cette arrivée était une distraction pour tous les gamins du voisinage qui entouraient, curieux et envieux, ces deux pères noël tous noirs.
Les livreurs venaient toujours en escouade de deux ou trois compagnons, tous aussi noirs les uns que les autres, ils étaient curieusement coiffés, ils portaient sur la tête en guise de longue houppelande qui les couvraient jusqu'aux fesses, les grands sacs de jute qu'ils avaient vidés sur le tas, montagne noire qui reprenait ainsi de la hauteur.
Ces hommes avaient bien de la chance de pouvoir se salir comme ça sans se faire disputer, pensaient les petits spectateurs.
Voilà que, le foyer de la cuisinière "à feu continu", fierté de sa mère, était à demi rempli, il fallait maintenant casser par dessus les morceaux de cagette de bois fin qui attendait en réserve sur le sol et que son père rapportait régulièrement de sa "tournée" de facteur.
Ensuite Linette complétait le foyer en froissant des pages entières de journaux : l'humanité, France dimanche ou le parisien dont se servait le poissonnier du marché pour emballer les maquereaux et les merlans qu'achetait sa mère.
Quand elle craquait l'allumette sur son tas de papiers, si par inattention elle avait mis l'un de ces emballages de fortune au feu, l'odeur de poisson se faisait sentir et parfumait bizarrement la maison pour la journée entière.
La flamme bien installée, la petite prenait alors le crochet, accrochait et replaçait un à un les cercles de fonte de la cuisinière qui ne tarderait pas à réchauffer l'eau nécessaire pour le café.
Elle s'asseyait, alors dans la cuisine, le dos à la fenêtre, le gros moulin à café coincé entre ses cuisses et moulinait la dose de la journée.
La chatte Pampinette avait profité de la station assise de la petite fille pour se coucher sur les vieilles charentaises de Linette.
Elle attendait les habituelles caresses du matin avant de partir en goguette sur les toits avec les autres chats du quartier.
Maman se levait, suivi des deux petits.
Linette savait que sa maman était très belle.
c'était une grande femme élancée et aux formes superbes, elle avait de merveilleux cheveux noirs, des grands yeux gris bleus, une jolie bouche, et les traits fins.
Elle disait souvent d'elle-même qu'elle ressemblait à Gréta Garbo et beaucoup disaient que c'était vrai.
Elle parlait beaucoup de sa beauté et se comparait sans cesse aux autres femmes.
Linette en avait conclut que sans la beauté une femme était sans importance.
Pour le moment sa maman avait son beau visage ravagé, les yeux gonflés et noirs en dessous, ses lèvres étaient enflées et ses bras son cou, marqués de toutes les couleurs.
Les derniers bleus n'avaient pas eu le temps de s'effacer tout à fait que ceux ci commençaient déjà à noircir.
Tout à l'heure sa maman descendra, elle dira à la voisine, qui à hier appelé les policiers, elle dira à tous les voisins, qu'elle s'est encore cognée dans le tiroir, la porte, le placard, n'importe quoi, et tous ne feront aucun commentaire. Il ne faut rien dire, c'est comme ça !
Linette avait compris ça depuis longtemps, il y avait deux univers bien séparés, ce qui se passait dans la maison d'une part et la vie dehors d'autre part, et jamais ces deux univers ne communiquaient, jamais !
Et c'était très bien comme ça, Linette avait déjà trop honte, mais tellement honte, alors si dehors tout cela n'existait plus, elle se sentait libre et elle avait hâte de sortir retrouver ses copines,
Le silence était son oubli, son droit de passer d'une vie à l'autre.
c'était jeudi, pas d'école mais cet après midi, elle irait avec Anita et Christiane au patronage.


Loriane Lydia Maleville




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