Les grandes émotions de maman.

Date 24-05-2012 13:50:00 | Catégorie : Nouvelles


Quand j'étais petit, maman avait, en parlant de moi, une expression qui revenait souvent : « Toi, tu me feras mourir d’ inquiétude ». Et puis, le temps passant, elle en avait trouvé une autre que je n’ai jamais bien compris : « Toi, tu ferais couper la tête à ton avocat ! « .



Maman avait tellement pris l’habitude de se préoccuper de moi que cette habitude lui est restée, même après mon retour de la Marine. Ainsi, quand je rentrais à la maison, sur la pointe des pieds, à 02h du matin, maman m attendait, assise sur une chaise, dans le noir. Après le rituel: ‘ c’est à cette heure-là que tu rentres,‘, elle se mettait à me faire des frites en poussant de gros soupirs.

C’est au fil du temps, depuis que maman n’est plus là, que j’ai réfléchi aux soucis que je lui ai créé.



Le premier dont elle se souvenait, c’était à l’époque où je commençais à me déplacer à quatre pattes. Comme il faisait beau, elle m’avait , un jour, installé sur une couverture, dans la courette, en bas de chez nous, à Brive. Puis elle a vaqué à ses occupations. Quelques instants plus tard, elle a jeté un coup d’œil par la fenêtre pour me surveiller. Je n'étais plus là !

Aussitôt dehors pour me récupérer, elle vit la courette vide. Ses appels désespérés attirèrent les femmes du voisinage qui se mirent à me chercher pendant que ma mère, affolée, disait que je ne pouvais pas être bien loin.
C’est l’éclat de rire d’une voisine qui l’a vite rassurée. Elles se sont toutes rassemblées en me laissant poursuivre ce que j’étais en train de faire :

A quatre pattes, je m’étais faufilé dans les rangs de vignes qui longeaient l’allée de la courette, et là, le cou tendu , la bouche ouverte, je broutais goulûment les grappes de raisin à portée de mon museau.

Peu de temps après, elle a eu le droit à la scène du bahut écroulé : Je me servais du battant de la porte pour me balancer. Le bahut s’écroula, avec toute sa vaisselle. Maman m’a cherché longtemps avant de me découvrir, enfoui dans le panier à linge.

Une autre fois encore, quand je pouvais me déplacer normalement, sur mes deux jambes, elle était en train de me chercher quand elle m’a vu arriver, en voiture à pédale , sur le boulevard ( il n’ y avait guère de circulation, à cette époque ) ! Je venais d’échanger mon harmonica contre la voiture…
Elle m’a raconté, plus tard, une de mes aventures dont je n’avais qu’un très vague souvenir; Là, je commençais à bien marcher. Je portais un gros et lourd casque allemand ( la débandade devait avoir commencé ) et ma ‘ mitrazette ‘en bois. Je jouais sur le trottoir du boulevard Henri de Jouvenelle, en bas de chez nous, quand une patrouille allemande est passée. Il paraît que je me suis placé devant eux et qu’ ils se sont arrêtés en souriant . C’est alors que j’ ai crié bien fort : « Papirs ! « Le chef de patrouille m’a soulevé de terre et m’a redéposé sur le trottoir. Les contrôles, en ville, avaient du m’inspirer…



Mais le summum de ses émotions, maman l’a vécu en plusieurs étapes, dans la même journée. Et là, mes propres souvenirs suffisent: ses terreurs de la journée m’ayant gravé l‘esprit.

Juste après la libération, je devais donc avoir trois à quatre ans, maman à pu enfin aller voir sa sœur Madeleine qui habitait près de Belfort. Nous sommes partis de Brive ensemble et je n’ai gardé du voyage de l’aller que le souvenir des poteaux télégraphiques qui défilaient dans le paysage.

Je revois la maison de ma tante, avec la margelle du puits au milieu de la cour et un tonnelet à droite de la porte d’entrée, où on jetait les fruits gâtés pour, disait-on, en tirer de l’ alcool. Ce tonnelet m’intriguait beaucoup.

Le jour du retour vers la maison étant arrivé, il avait été entendu que ma petite cousine, un peu plus âgée que moi, ferait le voyage avec nous pour revenir plus tard, avec sa mère qui nous rendrait visite.
L’heure du départ approchait et maman m’a appeleé pour la cérémonie des adieux. Pas de réponse…

Maman, entraînée pour ce type d’angoisse, n’a pas eu à subir les affres des étapes intermédiaires: de suite, ça a été les grands cris et les lamentations. Même très longtemps après, quand elle m’en parlait, je sentais bien que je risquais de me prendre une paire de gifles !



Flash back...



Maman et tata étant en train de boucler les valises, j’avais senti la nécessité de contribuer à l’effort collectif et, fier de ma résolution, je m’ étais éclipsé, sans qu’ on me voit, pour partir vers le lavoir, assez loin de la maison mais, faut ce qu’ il faut, je devais laver mon mouchoir avant de partir .

Je présume que maman avait du me mettre un mouchoir propre dans la poche, mais si on s’attarde sur les détails….

J’ai donc consciencieusement lavé mon mouchoir et puis j’ai allègrement fait le chemin du retour, Là, je me vois bien revenir, fier comme un paon.

Mais qu’est-ce que c’était que cet attroupement devant la maison, avec tous ces gens penchés au bord du puits ? Vous pensez bien que je n’ai pas eu beaucoup le temps de me questionner ! Un tourbillon hurlant a fusé du groupe et m’a arraché du sol. Là, la tête m’a tourné. Entre les bisous à haute fréquence, qui m inondaient le visage, et les cris de colère, qui me rabattaient les oreilles en arrière, je ne savais plus où j’étais . Maman était littéralement folle d’inquiétude. J’ai eu beau lui montrer mon mouchoir encore dégoulinant d’ eau, ça ne la captivait pas .

Nous sommes partis enfin à la gare.

Maman suffoquait toujours d’émotion. J’ai fait mon possible pour me faire oublier pendant le voyage jusqu’à Paris. Ma petite cousine, assise auprès de moi, semblait déjà être solidaire des femmes en détresse et me lançait de lourds regards chargés de reproches. Ben quoi ? J’ai juste été laver mon mouchoir !



Arrivés à Paris, nous avons pris un taxi pour la gare d’Austerlitz. Nous étions installés, avec beaucoup d’avance, dans un compartiment. Il était prévu que papa, qui travaillait en déplacement à Paris, viendrait nous voir à la gare, et maman guettait son arrivée, à la fenêtre du compartiment.

Le temps passait et la foule se faisant plus dense sur le quai, maman décida d’aller en queue de train pour avoir plus de chance de ne pas rater mon père.

Elle me confia à ma cousine avec beaucoup de recommandations et me fis entrevoir les portes de l’enfer si je bougeais une fesse de ma banquette. J avais bien compris.

Le temps semblait s’éterniser. Maman ne revenait pas. Quand une voix tonitruante annonça que le train allait bientôt partir, la panique m’a envahi. Maman n’était pas revenue !

Malgré ma cousine qui me retenait par mes vêtements, en criant, j ai remonté en courant le couloir du wagon et, la porte étant ouverte, je suis parvenu difficilement à descendre les deux ou trois marches du wagon. J’étais sur le quai.

Brusquement, je me suis senti perdu, seul, au milieu des gens qui couraient pour ne pas rater le train.

Les annonces précipitées des haut-parleurs avaient l’air de cracher des aboiements, de la vapeur commença à m’environner et, après un long coup de sifflet, le train se mit lentement à démarrer !

C est alors que j’ai éclaté en sanglots, en poussant des cris désespérés. J’avais perdu ma maman !
Un monsieur, sur le quai, m’a aperçu et a vite compris la situation : il m’a attrapé et m’a soulevé aux bouts de ses bras en criant :- ‘ A qui il est, le gosse ! ‘ Un peu plus loin, à une fenêtre du train, ma mère a hurlé : - ‘ Mon fils ! C’est mon fils ! ‘

Aussitôt, le monsieur m’a jeté par une porte encore ouverte et des gens m’ont attrapé.

Je n’ose pas vous décrire l’arrivée de ma mère, et l’état dans lequel elle était…

Dans le compartiment, où elle m’a ramené, elle à eu un très long moment de larmes, solitaire, et là, j’ai cru bien faire de la laisser tranquille. C’est vrai, quoi , depuis ce matin, elle ne faisait que s’occuper de moi, je pouvais bien la laisser un peu seule avec ses soucis.
Entre deux sanglots, elle expliquait à ma cousine que mon père n’était pas venu et qu’elle était restée à le guetter par une fenêtre jusqu’ au départ;

Bon, d’ accord, j ai eu le droit à ses reproches, ses colères, ses bisous, ses menaces et ses caresses, mais c’est que j’avais faim, moi ! Je n’avais rien mangé depuis un bon moment !

Alors, pour se faire pardonner, maman nous a emmenés au wagon-restaurant .Ouah super ! C’était chouette, les voyages !











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