Léo (extrait n°5)

Date 08-01-2015 21:34:09 | Catégorie : Nouvelles confirmées


"Mes parents m’ont souvent dit que j’avais une certaine propension à ne faire revenir à la surface que les mauvais souvenirs. Moi, je me disais plutôt que les bons moments supposés ne devaient pas être partagés.
D’une manière générale, l’école primaire ne m’a pas posée trop de problèmes. Mes résultats étaient très irréguliers, mais pas alarmants. Ils fluctuaient au gré de mes humeurs mouvantes. Je ne semblais pas développer de troubles du comportement ou de l’apprentissage.
Pourtant, je me remémore que déjà à l’époque je n’avais pas vraiment d’amis. Souvent, j’étais seul, mais ne me souviens pas en avoir souffert. Je me sentais déjà très singulier, sans trop comprendre pourquoi. Je connaissais les grands traits de mon histoire, et me disais parfois que mon destin serait en quelque sorte exceptionnel, ou tout au moins, peu commun.
Je me souviens que quelques fois, me rendant à l’école à pied, je regardais le ciel éclatant en pensant que toute cette lumière était là pour ne baigner que moi.
Je me sentais rêveur.
Aussi, de temps en temps, comme un enfant de mon âge, il m’arrivait d’avoir le cœur léger.
Cependant, parfois aussi, quelque chose en moi me disait que le regard que je portais sur le monde et les choses n’était pas ordinaire.
Avais-je déjà une conscience exacerbée d’un certain désenchantement du monde ?
Une douce mélancolie naissait en moi. Sans pouvoir y mettre des mots, je n’avais de cesse d’opposer à l’ordre de ce monde, où je saisissais si peu, une cruelle absurdité. Déjà, une peine à être ou un sentiment d’incapacité musardaient en moi.
Il ne s’agissait pas encore d’une absence de goût de vivre.
Il me fallut attendre l’adolescence.
Ce sentiment mélancolique se traduisit plus tard comme une peine existentielle, immuable et moqueuse, qui inexorablement organisa pendant longtemps toutes les expressions de ma pensée. Bientôt, ces élans de tristesse, jouissifs ou douloureux, allaient me précipiter à la marge du monde, ou tout juste à son orée, poétique et singulière, mais toujours écorchée.

Encore enfant, je comprenais déjà que je n’en étais plus tout à fait un. Je me sentais à part, baroque, trop souvent plongé dans les méandres d’une extrême solitude, où se jouait en moi, une souffrance morale excessive, qui, aujourd’hui encore, quelques fois, me paraît insurmontable…
•••

Je ne me suis jamais vraiment entendu avec mon frère Kamel. Je crois qu’il était le feu, autant que j’étais l’eau. Nous n’avions décidément rien en commun et ce n’était pas qu’une affaire de sang. Nous partagions tant bien que mal une seule chose : notre chambre.
Pourtant, en regardant d’anciennes photos, il me revient que notre mère nous habillait de manière identique. J’imagine qu’elle se rassurait en se disant qu’elle faisait tout autant pour l’un que pour l’autre. Aussi, je pense que c’était sa façon à elle de rendre sa famille un peu plus lisible ou uniformisée face aux regards extérieurs. Physiquement, il était évident que nous n’étions pas frères. L’un était basané et l’autre semblait ne jamais avoir vu le soleil. Devant cette mascarade déconcertante, il est même arrivé que certaines personnes, sûrement désappointées, finissent par dire à notre mère que nous nous ressemblions.
Faussement incrédule elle nous disait après coup :
- « C’est dingue comme les gens sont idiots. Vous ne vous ressemblez quand même pas ! Enfin, peut-être qu’à force de vivre ensemble, il n’est pas impossible que vous finissiez par attraper des airs ! ».
Je ne crois pas que cela soit arrivé.

Je n’ai pas beaucoup de souvenirs heureux avec Kamel. Nous jouions assez peu ensemble. En revanche, nous nous bagarrions souvent. Se souvient-il d’un coup de pelle dans le dos ? Je me souviens d’un plomb dans ma cuisse et d’une boule de pétanque sur mon pied. Peu importe, de toute manière, j’ai sûrement plus de souvenirs que lui car il était plus fort que moi.
Kamel aimait regarder la télévision. Je n’ai jamais aimé ça. Il aimait les westerns et la guerre. J’y préférais le jardinage et les insectes. Il était sportif et adorait l’équitation. Moi, je restais terriblement mal dans ma peau et j’avais peur de tout, même des chevaux. Lui, avait une morphologie solide, carrée même. Plus tard, il devint même assez musclé.
Moi, j’étais un gringalet. Aujourd’hui, je suis très grand, mais toujours efflanqué..."




Cet article provient de L'ORée des Rêves votre site pour lire écrire publier poèmes nouvelles en ligne
http://www.loree-des-reves.com

L'url pour cet article est :
http://www.loree-des-reves.com/modules/xnews/article.php?storyid=5484