Mes chers amis- 1

Date 28-05-2012 17:10:12 | Catégorie : Nouvelles


Toute personne ayant traversé mon existence m’ a laissé une empreinte, un souvenir. On se retourne sur son passé et ils sont tous là, avec le visage qu’ ils avaient à une époque précise. Les souvenirs prolongent la jeunesse, si on sait les manipuler.

Il arrive, hélas, que le parcours se jalonne de croix. C’ est inévitable, bien sûr, mais jamais quand c’ est trop tôt, bien trop tôt.

J’ ai coutume de dire, depuis une vingtaine d’ années que, lorsque je vais en Normandie, je dois faire la tournée de tous les cimetières pour saluer mes anciens compagnons d’ enfance. Bien sûr, je le dis avec un humour chargé d’ amertume et de peine. Mais, quand même…est-ce une fatalité si tous mes amis ont disparus avant la cinquantaine ?

Et puis, en réfléchissant, je fais une honnête comparaison entre leur vie et leur départ précoce. Il me semble qu’ ils étaient tous marqués, dès le départ .


Ti-louis :
L’ exemple type du manque de pot chronique . Né par erreur de parents alcooliques persévérants, il n’ était toutefois pas dénué de bons sentiments. J’étais son voisin de pupitre, en communale, et j’ ai donc connu sa passion pour la belle écriture, les lettres calligraphiées et la netteté de ses textes. Comme il fallait qu’ il se débrouille pour se nourrir, les commerçants le laissaient, avec parcimonie, voler un peu de nourriture. Ce qui faisait que parfois, pendant une leçon du maître, je le voyais soulever son pupitre et, rapidement, arracher à pleines dents un gros morceau du saucisson qu’il avait en réserve. Il en profitait pour me lancer un sourire narquois, comme un défi.

Les soirées de ses parents étaient des orgies ( bien connues ) avec leurs voisins d’ en face: des alter ego aimant les distractions nocturnes. Les enfants, bien entendu, ne les dérangeaient pas du tout et se cultivaient de visu. Nous avions la primeur de la soirée, le lendemain, à la récréation.

Quoi d’ étonnant à ce que Ti-Louis mette en pratique ces cours du soir ? Hélas, la fille des voisins était beaucoup, beaucoup trop jeune, quelle que soit la tolérance ambiante, pour que le fait passe inaperçu.

Ti-Louis entama son premier séjour dans une maison de redressement. Il en revint quelques années plus tard, fort aguerri, avec un appétit féroce de chair fraîche, consentante, si possible.

Quelques mésaventures à peine tolérables lui valurent un placement dans un centre professionnel spécialisé pour des garçons comme lui.

Quand il en sortit, il se crût devenu prudent et se contenta des laissées pour compte entièrement consentantes, voire même demandeuses. La scoumoune le poursuivait : le père d’ un de ces laiderons, directeur d’ usine, humilié, n’ eut pas de difficulté pour envoyer Ti-Louis devant ses juges habituels.

Cette fois-ci, il eut droit à un beau voyage. Belle-île sur mer ! À une époque où l’ endroit était plutôt connu pour son bagne pour enfants.

Vous pourriez dire: mais alors, avec tous ces voyages, à quel moment j’ ai pu le fréquenter ? Durant toutes les mi-temps, quand il se retrouvait au pays . Honnêtement, s’ il n’ avait pas eu ses démons personnels, je pense que je lui étais bénéfique. Même si nous avons fait les trois ou quatre cents coups, ensemble. Cela pourrait remplir bien des pages..

Lorsqu’ il est revenu de Belle-île, l’ armée l’ attendait. Bien sûr, il méritait un traitement de faveur, il l’ a eu : bataillon disciplinaire au cœur de l’ Afrique. Il a appris à chasser le phacochère…

Il en est revenu en sarouel, avec un affreux clebs mâtiné chacal, horriblement méchant, que Ti-Louis avait baptisé ‘ Mékouille ‘, juste pour avoir le plaisir de l’ appeler en public.

Bien sûr, la même passion bouillonnait toujours en lui . Sa tante et son époux, connaissant ses antécédents, n’ auraient jamais dû partager leur lit, le soir où Ti-Louis leur faisait visite. La tante a bien essayé d’ être silencieuse, mais, je présume que le mari, lui, ne devait dormir que d’ un œil. Heureusement, ce genre de petite blague ne se règle qu’ en famille.

Ti-Louis est rentré dans les rangs. Il trouva une gentille, et belle de surcroît, petite jeune femme à qui il se dépêcha de faire quatre enfants qui étaient là, émus, lorsque leurs parents s’ épousèrent , pour le ‘ pas trop mauvais’ et le pire . Je n’ ai jamais eu le courage ni l’ envie de compter les enfants qui se succédaient . Pendant les années avant mon départ pour Marseille, j’ étais tous les soirs chez eux. Puis à l’ occasion de mes nombreux voyages en Normandie, je ne manquais jamais d’ aller les voir.

Ti-Louis avait eu tous les défauts, j’ en conviens, mais il n’ a jamais ( tout comme moi ) été dépendant de l’ alcool.

Après une longue période sans nouvelles de lui ( la vie …), j’ ai voulu renouer des contacts et son épouse m’ a appris qu’ils avaient divorcé, que Ti-Louis s’ était mis à picoler et qu’ il en était mort. J’ ai fait de nombreuses recherches pour savoir où il se trouvait enterré. Personne ne le savait .

Ti-Louis passera donc son éternité dans le même oubli qu’ il a connu sur terre .

Moi, souvent, je pense à mon copain Ti-Louis, quand nous faisions des randonnées à travers la campagne, sur la moto qu’ il n’ a jamais payée,. Sa ‘ too much ‘, comme il l’ appelait, en souvenir de la chanson d’ Elvis que je chantais sans arrêt . A Ti-Louis dont la totalité de sa garde-robe était un tricot gris en laine, avec des gros trous, un pantalon de bleu avec un fond rapiécé par un bout de tissu à fleurs ! Et des grosses bottesen caoutchouc.

Bien entendu, quand nous’ sortions’, je lui prêtais des fringues; il me les rendait à contrecœur, quand ils étaient récupérables …

Ti-Louis, mon pauvre pote, une joie de vivre dans une peau condamnée, avec tant d’ humour, tant d’ indifférence à la malchance et l’ adversité.

Dommage que je ne crois pas aux retrouvailles, après la mort.






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