Partie chercher du pain : la version de Michel

Date 30-01-2015 07:00:00 | Catégorie : Nouvelles confirmées


Ce matin-là, je me rappelle m’être levé et avoir trouvé ce délicieux croissant sur la table. Il était déjà dix heures et je décidai de préparer un bon café pour deux. C’est en versant la tasse destinée à Laurence que je découvris son petit mot : « Partie chercher du pain… et je ne reviendrai plus. ». Cette phrase fut comme un coup de poignard dans le contrat de mariage que nous n’avions pas signé, comme un avortement des enfants que nous n’avions pas eu. Etant aussi fin limier qu’un comptable rigoureux, je me dis que le boulanger l’avait forcément vue. Je me rendis donc à l’adresse indiquée sur le sachet du croissant esseulé. Le patron, dont le visage n’avait pas vu la tête d’un rasoir depuis plusieurs jours et le corps un diététicien depuis plusieurs années, m’informa que c’était son intérimaire qui était de service dans le magasin le matin. Je demandai à le rencontrer, sans en préciser la raison. Mais ce dernier venait apparemment de terminer son contrat et était parti. Avait-il, lui aussi, laissé un mot d’adieu à quelqu’un ? Je ne le saurai jamais.
Je passai ensuite au bureau de police en montrant le petit message laissé sur la table. L’agent me dévisagea en disant « Vous pensez qu’on n’a pas d’autres choses à faire que de régler des problèmes de rupture amoureuse ? C’est un conseiller conjugal qu’il vous faut, mon ami ! » avant de partir dans un rire gras et moqueur. Avant que je ne quitte son bureau miteux, il me lança « Et ne vous avisez pas à jouer du couteau ou du revolver si Madame revenait accompagnée, sinon vous aurez affaire à moi personnellement ! ».
De retour à la maison, je pris mon téléphone et composai le numéro du portable de Laurence. Une faible sonnerie retentit avec, en écho, la chanson « Il est libre Max ». Je suivis le son jusque dans la chambre et découvris son GSM au fond d’un sac à main que je lui avais offert et qu’elle n’avait jamais aimé.
Je laissai passer quarante-huit heures avant de me présenter à nouveau à la police, ce délai faisant passer Laurence au statut de personne disparue. Je m’étais muni d’une photo prise lors de nos dernières vacances en Bretagne, où elle posait en maillot. J’avais hésité à prendre une autre de notre weekend au Cap d’Agde. Mais là, elle était nue. Cela aurait sûrement capté l’attention des policiers mais n’aurait pas pu figurer sur un avis de recherche. L’agent me demanda les coordonnées des parents et amis proches de ma chère et tendre. J’appris qu’elle avait téléphoné la veille à sa mère pour prendre des nouvelles en disant qu’elle était heureuse, mais sans donner plus d’explications. Lorsque Belle-Maman eut vent du départ précipité de sa fille du domicile presque conjugal, elle rit en lançant : « Il était temps qu’elle ouvre les yeux ! ». Cette femme ne m’avait jamais porté dans son cœur. Elle rivalisait d’ingéniosité à chaque repas familial pour préparer les plats les plus dégoûtants.
Les semaines passèrent jusqu’à la réception dans ma boîte aux lettres d’une carte postale avec le cachet d’un petit village bordelais et ces mots : « J’ai trouvé le bonheur ailleurs. Nous n’étions pas faits l’un pour l’autre. Sois heureux ! ». Je me rendis donc dans ce village et montrai la photo de Laurence aux rares commerçants installés sur l’unique place. L’un d’eux la reconnut et m’orienta vers un viticulteur. Ce dernier connaissait en effet l’ex-femme de ma vie et m’annonça que, les vendanges terminées, elle était déjà partie sous d’autres cieux au bras d’un certain Gauthier. Je fus envahi par un sentiment profond de jalousie. Je connaissais enfin le prénom du voleur du cœur de Laurence. C’était sûrement lui qui l’avait embobinée pour l’emmener loin de mes bras.
J’avais pris une chambre dans une petite auberge d’une ville voisine. Attablé dans la salle du restaurant quasi vide, la patronne vint prendre ma commande. La carte se limitant au plat du jour, un Gratton de Lormont, mon choix fut vite fait. Elle en profita pour faire un brin de causette. J’appris que son comptable venait de se faire la malle avec la caisse. Mon regard ne pouvait se détacher du sien. Je sentis mon cœur se mettre à battre la chamade, comme il ne le faisait plus depuis longtemps. Il m’apparut soudain que mes sentiments envers Laurence s’étaient estompés au fil du temps. Je comprenais alors la raison de son départ. Moi aussi je venais de trouver une porte de sortie.
Quelques jours plus tard, j’adressai une lettre à mon patron avec en final : « …parti pour d’autres horizons. »




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