La maison en coquillages N° 5

Date 05-02-2012 18:14:58 | Catégorie : Nouvelles confirmées





La maison en coquillages 5

En traversant la rue, les gamines virent une voiture s'arrêter devant la maison de Christiane. 
Cette rue ne voyait pas souvent de voiture passer, aucune des familles alentour ne possédaient ce genre de couteux véhicule.
C'était la marraine de Christiane qui venait en visite avec son fils, un malheureux jeune homme hydrocéphale, dont la tête énorme était posée sur le coussin du siège. Depuis le trottoir d'en face elles voyaient ce jeune guère plus âgé qu'elles les regarder fixement, son regard bleu intense posé sur elles.
Elles avaient toutes les deux le sentiment de malaise et d'injustice que l'on éprouve souvent devant une souffrance sans espoir.
Linette avait conscience devant ce corps immobile et devant cette infirmité qu'elle avait le bonheur d'avoir un corps "normal".
"faut peut-être pas les déranger maintenant, on ira tout à l'heure"
décida Anita.
"t'as raison, on ira en revenant de la boutique rouge".
Linette s'arrêta pour remonter ces longues chaussettes qui après les sauts de tout à l'heure sur le bord du trottoir tombaient comme toujours. Maman changeait souvent les élastiques des chaussettes et des socquettes l'été. 
Linette n'aimait pas trop cela, car lorsqu'elle remettait des élastiques neufs, sa maman les serrait tant, pour "que ça tienne un moment", que Linette avait des traces rouges autour de ces mollets et cette irritation la faisait se gratter jusqu'au sang.
"j'ai froid, et j'en ai marre de mon manteau " 
râlait Anita.
"moi ça va, mais ça me gratte sur le cou"
Linette avait un lourd manteau bleu marine, en tissu rugueux, que sa maman avait fait faire dans la vieille cape de facteur de son père, lorsqu'il avait reçu sa nouvelle tenue.
Elle avait un mauvais souvenir des essayages, au cours desquels elle tressauta sous les piqures des aiguilles à bâtir, et pendant lesquels elle reçu bon nombre de "giroflés à cinq branches", pour lui rappeler de ne pas "bouger comme ça" !
Au pied elle portait comme Anita des "pataugas" de la ville, réputés solides, épais et increvables, disait maman.
Elle avait aussi reçu de la commune de Saint Denis, des pull-overs chamarrés, des bonnets de toutes les couleurs, une écharpe, et une paire de gants moufles. 
Ceux-ci, reconnaissables entre tous, la désignaient aux yeux des autres comme une enfant de ces familles pauvres qui devaient être aidées par les services sociaux.
"oh!, elle a un pull de la ville" 
criaient les garçons en rigolant.
Linette n'aimait pas trop cela, mais n'en était pas réellement dérangée. Elle savait qu'elle n'était qu'une fille de pauvre facteur, d'ouvrier, et que c'était là sa condition il n'y avait rien à en dire.
La mairie de Saint Denis la rouge, était en pointe de l'action sociale, et aidait beaucoup les familles.
Son père communiste, annonçait à tous avec fierté, qu'il avait sa carte du parti, et revendiquait haut et fort sa modeste condition.
Linette, à qui rien n'échappait vraiment, savait bien qu'il était très fier d'être pauvre.
Les deux pipelettes tournèrent à l'angle de la rue et remontèrent toujours bavardant, la rue des postillons jusqu'à la boutique rouge. 
Les rues dans ce petit quartier du champs de course, quartier excentré de Saint Denis, étaient particulièrement modestes. 
Elles étaient bordées de petites maisons basses avec souvent un petit jardin. Beaucoup de ces pavillons banlieusards , étaient plus près de la baraque ou du cabanon rafistolé, que de la maison proprement dite.
La boutique rouge était à l'instar de ces voisines une petite maison sans étage, la vitrine étroite était percée d'une porte qui déclenchait une sonnette destinée à être entendue depuis le fond du jardin.
A droite la boutique où, officiait Nini derrière son long comptoir de marbre. Elle était séparée des clients, et avait derrière elle, sur de longues étagères, les boites de conserves, les pâtes, les "nouilles"... diverses marchandises, et des fruits et légumes qu'elle servait à la demande.
Dans la partie gauche de la pièce à demie fermé par un bout de mur, le bar minuscule où trônait Bébert, ancien reporter journaliste à la retraite, entouré de ses clients-copains pour les uns ou copains-clients pour les autres.
"bonjour m'sieurs dams'"
Le chœur des petites filles reçu un "bonjour les gosses" énergique.
Linette tendit sa bouteille de lait vide à Nini. 
Celle-ci souleva une petite trappe découpait dans le comptoir en marbre et dégagea la grande cuve qui contenait le lait frais. Avec sa grand louche elle remplit la bouteille de Linette.
Leur filet rempli, les petites continuèrent de remonter la rue pour s'arrêter à la boulangerie.
Linette avait pris 3 poireaux et s'attendait à recevoir une gifle elle se sera probablement encore trompée, elle aurait du en prendre deux, et pis non, de toute façon comment savoir ? Ça c'était un gros problème, comment savoir ce qu'il fallait faire ?
Les deux bavardes longèrent le mur de la plus belle maison du quartier, cachée derrière sa longue muraille de béton peinte en rose.
C'était là que vivait "la mère Prigent"
Elle était institutrice dans leur école et se montrait d'une sévérité qui faisait peur aux enfants.
Comme la plupart des enfants du quartier Anita et Linette n'aimaient pas beaucoup "la mère Prigent"
La maman de Linette ne l'aimait pas non plus mais pour d'autres raisons.
Elle disait que ces gens là, n'étaient à plaindre, qu'ils avaient les moyens, qu'ils étaient riches, qu'ils gagnaient bien leur vies, qu'ils avaient une belle situation, qu'ils avaient plus de 100 francs par mois pour vivre, qu'ils étaient pas du même rang qu'eux, que même ils fréquentaient le facteur chef, des gros huiles comme disait papa...en bref Linette savait qu'ils ne les aimaient pas du tout, mais alors pas du tout ! Ils n'étaient pas du même milieu, disait-ils souvent et ça paraissait important. 
Linette entendait sans bien comprendre et ne se sentait pas très concernée.
Linette imaginait la vie des gens riches, elles pensait que ces gens riches devaient être polis, que la maman appelait ses enfants "chéris", et leur "parlait bien", avec gentillesse, qu'elle ne leur "criait pas dessus", qu'ils avaient des livres chez eux, qu'ils se lavaient tous les jours, qu'ils ne pétaient jamais à table ni ailleurs, qu'ils ne rotaient pas non plus, qu'ils avaient des serviettes de tables, et des pyjamas, enfin tout ça, qu'ils avaient des belles manières... 
Au retour, les deux petites filles bavardaient tant qu'elles ne virent pas tout de suite l'homme en vélo qui les suivait.
Le son aigu de sa flute de pan dans leurs dos, et son cri "marchand d'andouille, andouille de vire" les fit sursauter.
"T'avais entendu qu'il était là ? "
"non"
"pourtant il fait du bruit, comment qu'on a fait ?"
la réponse fusa dans un gros éclat de rire
"j'sais pas , p'te qu'on devient sourde ! "
L'homme les dépassa le vélo à la main, elles savaient qu'il y aurait certainement, comme tous les jeudis, de l'andouille au menu à midi.
"Dépêche toi, on va être en retard au catéchisme, faut aller chercher Christiane"
" Crotte de bique, j'ai pas fait les lits ! " s'inquiéta Linette.

Lydia Maleville






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