Détective Trask – Épisode 4 – Mme Ouellet

Date 29-05-2012 04:30:00 | Catégorie : Nouvelles


Note: Un condo est un appartement dont l'habitant possède plutôt qu'il le loue à un propriétaire. C'est très commun en Amérique du nord.

Détective Trask – Épisode 4 – Mme Ouellet

Trask était dans l’entrée de son condo, une lettre à la main. Dans celle-ci, il y avait une phrase toute simple : « On se verra bientôt. » Celle-ci était signée du même homme (ou était-ce une femme?) qui avait mis sa cliente sur sa route. Il n’avait en fait signé que d’une lettre soit « R ». Si Trask n’avait pas déjà assez d’interrogations sur le meurtre de M. Castonguay, il en avait maintenant des nouvelles sur cette personne. La plus évidente était évidemment de savoir de qui il s’agissait, mais aussi qu’elles étaient ses intentions. D’ailleurs, quel était le but d’un message aussi peu détaillé? Est-ce que cet homme savait que Mme Castonguay avait révélé à Trask qu’elle avait reçu une lettre de lui? Trask trouvait étrange qu’il ait reçu une lettre peu de temps après avoir lu celle de Mme Castonguay. C’était vrai, par contre, que cela ne faisait qu’une journée qu’il était sur l’affaire. Et il n’était pas venu à son condo de la journée. Ce n’était peut-être qu’une coïncidence.

Trask fit ce qu’il avait l’habitude de faire. Inspecter avec son esprit la mémoire de la lettre. Évidemment, il n’y avait rien. Encore effacée. Après un instant, une idée lui vint : « L’enveloppe! Peut-être qu’il a fait livrer la lettre par quelqu’un d’autre. » Il prit l’enveloppe et celle-ci se montra plus coopérative. Il vit un homme avec un chandail à capuchon noir muni d’un dragon chinois dessiné sur son dos. Il portait également des jeans bleus. L’homme regardait autour de lui comme s’il voulait être sûr de ne pas être vu. Il glissa ensuite l’enveloppe sous la porte. Malheureusement, l’homme avait la capuche du chandail sur sa tête, donc il ne put voir correctement le visage. Malgré tout, Trask avait pu remarquer une barbichette. Il vit également que les lumières du couloir étaient allumées, signe que c’était le soir. Trask n’en sut malheureusement pas davantage, mais c’était un début.
Il se sentait fortement fatigué et décida de continuer à y réfléchir le lendemain. Il alla donc se coucher.

…
Trask voyait le cadavre de M. Castonguay assis sur sa chaise, la tête en sang. On aurait dit que le drame venait juste de survenir. Trask décida d’aller voir à l’extérieur de la pièce s’il ne voyait pas le meurtrier. Mais en sortant, il revenait dans la même pièce. Il comprit qu’il était prisonnier de celle-ci. Il décida de s’approcher de M. Castonguay pour aller voir de plus près. La tête de Castonguay se releva soudainement, ses yeux s’ouvrèrent et cria à Trask : « Fais-le! »
…

Trask se réveilla en sursaut. Un son de tambour se faisait entendre dans sa poitrine et son corps était humide. Il comprit vite qu’il venait de faire un cauchemar. Il se leva et alla prendre un verre d’eau. Il repensa à l’idée qui l’avait obsédée quand il était en voiture. Il comprit tout de suite que le rêve parlait exactement de celle-ci. Il s’appuya sur ses mains et se dit : « Mais que va dire Mme Castonguay d’une chose pareille? » Il se disait qu’il n’avait plus le choix. Le cadavre de M. Castonguay était la seule chose dont le meurtrier n’aurait pas pu effacer les traces mémorielles. Il n’avait jamais fait exhumer un cadavre et encore moins utiliser son don sur un de ceux-ci. Il fallait dire qu’il n’avait jamais eu une enquête comme celle-là. Il craignait la réaction de sa cliente quand il lui dirait ce qu’il voulait faire. Mais il savait que la meilleure façon de voir le meurtrier serait d’ausculter le cadavre lui-même. « Il ne me reste plus qu’à trouver une façon de bien présenter cela à ma cliente. » se dit-il. Trask se rendormit paisiblement. Après avoir pris cette décision, il lui semblait qu’il avait perdu un certain poids sur ses épaules.

Le réveil de Trask se fit sans difficulté. Malgré la nuit particulière qu’il avait vécue, il ne se sentait pas fatigué. C’était peut-être dû à tout ce qu’il avait à faire pendant la journée, lui donnant une poussée d’adrénaline suffisante pour passer par-dessus le manque de sommeil. La durée de la toilette de Trask était toujours très courte. Étant chauve et imberbe, les seuls poils qu’il avait sur son corps étaient ceux des sourcils et des cils, il n’y avait donc pas grand-chose à faire. Une douche rapide, un peu d’eau de toilette, il n’y avait plus qu’à mettre sa chemise cravate et il était comme un neuf. Depuis l’orphelinat, il avait l’habitude de manger de façon légère, donc son petit déjeuner se limitait à une rôtie au beurre et un café.

Vint le moment d’appeler sa cliente. Son rituel matinal lui avait presque fait oublier de ce dont il devait lui parler. Il ressentit une nervosité qu’il n’avait pas vécue souvent. Il n’aimait pas faire du mal aux gens. Elle avait déjà tellement eu de peine dans cette histoire. « Advienne que pourra. » se dit-il. Il composa son numéro, malgré l’heure matinale, elle répondit dès la première sonnerie comme si elle avait attendu son appel :

— Bonjour, Monsieur Trask.
— Bonjour, madame Castonguay, vous avez bien dormi?
— Mieux que j’ai pu dormir depuis bien longtemps. Me cacher était une bonne idée finalement. Le sentiment de sécurité que je ressens me détend.
— Content de l’entendre. Voilà madame, j’ai quelque chose de délicat à vous demander. Mais je crois que c’est la meilleure solution pour tenter de connaitre l’identité du tueur.
— Je vous écoute.
— Voilà, je crois qu’il y a une chose dont il n’a pas pu altérer la mémoire imprégnée. C’est le corps de votre mari lui-même. Je crois qu’il faudrait demander une exhumation.
— Pas nécessaire. Mon mari n’a pas été enterré. Bien avant sa mort, il avait acheté un tombeau familial. Il vous suffira de prendre la clé et vous n’aurez qu’à ouvrir le cercueil.
— Le problème reste le même. Les cercueils sont scellés. Or je dois toucher votre mari. Il faudra tout de même passer par la panoplie administrative…
— Je connais bien le directeur funéraire. Un petit appel et ce sera réglé.
— Vous êtes sûr? Habituellement, ils ont besoin d’une ordonnance de la cour…
— Ne vous inquiétez pas avec cela. L’argent convainc les gens… Attendez un instant, je l’appelle.

Trask fut mis en attente. Quelques minutes plus-tard, Madame Castonguay revint :

— Comme je le disais, aucun problème! Le cercueil sera descellé lors de votre venue. Juste vous assurer de me rappeler une fois finit. Pour qu’il le scelle à nouveau.
— Évidemment.

Trask ressentit un très grand soulagement. Un soulagement parce que Madame Castonguay l’avait très bien pris. Mais surtout un soulagement parce qu’ils n’auront pas à se taper la montagne de procédures que demande une exhumation. « C’est fou comment les gens peuvent être efficace quand il y a de l’argent! » -pensa-t-il. Trask reprit :

— Très bonne nouvelle! Où puis-je prendre la clé?
— C’est moi qui l’ai. Ne me jugez pas, mais j’allais rendre visite à son cercueil fréquemment.
— Loin de moi l'idée. Où voulez-vous qu’on se rencontre?
— Je préférais rester là où je suis. Je vous indique le chemin.

Mme Castonguay donna des directions très précises à Trask. D’après ce qu’elle décrit, il s’agirait d’une vieille cabane dans le nord des Laurentides.

— Très bien, je sais que j’étais censé aller à Cast. Eugenics. Mais je crois que je préférais en finir avec cela maintenant, vu les nouvelles circonstances. Je pourrais toujours me rendre dans la compagnie cet après-midi. Pensez-vous que cela serait possible?
— Certainement, soit dit en passant, j’avais déjà contacté la compagnie hier soir. Eugène Shkurenko est le président par intérim jusqu’à ce que le conseil d’administration fasse un choix définitif. Mon mari le considérait comme quelqu’un de droit et de loyal. Je dois par contre vous avertir qu’il est un être borné et direct. Il faudra que vous vous montriez très sérieux sans quoi il se fermera comme une huitre. Je vous dis cela, car ce sera lui qui va vous recevoir lors de votre visite.
— J’en prends note et je ferai de mon mieux. Je vous laisse Madame Castonguay, je ne perdrai pas de temps et je me rends directement où vous êtes.
— Parfait, je vous attends. Ah! Avant que je ne l’oublie. Appelez-moi dès que vous serez sur les lieux. La cabane n’est pas directement à l’endroit où je vous ai dit.
— D’accord.

Après avoir raccroché, Trask ne perdit effectivement pas de temps. Il prit son manteau et ferma sa porte. Cependant, une fois à la sortie il tomba face à face avec Mme Ouellet, la commère de l’immeuble. Elle ramassait son journal. Habituellement, Trask évitait cette mégère. Elle était indiscrète, et avait une attitude négative envers tout ce qui sortait de l’ordinaire. Trask n’étant pas très ordinaire, il pouvait sentir les médisances de cette dame sans même lui parler. Mais cette fois-ci, sa présence pourrait lui être utile. Il savait que la vieille dame aimait observer tout dans l’immeuble. Peut-être avait-elle vu quelque chose la soirée d’avant.

— Tiens Trask –s’exclama-t-elle.
— Bonjour Mme Ouellet, superbe matinée n’est-ce pas?
— Hmmm, avez-vous quelque chose à me demander?
— Euh, oui. Avez-vous vu quelqu’un passer par ma porte hier?
— Voulez-vous dire le jeune pouilleux qui semblait avoir quelque chose à cacher?
— Quel œil! Avez-vous vu un détail qui pourrait m’aider à l’identifier mis à part ses vêtements?
— Et bien, il est venu dans une vieille Volkswagen familiale teinte en noire avec un gros dragon dessus.
— Vraiment? Assez voyant. J’imagine que vous n’avez pas vu la plaque.
— Pour qui me prenez-vous? Bien sûr que j’ai pris la plaque. Je ne prends aucun risque. S'il était venu pour me violer?

L’idée qu’un jeune puisse avoir des envies avec une telle femme était dure à concevoir pour Trask, mais il laissa passer cette réflexion.

— Serait-ce possible d’avoir cette information?
— Qu’a-t-il fait au juste?
— Il m’a laissé un message anonyme au bas de la porte.
— Qu’y avait-il dans ce message?
— Je préfère garder cela secret pour l’instant, question d’enquête.
— Je vois. D’accord, suivez-moi.

Mme Ouellet habitait le rez-de-chaussée juste en face de l’escalier. « Cela devait être utile pour épier ceux qui passaient dans l’immeuble », se disait Trask. Mme Ouellet lança un « Ne regardez pas le désordre! » avant d’ouvrir la porte. Trask se dit un « Classique! » dans sa tête. Quand il put pénétrer dans l’antre de la bête, il fut difficile pour lui de ne pas regarder l’ordre très particulier de Mme Ouellet. On se serait cru dans un bureau d’une enquête extrêmement complexe. On pouvait voir des photos qui se balançaient sur une corde à linge. Un tableau avec un horaire d’entrée-sortie avec tous les noms des habitants de l’immeuble, dont le sien. Mme Ouellet ouvrit une armoire d’où l'on pouvait voir un tas de dossiers. Elle les épluchait en murmurant : « Le 10 octobre, 10 octobre… » C’était la date d’hier. Madame Ouellet s’exclama « Ah, voilà! Le 10 octobre à 21 h, un jeune homme dans la vingtaine, mal soigné et mal habillé arriva en face de l’immeuble à bord d’une Volkswagen noire avec un tag de dragon argenté. La plaque était… » -elle s’interrompit. Elle ajouta :

— Vous savez, je peux comprendre que vous ne voulez pas partager l’information du message, pour l’instant… N’empêche que j’y gagne quoi moi? Je ne veux pas d’argent, non! Mais j’aimerais bien de l’information en échange.
— Hmmm, que voulez-vous savoir exactement?
— Et bien pour commencer, Trask, ce n’est pas Québécois comme nom de famille. Quelles sont vos origines?
— Je l’ignore, madame. Je suis orphelin depuis bébé. J’ai d’ailleurs vécu toute mon enfance dans un orphelinat catholique.
— Et vous n’avez jamais tenté de voir qui étaient vos parents? Vous, un détective?
— Oh si! Cela n’a rien donné. Les sœurs ne savaient rien et la seule feuille à ce sujet était blanche. La sœur qui m’avait fait entrer en orphelinat est morte maintenant.
— Ah dommage. Ça explique votre français impeccable, sans accent.
— Je suis Québécois, madame.
— Oui, oui.
— Est-ce que cette information vous convient? Est-ce suffisant pour connaitre l’information dont j’ai besoin?
— C’était assez maigre, je trouve… Si on prenait une tasse de thé qu’on puisse discuter…
— C’est que madame, j’ai une cliente très importante qui m’attend. Si vous me donniez l’information maintenant, je pourrais revenir plus tard cette semaine pour qu’on discute.

Trask regretta à l’instant cette promesse. Il savait que Mme Ouellet n’était pas quelqu’un de qui l'on pouvait se défiler. D’ailleurs, elle répondit :

— Bien sûr, pourquoi pas. Donc, tel que promis, la plaque est X3254R. À plus tard cette semaine, Monsieur Trask.

Trask quitta l’étrange appartement de Mme Ouellet avec un gout amer dans la gorge. Au moins, il avait une piste très intéressante sur l’inconnu qui a porté le message. Il décidait de faire cela plus tard, il avait déjà suffisamment perdu du temps.
Trask était maintenant arrivé sur une route de campagne en chemin vers la cachette de Mme Castonguay. Il regarda les instructions de sa cliente : « Vous verrez une ferme abandonnée et en ruine. Prenez le petit chemin de terre à droite. Et rendez-vous jusqu’au bout. » Il voya donc ce fameux rang. Peu de temps après, il aperçut le fameux chemin de terre. Chemin était un mot fort. On aurait plutôt dit un passage improvisé. Trask roula très lentement pour ne pas abimer sa transmission. Il en était venu au moment que même de passage il n’y en avait plus. Que de la forêt. Trask sortit et ferma la porte. Il s’en alla appeler sa cliente quand celle-ci arriva.

— Je vous ai entendu arriver. Suivez-moi.

Elle l’amena vers une vieille cabane très rudimentaire. Pas d’électricité, ni d’eau courante si ce n’est qu’un ruisseau. Tout le contraste d’où ce qu’elle vivait avant. Et pourtant, Mme Castonguay n’en semblait pas plus malheureuse. Mme Castonguay sembla vouloir expliquer :

— La ferme, c’était la ferme de mes parents. Cette cabane, mes frères, sœurs et moi-même l’avions construite. Que de souvenirs avec cette vieille cabane!

Trask ressentait l’émotion vive de sa cliente. Il ne pouvait que se sentir ému de ce qu’elle vivait. Il gagnait un nouveau respect pour cette dame. Il pouvait voir que l’argent et le luxe n’étaient décidément pas des valeurs prioritaires chez elle.

— Bon, passons aux choses sérieuses. La clé. La voilà. Et voici l’adresse du cimetière. Appelez-moi dès que vous avez des résultats.
— Absolument.

Ils se saluèrent et se quittèrent. Trask laissa donc Mme Castonguay à son refuge, présent et passé.



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