Léo (extrait n°13)

Date 09-02-2015 22:55:03 | Catégorie : Nouvelles confirmées


Un peu comme un souvenir retrouvé peut parfois en débusquer un nouveau, cette gifle m’en rappelle une autre.
Nous étions chez un couple d’amis de mes parents, ou plus exactement chez un très vieux copain d’Yves. Ces derniers s’étaient liés d’amitié au préventorium et depuis s’étaient retrouvés pour se revoir une à deux fois par an.
Hélène, elle, n’avait pas d’amis, et franchement, n’était pas habile pour les relations de camaraderie ou même, les relations familiales.
Ce soir là, dans la rue qui achevait le lotissement, alors que les enfants jouaient vivement dehors, échappant à la surveillance des adultes restés à la maison, l’un d’eux reçut une pierre et courut le rapporter aux parents.
Sans doute étais-je déjà comme ma mère, maladroit en ce qui concernait les relations sociales, car tous les enfants me désignèrent comme étant celui qui avait jeté la pierre.
J’étais le coupable idéal, car je ne sais pour quelle raison, déjà, quelques minutes auparavant, les autres enfants m’avaient exclu de leur petit groupe.
Hélène sortit de la maison et ne prit pas le temps de me demander si j’avais balancé ce caillou. Elle se jeta sur moi et m’inonda d’une pluie de coups. Je recroquevillai ma tête entre mes bras tout en criant :
- « Ce n’est pas moi, je jure que ce n’est pas moi… »
J’attendis que l’orage passe, mais il ne passa pas.
Hélène engluée par sa furieuse démence resta sourde et continua de m’asséner le plus de coups possible sous le regard des autres enfants. En moi, je sentis mes nerfs se perdre, jusqu’à ce que soudainement tout sembla m’échapper au point de ne plus rien maîtriser du tout. J’étais tantôt capable de ces crises de nerfs et d’une violence inouïe, surtout quand il s’agissait de situations que j’estimais des plus injustes.
Tout à coup, hors de moi et si peu conscient, je repoussai Hélène au point de la faire vaciller. Jouissant de sa stupéfaction, elle reçut de ma part une gifle emportée que je n’ai jamais vraiment pu regretter. C’était incroyable, je venais de gifler ma mère.
Hélène, sous le choc, resta figée quelques secondes et posa sa main sur sa joue chaude et rougie. Ses yeux s’emplirent à nouveau d’eau et son regard enragé se métamorphosa en un regard de haine. Elle me laissa y lire toute sa colère et toute sa répugnance à mon égard. Mais ce jour là, je n’ai pas su baisser les yeux. Je l’ai regardée intensément. A mon tour, je lui ai laissé lire toute mon hardiesse et toute la violence que j’avais pu subir bien avant, cette violence même, toute prête à rejaillir et à se jeter sur elle.
C’est alors que je pu ressentir l’effroi et la peur dans le regard de ma mère.
Sans fierté particulière et ni remords non plus, je l’avais effrayée. A présent, elle se méfierait de moi.
Soudain, retrouvant ses esprits, elle se mit à m’injurier, me disant que je n’étais pas digne d’être son fils. Je ne représentais plus rien pour elle. Elle aimait jouer avec ma peur de l’abandon, mais cette fois, cela m’était égal, je m’en fichais, je savourais ma maigre victoire.
Elle s’essuya grossièrement les yeux, mit un peu d’ordre dans ses cheveux, défroissa nerveusement sa jupe et fit demi-tour avant de reprendre le chemin de la maison. Je m’attendis à voir surgir mon père à tout instant. Il n’est pas venu. Hélène avait sur le coup gardé le silence.
J’ignorais encore en ce temps là qu’elle était trop fière et trop honteuse pour dire quoi que ce soit de cet événement devant des personnes extérieures à notre famille. Ma mère voulait avant tout présenter l’image d’une famille parfaite et lisse. Elle cherchait par tous les moyens à étouffer toutes ces identités diverses, mais aussi, nos flux de sangs, si étrangers et différents.
J’étais persuadé qu’Hélène trouverait assez rapidement un moyen cruel pour se venger. Cela n’avait plus vraiment d’importance, car depuis ce jour, plus jamais elle ne s’aventura à lever la main sur moi.

•••

Mes premiers étés chez papy Roger et mamie Germaine avaient comme un formidable goût de liberté. Là-bas, sans trop de surveillance, il était possible de courir partout dans les grandes herbes et de décapiter avec fougue les chardons et les grandes berces. J’avais le droit de sauter sur les tas de fumier de cheval et je m’octroyais la liberté de poursuivre les poules et les oies avec des bâtons. Tour à tour, j’étais un cowboy ou un indien, et parfois les deux en même temps, incapable de choisir lequel faisait de moi le héro le plus téméraire. Il m’arrivait aussi de passer des journées entières définitivement seul.

Pourtant, j’avais le droit de dormir avec les chats, de câliner des poussins, d’entrer librement dans la grande volière pour nourrir les pigeonneaux tombés trop tôt du nid.
Roger m’avait offert un hamster. La bestiole avait le droit de courir et de déféquer partout dans ma chambre. C’était merveilleux. Je pouvais même faire semblant de me laver pour gagner du temps. J’avais bien mille autres choses à faire plus importantes encore. Je ne connaissais pas cette liberté.
J’adorais certains matins observer les pontes des couleuvres sur le fumier encore chaud et humide. J’aurai bien voulu écraser les œufs un par un mais Roger disait que les couleuvres étaient très utiles pour le jardin. Parfois, il y avait jusqu’à trente œufs. Alors, lorsque les petites couleuvres venaient à éclore, il m’était permis de leur apporter des écuelles de lait préparées par mon grand-père. Ces bestioles glaciales aux regards impassibles, me séduisaient tout en m’effrayant quelque peu.
Roger m’avait expliqué que les couleuvres avaient besoin des rayons du soleil pour réguler la température de leurs corps. Un midi, alors que je venais de capturer l’une d’entre-elles qui venait tout juste de sortir de son œuf, je décidai de l’exposer en plein soleil pour lui donner les meilleures chances pour engager sa vie.
Lorsque je l’ai retrouvée en début d’après-midi, exactement au même endroit, complètement desséchée, irradiée par la torpeur estivale, je me sentis terriblement affecté.
Etait-il possible de faire autant de mal avec d’aussi bons sentiments ?
Je grandissais. Mes agissements ressemblaient de plus en plus à ceux des adultes. Je n’ai rien pu raconter de cette mésaventure à mon grand père. J’étais trop honteux.
Roger adorait toutes les plantes et tous les animaux.
Il était un homme déçu par les hommes. Je me sentais parfois si proche de lui, mais toujours prisonnier de ce satané devoir de loyauté à l’égard de mes parents adoptifs. Je crois même que parfois, je l’aimais bien.
Il passait tout son temps libre dans son gigantesque potager ou parmi ses innombrables rosiers. Aux alentours du quinze août, il m’apprenait à faire des boutures. Nous réalisions des petits tronçons de quelques centimètres, faisions une entaille en croix à la base de chaque bouture pour y glisser soit un grain de blé, soit un grain d’avoine pour faciliter l’enracinement disait-il. J’étais totalement captivé.
Je me souviens une fois avoir vu Roger chuter très lourdement dans ses rosiers. Le pauvre homme était griffé aux visages et aux mains. Il semblait paniquer. A cause de son poids et de son manque de souplesse il peina à se relever. C’est alors qu’il vociféra.
- « Merde, mes rosiers, putain, mes rosiers ! »
Je regardais ses mains ensanglantées et tout à coup lui dis :
- « Mon pauvre papy, ça va ? »
Il ne m’accorda qu’un bref regard.
- « Mais oui, bon sang ! Mais regarde les rosiers, ils sont fichus ! »
Je comprenais que ce bonhomme n’était pas tout à fait ordinaire.
Lorsqu’il s’occupait ou parlait de ses roses, l’ogre qu’il était se transformait en poète raffiné. Sa grosse voix devenait presque délicate et ses mains puissantes savaient s’incarner d’une infinie tendresse pour ne jamais froisser un pétale. C’est dans ces moments là que j’admirais mon grand-père, et c’était bien de ces traits de caractères que je voulais me saisir pour espérer me reconstruire.
Le reste du temps Roger pouvait être caractériel, coléreux ou violent.
La nuit, quand je n’arrivais pas à m’endormir, en regardant les avions passer dans le ciel étoilé, je priais pour ne jamais hériter de ses effroyables démons.




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