Nick le déjanté

Date 12-02-2015 08:55:56 | Catégorie : Nouvelles confirmées


Nick le déjanté


Nick avança tranquillement dans la cour du lycée, certain de ce qui l'attendait.
Il regarda à droite où les gentils garçons jouaient au football, puis à gauche le long du mur où s'agglutinaient d'anonymes adolescents en quête d'identité et de compagnie.
Nick était un peu comme eux mais il avait résolu son problème identitaire avec un look déjanté et s'était habitué à la solitude.

Le plus difficile restait à l'horizon : franchir le préau, haut lieu des cadors en tous genres, du dealer officiel au play-boy de l'année assorti de sa cour de suiveurs et de courtisanes, en passant par le classique des mauvais téléfilms que représentait la bande de petits sadiques locaux.
Ces derniers avaient élu leur chef en début d'année scolaire, probablement sur la base d'un concours de pets ou une autre connerie du genre, juste quand Nick était arrivé dans cet établissement de la banlieue ouest francilienne.
Le nouveau roitelet s'appelait Jean-Pierre. Il ressemblait à tous ses prédécesseurs dans l'inconscient collectif des gamins de cet âge, avec son teint rougeaud, ses bras de bouffeur de viande et son regard bovin.

Nick s'en foutait comme de l'an quarante.
Il n'avait plus qu'un an à tirer. C'était son quatrième lycée en deux ans. Il en avait vu des Jean-Pierre. Nick s'était toujours débrouillé pour ne pas tomber dans leurs embrouilles.
Les enseignants lui causaient déjà assez de problèmes avec leurs préjugés, leur ringardise et leur petit pouvoir inutile.
Nick continua d'avancer.
— La créature nous snobe, on dirait, déclara une voix.
— Il est trop intelligent pour nous, ajouta une seconde.
— C'est ce qu'on va voir, affirma une troisième.
Nick comprit que la bonne série pacifique allait s'arrêter là.
Le maître des lieux semblait vouloir montrer son pouvoir à tous les nouveaux arrivants, y compris un rebelle sans cause de son acabit.
Son impression fut confirmée par la ronde de petites frappes qui l'entoura et surtout par le silence soudain du préau.
« Le drame peut commencer. » se dit le lycéen.

Nick regarda ses opposants à la manière d'un entomologiste devant une espèce de fourmi : cinq brutes du modèle standard le toisaient avec une morgue héritée des pires clips vidéos.
Jean-Pierre le fixait droit dans les yeux, cherchant à lui imposer sa volonté dans un vain effort de télépathie.
Nick se mit à sourire. Il avait trouvé la faille dans cette muraille d'abrutis mais elle lui coûterait certainement une semaine d'exclusion de son cinquième lycée.
Il imaginait déjà son père lui seriner « tu as battu ton record de rapidité : exclu dès la première semaine. ».
— Qu'est ce qui te fait marrer ?
Jean-Pierre n'était pas content car sa stratégie de dissuasion tombait à l'eau. Il devait redresser la situation sinon son titre de noblesse lui échapperait.

Nick décida de lui faciliter la tâche.
— Ta parade de champion du bac à sable, répondit-il.
— Tu te crois supérieur à nous ? Tu crois que ta coupe en pétard, tes sapes de punk à la con et ton sac à dos de l'armée américaine font de toi un mec qui compte ici. Tu n'es rien, mon pote. Pas tant que je n'ai pas décidé du contraire.
— Tu ne comprends pas, mon gros. Je m'en branle de ton avis et de celui de tes potes. Je ne suis pas ici pour me faire des amis mais pour passer mon bac. Le reste, je m'en bats les couilles.

Nick observa l'assistance.
Il avait sorti sa dernière phrase à voix haute de façon suffisamment méprisante pour humilier le roitelet local devant sa cour de nains bas du front.
Il ne comptait pas sur les autres bandes du préau pour le soutenir ; entre les peureux, les voyeurs et les sans-grade, il ne risquait pas de trouver le preux chevalier défenseur de la veuve et de l'orphelin.
Jean-Pierre utilisa son premier atout : la menace verbale.
— Tu cherches vraiment à te prendre une branlée ?
— Je ne sais pas ce que ça fait. Mon père ne m'a jamais touché. Je suis un enfant sage. Le contraire de toi, on dirait.
— Il me provoque, cria Jean-Pierre à la cantonade.
Des murmures firent office de réponse. La tension était désormais palpable. Les paris ne penchaient pas forcément en faveur du potentat local.

Nick se dit qu'il avait parcouru la moitié du chemin.
— Tu crois vraiment t'en tirer avec tes pitreries ?
« On y est ! » se dit Nick.
Le chef des branleurs avait besoin de parler pour asseoir son autorité chancelante avant de frapper sa victime. C'était pour lui l'assurance du soutien de sa bande de louveteaux au cas où l'affaire tournerait mal.

« Je hais les cons qui se croient forts. » se dit Nick en projetant son pied contre le ventre de Jean-Pierre. Il enchaîna par un coup de genou dans la tête, une clé au bras pour lui briser le coude et un dernier impact au niveau du diaphragme dans le but de lui couper le souffle.
Jean-Pierre suffoqua. Il tomba à genoux. Cette chute sonna la fin de la démonstration. Nick n'eut aucun mal à rejoindre sa salle de classe. Devant le symbole du roi déchu, sa bande n'osa pas s'attaquer au vainqueur de la joute et les autres spectateurs décidèrent de rentrer en cours.

Les prévisions de Nick s'avérèrent exactes, au détail près.
L'ex-roitelet termina à l'infirmerie. Son père, un gras du bide connu dans le coin, menaça de porter plainte contre le tortionnaire de son rejeton modèle. Le proviseur convoqua les parents de Nick et tenta vainement une conciliation avec ceux de Jean-Pierre puis finit par prononcer la sentence attendue.
Paul, le père de Nick, haussa des épaules devant le verdict, déclarant aux autorités locales qu'il avait l'habitude des décisions injustes des incompétents de leur engeance. Il prit sa femme Marnie par la main et quitta le bureau du fonctionnaire.

Nick en fut quitte pour une punition exemplaire : tondre la pelouse et s'occuper du jardin de Marnie pendant sa semaine d'exclusion. Il savait que le reste de son année serait du velours avec les autres élèves et même peut-être avec les enseignants qui n'auraient rien à gagner à faire chier un déjanté de son espèce, encore moins quand il s'agissait du fils d'un diplomate américain de haut rang.



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