MacGuffin prend la tangente

Date 21-02-2015 17:59:26 | Catégorie : Nouvelles confirmées


MacGuffin prend la tangente


J’étais tranquillement en train d’analyser mes orteils, un truc passionnant, quand Irina déboula dans mon bureau. Comme ça, sans préliminaire.
— Il faut impérativement prendre cet appel, Don !
— C’est Dieu ? Il va enfin nous révéler la vérité ultime sur la mort de Mike Brant ?
— Non ! C’est Allistair Huwe-Smith en personne. Il nous appelle d’Hollywood.
— Alors, si c’est Allistair Machin-chose lui-même, je vais de ce pas lever mon petit derrière de ma chaise, reconnecter mes cellules grises et me diriger vers le bar le plus proche.

Irina me regarda comme si je venais d’insulter la Mère Patrie, sa Russie natale. La sublime Moscovite me dévisagea avec attention puis se mit à rire sans vergogne, presque grassement.
— Quoi ? J’ai dit une connerie, Irina ?
— Pour changer, Don. Je viens seulement de comprendre. Vous ne savez pas qui est Allistair Huwe-Smith. Avouez –le !
— Je me confesserai un autre jour Irina, quand nous aurons enfin fauté ensemble dans un hôtel cinq étoiles après avoir bu le meilleur champagne de Paris.
— C’est beau de rêver, Don ! Vous savez bien que mon cœur appartient à mon papa. Je resterai immaculée jusqu’à ce qu’un vaillant guerrier cosaque franchisse les murailles paternelles pour m’enlever contre vents et marées.

Irina représentait mon Everest, un absolu à la limite de l’utopie. Entre nous, c’était devenu un jeu, l’occasion de joutes verbales rafraîchissantes et sans conséquences.
— D’accord. Je suis inculte ! Qui est cet Allistair Trucmuche ?
— Vous êtes pardonné, ô vous terreur des femmes volages et sauveur des maris cocufiés ! Allistair Huwe-Smith est actuellement le plus grand cinéaste du monde, un symbole à Hollywood, l’un des rares à réaliser des films de grande classe, hautement populaires et très profitables pour les studios américains. Vous n’avez pas vu « La peste soit du fou fieffé ! » ou « Marianne » ses deux derniers opus ?
— Non, j’avais piscine ce jour-là. Vous savez à quel point c’est important pour moi.
— Très bien. Vous en savez suffisamment pour discuter d’une affaire urgente avec lui. Nous utiliserons le système de conférence téléphonique. Je pourrais ainsi rattraper vos éventuelles bourdes.
— Personne n’est parfait, Irina.

Une fois installés dans la salle de réunion, Irina prit en charge le côté technique des opérations. Elle nous brancha avec les futurs clients. Plus qu’une assistante, Irina possédait le don de transformer une situation a priori compliquée en parcours de santé. Cette fois-ci, elle mit de l’huile dans les rouages, faisant les présentations, m’habillant de qualités que j’ignorais, servant un boniment de première bourre. Si je n’avais pas eu peur qu’elle me terrasse d’un atemi, je l’aurais épousée sur le champ.
— Maintenant que nous avons fini de nous flairer le derrière, dis-je, pouvons nous en arriver au fait, à la raison de votre appel ?

Irina ne fut même pas surprise de mon culot. Elle connaissait mon style. C’était d’ailleurs la cause de notre parfaite entente. Irina pensait, analysait, charmait et empoisonnait tandis que moi je baratinais, frimais, enfonçais les portes et fracassais quelques mâchoires. Notre banquier adorait notre complémentarité, traduite ces dernières années par une croissance exponentielle du chiffre d’affaires de l’agence. Elle me laissa donc la vie sauve.
— Vous parlez crûment. J’aime ça, répondit le cinéaste. Cela me change de la cohorte de flatteurs que je subis au quotidien.
— Parfait ! Lâchez-vous ! Ne me cachez rien, c’est contre-productif pour un enquêteur.
— C’est très simple. J’ai perdu mon scénariste favori.
— Achetez en un autre !
— J’aimerais bien mais celui-ci est un génie méconnu au contraire de pléthore de scribouillards à qui la profession décerne des prix et des critiques élogieuses alors qu’ils sont incapables d’imaginer autre chose que leur pauvre vie de ratés. J’ai besoin de lui. Ses histoires, son talent et sa verve inspirent mon œil, provoquent l’émulation dans mon cerveau créatif, me forcent à me dépasser.
— Quel est son nom ?
— MacGuffin.
— Pourquoi vous adresser à un détective parisien ? Le soupçonnez vous d’être venu se cacher dans la Ville des Lumières ?
— Oui ! Il a toujours rêvé de connaître Paris, de marcher dans les traces d’Hemingway.
— Espérons qu’il ne finisse pas comme lui !
— Vous touchez là le point sensible. MacGuffin commençait à développer une sorte de spleen existentiel. Il se lassait de son existence formatée par les standards de l’industrie cinématographique.
— Est-il marié ? Une famille ? Un animal de compagnie ?
— MacGuffin est un pur célibataire. Il a longtemps hésité entre se retirer dans un monastère et écrire des nouvelles. Je n’en sais pas plus sur sa vie d’avant Hollywood. Je vous enverrai sa fiche signalétique telle qu’il l’a remplie en signant avec ma société de production.
— Avez-vous eu des différents récemment ?
— Rien de notable. Il y a souvent une différence de point de vue entre un scénariste et un réalisateur au moment de débuter un tournage. En général, les deux parties s’accordent au prix de concessions mutuelles. Je tenais tellement à lui que j’acceptais la plupart de ses revendications quant au scénario voire au casting.

La suite de l’entretien n’apporta pas d’informations essentielles. Allistair Huwe-Smith accepta mes tarifs, les conditions d’exécution de la mission. Son seul objectif se résumait à retrouver MacGuffin, vivant si possible. Irina s’occupa des formalités avec les avocats du cinéaste puis vint me rejoindre dans mon bureau.
— Qu’en pensez-vous, Irina ?
— Il faut récupérer MacGuffin. Sans lui, le monde du cinéma va de nouveau ressembler à de la pâtée pour chats. Le duo qu’il forme avec Allistair Huwe-Smith a redoré le blason d’Hollywood. Ils ont réussi à réconcilier art et business, expression artistique et grand public. Sans eux, le grand écran va devenir fade, un espace publicitaire dénué de sens.
— Vous allez me déprimer, Irina.
— C’est bon ! Je sais que vous vous en foutez comme de l’an quarante. Vous êtes du genre à manger des popcorns en regardant un dessin animé avant de vous endormir à deux tiers du film.
— Ce n’est pas vrai ! J’ai bien aimé Jodie Foster dans cette histoire où elle parle avec des E.T.
— Laissez tomber, Don ! Je ne vais pas discuter culture avec un ignare de votre acabit. Dites- moi plutôt ce que vous voyez dans votre boule de cristal ! C’est vous l’intuitif, le roi du désordre, le fils du chaos.
— Je vois des dollars, de la promotion pour notre agence, de futurs clients friqués, la version hollywoodienne de notre enquête avec Brad Pitt dans mon rôle et Angelina Jolie dans le votre.
— Vous êtes donc motivés ?
— Toujours, ma chère Irina. J’ai d’ailleurs ma petite idée pour loger le sieur MacGuffin.

Il me fallut quelques jours pour repérer l’Américain à Paris. J’avais vécu à Los-Angeles où j’avais déjà exercé mon métier de détective, avec Delphine une associée belge et un peu têtue. Je savais comment raisonnaient les gars du cru, en particulier les intellectuels du stylo, ceux que les majors consommaient par paquet de dix.
Des MacGuffin, j’en avais vu, avec toujours la même logique d’écrivain sous-estimé, malheureux à l’idée de voir leur talent réduit à des graphiques financiers ou à des courbes d’audience. Au mieux, ils devenaient philosophes, choisissant la voie du zen, les cours de yoga dans les massifs californiens, sous l’égide d’un vieux chinois. Au pire, ils sombraient dans l’alcool, la drogue ou la religion.

Je m’arrangeai, grâce à mon ami Dédé, un ancien de la brigade des mœurs, pour rencontrer MacGuffin, sous couvert d’une combine à deux euros. Le rendez-vous eut lieu dans un café du troisième arrondissement, en plein centre de la capitale.
— Salut MacGuffin, dit Dédé. Je te présente Don, un as dans sa partie.
— Bonjour Don, me dit le scénariste dans un excellent français. Est-ce que Dédé vous a expliqué ma démarche artistique ?
— Dédé et l’art, ça fait deux alors j’ai fait l’impasse sur ses explications. Je préfère entendre la version originale non sous-titrée, devant quelques chopes si possible. Vous êtes partant ?

MacGuffin accepta le deal. Le barman nous indiqua une table tranquille, dans un angle pas trop fréquenté par les curieux. Je lui glissai un billet au passage, tandis que MacGuffin posait son cul maigrichon sur une chaise fatiguée. Les bières arrivèrent presque dans la foulée, par un miracle de la mécanique quantique, assez rare dans les cafés parisiens.
— Je vous écoute, MacGuffin.
— Je souhaite écrire un roman. L’action se déroule à Paris. C’est l’histoire d’une femme française, trentenaire, mariée à un riche homme d’affaires américain. Appelons la Marie et lui Bill.
— A Marie et Bill, dis-je en trinquant. Je sens le drame, le soufre et la mort violente.
— Vous êtes dans le vrai, Don. Marie s’ennuie avec Bill. Pour lui, elle n’est qu’un signe de richesse, à égalité avec sa berline allemande, sa maison à Versailles et son labrador de race pure. Elle s’occupe de leurs quatre enfants, va à la messe, s’active dans des organisations caritatives et gère le petit personnel.
— Est-ce une belle poulette ?
— Obligatoirement. Bill ne peut pas s’accommoder du milieu de gamme. Il lui faut toujours le meilleur. Dans cet esprit, il a épousé une jeune beauté provinciale, issue d’une bonne famille bourgeoise, propre sur elle, intelligente et cultivée. En plus, elle a étudié les lettres modernes dans une faculté catholique.
— Elle en a donc dans le caillou et dans le soutien-gorge.
— C’est un bon résumé, Don.

Je ne voyais pas où MacGuffin voulait en venir. La littérature et moi, nous n’étions pas très proches. Vu de loin, son pitch me rappelait vaguement un truc connu, étudié dans ma jeunesse lycéenne, le genre de roman qui m’avait certainement saoulé. Le problème, c’était que je ne me rappelais pas du titre du bouquin alors je ne pouvais même pas briller aux yeux du scénariste. Je jouai quand même le coup, au bluff, histoire de ne pas passer pour une truffe intégrale.
— Dites donc, cette situation me rappelle quelque chose.
— J’espère bien, Don. C’est pour ça que j’ai besoin de vos lumières.
— Allez-y, demandez moi ce que vous voulez !
— Je continue. Contrairement à ce que vous pourriez penser, je ne souhaite pas écrire un remake de « Madame Bovary » en version urbaine.
— J’allais vous le dire. Je vous écoute.

MacGuffin me raconta les interrogations de Marie sur sa condition d’animal de compagnie, sa cage dorée et son avenir tout tracé. J’écoutai avec attention en sirotant ma bière. MacGuffin s’avérait un conteur hors pair, mimant ses personnages dans un théâtre de gestes digne du no japonais.
— C’est à ce moment que vous intervenez, Don.
— Vous avez un rôle pour moi ?
— Doublement. Le premier consiste à me donner de la matière sur la misère sentimentale de Marie. Elle va développer une relation adultère avec un homme normal, pas un nanti, dans l’espoir de s’échapper un peu de son quotidien. Je veux éviter les clichés, rentrer dans le brut, brosser un tableau sombre et sans concession. Marie n’est pas heureuse, ni dans son mariage ni dans sa liaison cachée.
— Elle va se tirer une balle ?
— Elle est catholique.
— Elle va demander conseil au pape François ?
— C’est une bonne idée, Don. Cependant, le registre burlesque, la farce comique, ce n’est pas ma tasse de thé. Je laisse ça à mes collègues d’Hollywood, les rois de la sitcom, de la tarte à la crème et des rires gras. Je fais dans le dépressif, la noirceur, le désespéré.

MacGuffin m’ouvrait une porte sur son monde d’avant. Je décidai de m’engouffrer, de creuser la raison du pourquoi quitter les palmiers californiens pour la grisaille parisienne.
— Cela fera un beau film. Qui voyez-vous pour le rôle de Marie ? Juliette Binoche ? Emmanuelle Béart ? Sophie Marceau ? George Clooney serait parfait dans le rôle de Bill. En plus, il parle français et boit du café.
— Ce n’est pas un scénario, Don, mais un roman. Je ne céderai jamais les droits aux requins des majors. Ils transforment l’encre en merde.
— Pourtant, il y a quelques producteurs de génie. Je pense à cet Allistair Huwe-Smith. Vous le connaissez je crois. Il a produit et réalisé de superbes films.
— Vous dites ça parce que vous n’avez pas lu les scénarios originaux. Lui, il mute l’or en bitume. C’est un peu mieux que les autres mais pas de beaucoup.
— Et le cinéma européen ?
— Vous déconnez ferme, Don ! Si je leur laisse la main, ils vont me sortir une bouse prétentieuse, surtout les Français, pas encore sortis de la Nouvelle Vague. On aura droit à des dialogues creux, pleins de dents, à des poses interminables de vieilles gloires des années soixante et pour parachever le ridicule, à votre gras du bide alcoolique, le néo-russe. Non, autant ne rien écrire.
— Vous êtes l’expert ! Je proposai juste, histoire de parler, d’alimenter la conversation, d’éviter le monologue.
— Excusez-moi, Don. Je suis un peu à cran quand on me parle de l’industrie cinématographique. Je tente de lui échapper alors ce n’est pas pour retomber dans ses griffes via l’adaptation de mon premier roman. D’ailleurs, je vais le publier sous un pseudo.

MacGuffin était ferré. La demi-douzaine de bières avait bien aidé. Il ne restait plus qu’à le titiller par touches subtiles. Un rôle parfait pour moi, Don le subtil.
— Vous avez déjà un éditeur ?
— Bien sûr ! Je ne débute pas dans le métier d’écrivain même si j’ai essentiellement écrit pour le cinéma. Je suis un auteur connu, avec un paquet de nouvelles à son actif. Maintenant, je passe la vitesse supérieure. Pour ça, il me faut effacer mon image de marque passée. MacGuffin, ça fait trop penser à Hollywood.
— Je suppose que vous allez être édité en France.
— Vous supposez bien, Don. Bon, arrêtons de parler de moi et revenons à nos moutons. Je ne vous ai pas encore expliqué la seconde partie de votre rôle dans cette aventure littéraire.
— Vous allez me demander un avis de détective privé sur son métier, sur ses enquêtes pour des maris cocus et jaloux. Bill est un gros connard. Il ne supporte pas de voir Marie heureuse. Il la soupçonne donc d’infidélité. Du coup, il mandate un gars comme moi pour la suivre, l’espionner et tout le toutim. J’ai bon ?
— Je suis baba, Don. Comment avez-vous deviné ?
— C’est un bête don.
— Je dois rester crédible, au-delà des détails de votre profession. Par exemple, un bas du front d’Hollywood imaginerait une amourette entre le détective et Marie.
— Absurde !
— Je ne vous le fais pas dire ! Dans mon esprit, le privé est l’observateur, le second narrateur, le contrechant de la partition. Il ne juge pas Marie, ni Bill. Il ne prend pas partie. Il exécute. A la fin, il sera le bourreau, pleinement conscient de sa responsabilité dans le drame.
— Brillant ! Je le sens bien ce bouquin.

MacGuffin me détailla le reste de son futur chef d’œuvre. Je participai de plus en plus activement à son délire créatif, mimant à mon tour des scènes, racontant des anecdotes salées sur les bêtes à cornes et leurs moitiés infidèles. Ce MacGuffin me plaisait.

Le lendemain matin, Irina déboula en trombe dans mon bureau. La Mata-Hari du dix-neuvième arrondissement me servit son plus beau sourire avant de lancer l’interrogatoire.
— Je suis persuadée que vous avez assuré, Don. Comme toujours. Vous êtes un maître.
— J’adore quand vous miaulez, Irina.
— Je pourrais aussi vous griffer, Don. Vous aimez ça.
— Pas aujourd’hui. J’ai le casque à boulons.
— Racontez-moi votre soirée. Je vous masserai.
— Posez votre petit derrière sur une chaise. Concernant le massage, je passe mon tour.
— Miaou ! Je suis impatiente d’entendre votre histoire.

Je procédai à un compte-rendu sobre et détaillé de mon entrevue avec MacGuffin. Pour une fois, je n’employai pas ma gestuelle grand-guignolesque, certainement à cause de ma migraine carabinée. Irina m’écouta patiemment. Visiblement, le déroulement des événements ne lui convenait pas mais elle me laissa poliment terminer mon exposé.
— Dois-je en conclure que vous allez l’aider ?
— Exactement ! Vous lisez en moi comme dans un livre ouvert, Irina.
— Que direz-vous à notre client ?
— Je le ferai patienter un peu. MacGuffin a besoin de temps.
— Allistair Huwe-Smith n’est pas une autruche. Il n’attendra pas la tête dans le sable.
— Quand il sera chaud, je le sortirai du four avec un bon concerto pour pipeau et orchestre.
— Des professionnels du boniment, il en voit tous les jours. Votre baratin ne passera pas.
— Je sais Irina. Je lui dirai ensuite que MacGuffin est perdu pour l’industrie cinématographique.
— Allistair Huwe-Smith ne va pas aimer.
— C’est la vie, Irina.
— Vous auriez pu faire un effort, persuader MacGuffin de retravailler avec Allistair Huwe-Smith, une fois son roman terminé.
— Je ne suis pas un hypnotiseur, Irina. Les miracles, c’est bon pour les gogos. Moi, quand je vois un gars au bout du chemin, prêt à se lancer dans une nouvelle aventure, pour sa propre renaissance, j’en conclus qu’il n’y a rien à faire. Le persuader du contraire, c’est de l’acharnement thérapeutique.
— Dites plutôt que son histoire de détective privé a flatté votre petit égo.
— Un peu, je l’avoue. Vous pouvez également incriminer les bières, l’ambiance, la météo. Cela ne change rien. Ce gars me plait. Allistair Huwe-Smith et sa clique me gonflent. J’ai choisi mon camp.
— Je croyais que vous gardiez votre cœur d’artichaut pour les jolies poupées blondes tyrannisées par leur mari. Vous m’étonnez, Don ! Dans le bon sens du terme. Finalement, sous cette apparence d’enfant gâté, d’adolescent mal dégrossi, se cache un romantique, un Don Quichotte de papier.
— Pensez de moi ce que vous voulez, Irina, ma décision est irrévocable.
— Je le sais, bougre d’âne. Vous êtes têtu comme Ali Boron.
— Hi-han !
— Miaou !
— Vous m’aiderez, Irina ?
— Bien sûr Don ! Il faut bien quelqu’un de réaliste pour mettre en œuvre vos plans foireux.
— Merci !
— Vous m’inviterez dans le restaurant de mon choix pour vous faire pardonner. En attendant, rentrez chez vous, je me charge du reste.

Irina se révéla, une fois de plus, l’équivalent russe de Mary Poppins. Elle persuada Allistair Huwe-Smith des motivations profondes de son MacGuffin adoré, de l’inéluctable fin d’une collaboration fructueuse entre le réalisateur et son scénariste préféré, de l’existence d’autres génies sur qui s’appuyer pour ses prochains films, j’en passe et des meilleures. Le client protesta pour la forme puis convint avec Irina qu’il était temps pour lui de tourner la page MacGuffin.
Le business du cinéma ne rentra pas dans une crise profonde, les critiques d’art ne crièrent pas au loup et les productions Huwe-Smith continuèrent à engranger les millions de dollars.
Mon agence encaissa bien son gros chèque, Irina veillant au grain en matière de recouvrement de créances, mais je tirai un trait définitif sur mes ambitions internationales, du moins à l’Ouest du Pecos, en particulier auprès des cadors du septième art. Allistair Huwe-Smith avait cédé aux arguments d’Irina mais ses associés me gardaient une rancune éternelle.

MacGuffin travailla d’arrache-pied sur son roman. Il me mobilisa plusieurs soirées pour peaufiner son personnage de détective privé, pour habiller Marie de réalisme social, puis passa des mois à écrire son chef d’œuvre. Finalement, il fut publié par un éditeur alternatif, descendu en flèche par les plumitifs parisiens et ringardisé par les canards spécialisés.
Le génie du scénario se reconvertit en professeur d’anglais dans une sombre ville de province, épousa une maîtresse d’école et fourgua sa machine à écrire à un brocanteur de passage.



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