Léo (le collège)

Date 22-02-2015 20:51:58 | Catégorie : Nouvelles confirmées


"Je me souviens parfaitement de mes premières vacances d’été passées en Normandie, avec Flora et Kamel. Finalement, il pouvait sembler bon de ne pas être toujours seul.
Sans doute à cause de la différence d’âge qui était moindre avec ma sœur, je me suis toujours mieux entendu avec elle, plutôt qu’avec mon frère. Peut-être aussi avais-je pris très tôt au sérieux mon rôle de grand frère ?
Ces premières vacances d’été avec Flora furent bien agréables.
Tous deux, nous étions fascinés par la construction de chalet en bois, mais aussi par de célèbres petits bonhommes de plastique. Nous passions des journées entières à jouer sur la pelouse, sans jamais nous chamailler, soit à l’ombre du grand Saule pleureur ou cachés sous une cabane improvisée de vieux draps déployés sur la table de jardin. Le scénario était souvent le même, chacun sa maison de bois, chacun sa famille avec ses enfants et ses animaux, mais toujours d’incroyables aventures dignes du dernier feuilleton américain à la mode et sans fin, qui inexorablement passait à la télévision, tous les jours aux alentours de dix-neuf heures trente.

Mes relations avec Kamel n’étaient pas aussi sereines, surtout lorsque nous échappions à la surveillance de nos parents.
Les parties de tennis de table se terminées généralement par des lancements de raquettes où notre habilité se mesurait le plus souvent par notre virtuosité à les esquiver en protégeant nos visages. Je me souviens parfois avoir été moins débrouillard …
Aussi, lorsque nous décidions de jouer à la pétanque, mieux valait être vif et alerte, plutôt qu’appliqué et concentré. Les règles de nos jeux exigeaient parfois des aptitudes inattendues, ou même des qualités ignorées. En effet, il nous semblait plus évident de nous viser l’un l’autre, plutôt que le cochonnet, inerte, et au fond, sans grand intérêt.
Je me demande s’il se rappelle encore du grand coup de pèle que je lui avais assené dans le bas du dos, côté tranchant bien sûr, alors que nous construisions confusément quelques châteaux de sable.
Peut-être était-ce en représailles du plomb de sa carabine à air comprimé qui un jour, par inadvertance sans doute, était venu se loger dans ma cuisse ?
Heureusement, il y eut pour nous réconcilier ces petits soldats de plastique vert, achetés prés d’Arromanches-les-Bains, lors d’une classe de mer.
Chacun avec son camp échafaudé dans de petites cavités de terre, nous tirions à l’aveugle, tour à tour, soit avec des cailloux, soit avec des petits pétards sur le territoire de l’adversaire.
C’était un jeu délicieux.
Ces parties emblématiques de guerre et de rivalité finissaient, contre toute attente, par nous rapprocher, très temporairement.

Mes nouvelles vacances scolaires en famille me permettaient d’explorer plus en profondeur nos liens fraternels.
D’un côté, il y avait Kamel et notre incompatibilité. Nous construisions graduellement nos rivalités et nos jalousies inconscientes. Seul, de mon côté, j’endurais mon impossibilité à pouvoir m’identifier à mon grand frère.
De l’autre, il y avait Flora, nos liens indéfectibles tel un refuge face aux souffrances de nos vies, mais aussi, à nos solitudes affectives.
Il naissait entre nous comme une puissante amitié aux racines improbables et secrètes, profondes et enfouies.
•••

Malgré des résultats très irréguliers accumulés à l’école primaire, j’étais parvenu, je ne sais comment, à garder mon année d’avance. J’avais traversé cette période en ne travaillant qu’un jour sur deux, au gré de mes humeurs qui venaient troubler mes ressources cognitives. Pourtant tout le monde s’accordait à dire que j’avais des facilités et des dispositions pour les apprentissages scolaires.
Hélas, le monde ne percevait pas ma peine à être qui peu à peu se substituait à mon enfance.
Ainsi, je suis entré au collège alors que je n’avais que dix ans et demi. C’était un monde brutal. J’y suis arrivé avec toute ma candeur, mes faiblesses et ma timidité, ce manque absolu de confiance en moi, et bien sûr, toute l’étrangeté qui caractérise si bien les enfants mal aimés ou déjà bousillés par la vie et les adultes défaillants.
Il m’eut fallut finalement assez peu de temps pour me retrouver totalement seul dans cette jungle, ce grouillis de petits hommes et de petites femmes pas tout à fait parachevés, aux sentiments encore exacerbés, aux pulsions amplifiées, aux haines et aux amours rudimentaires, inendiguables.
Je me rappelle encore des premières insultes :
- « Regardez, il paraît que c’est lui le frère du bougnoule ! Espèce de bâtard ! Tu n’es qu’une merde, sale fils de pute ! ».
J’étais totalement stupéfait et blessé, incapable de me défendre. Blanc.
Comment était-il possible de détester quelqu’un avant même de le connaître ou de lui laisser une moindre chance ? J’avais déjà appris dans un chapitre antérieur de ma vie, l’inhumanité et le sadisme par le biais d’adultes déments, mais cette année là, je découvris la haine sans retenue et la méchanceté gratuite des enfants.
Ces derniers me semblaient être un concentré de ce que l’on peut trouver de pire dans la nature humaine, dépourvus d’empathie, désespérément velléitaires lorsqu’ils mettaient tout en place pour tenter de jouir d’un statut gratifiant au sein d’un groupe.
Déjà, à l’époque, je me demandais pourquoi les adultes persistaient à laisser seules, entre-elles, ne serait-ce que quelques instants, ces abjectes créatures que sont les enfants, égoïstement et exclusivement engluées dans leur propre désir.

Mon frère Kamel était dans ce même collège depuis deux ans déjà. Il était en quatrième. J’avais assez vite compris ce qu’il avait dû endurer pendant ces premières années dans cet enfer. Moi, depuis longtemps déjà, j’avais oublié que mon frère et ma sœur n’avaient pas tout à fait la même couleur de peau que moi. J’avais l’intuition de savoir depuis toujours que les sentiments, qu’ils soient de haine ou d’amour, étaient étrangers aux couleurs de l’épiderme, mais plutôt dictés par nos peurs, mais aussi, très souvent, par des lois inconscientes.

Kamel n’avait pas le même caractère que moi et encore moins cette morphologie longiligne et décharnée. De plus, il avait appris à se battre.
Je remarquai que les autres préadolescents ne m’insultaient jamais de « frère du bougnoule » en sa présence et que ce dernier avait réussi à force de bagarres à se faire respecter.
De toute façon, au collège, avec mon frère nous nous croisions peu et surtout ne nous parlions pas. Je suis certain qu’il avait honte de moi.
Alors que mes yeux se baissaient, chaque jour apportait ses nouvelles insultes.
Vinrent ensuite les premières bousculades. Très vite alors, les préadolescents s’aperçurent qu’il suffisait simplement de lever la main sur moi pour me voir cligner des yeux et retrouver mes reflexes craintifs d’enfant battu que je pensais avoir délaissés.
Dés lors, je ne fus plus le « frère du bougnoule ». Je devins aux yeux de ces aimables enfants, tantôt une tapette, une merde, et bientôt, un pédé.
Je n’avais pas onze.
Pendant le cours d’anglais, ma voisine qui avait déjà redoublé trois fois était plus maquillée qu’une pute. Elle avait quatorze ans et elle me faisait peur. Pourtant, en sixième, je ne savais même pas ce que pouvait être une pute.
Je ne compris pas non plus ce dont elle voulut me parler lorsqu’elle évoqua pour la première fois devant moi, son avortement à venir"…




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