Quand les idées prennent vie

Date 01-03-2015 09:30:00 | Catégorie : Nouvelles confirmées


Réponse au défi d'Exem :

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La sonnerie de téléphone me tire brutalement d’un sommeil réparateur. Un coup d’œil vers le radioréveil à l’affichage rouge vif : il est minuit sept. Qui peut bien appeler à une heure pareille ? Je constate que le numéro qui s’affiche est celui de mes parents. Mon père ferait-il encore une crise de somnambulisme ou ma mère aurait-elle un soudain besoin de se confier pour lui éviter une énième nuit blanche ? Je réponds avec un « Allô » exprimant ma profonde lassitude. La voix à l’autre bout du fil et qui prononce mon prénom m’est totalement inconnue. Ma fatigue s’efface instantanément pour laisser place à l’angoisse. Sur un ton monocorde, mon mystérieux interlocuteur m’ordonne : « Viens tout de suite sur les lieux de ton enfance sinon nous sèmerons la souffrance. » avant de raccrocher. Mon sang se glace instantanément dans mes veines et divers scénarios se bousculent dans mon cerveau d’auteur à succès. Le plus probable me raconte une histoire de voleurs souhaitant me soutirer quelques milliers de dollars en échange de la survie de ceux qui m’ont vu naître.

Mon téléphone se met à émettre des petits bruits significatifs. Je constate que mes amis auteurs se mettent tous à poster des messages mystérieux dans nos groupes de discussions privés. Erika se prépare à être fouettée par Christian sous les yeux d’Anastasia. Stéphenie se plaint de la morsure douloureuse infligée par Edward et Bella, Joanne déclare que le sort endoloris est encore plus terrible qu’elle ne l’imaginait et Suzanne tente de se cacher en espérant que Katniss ne la découvre pas. Auraient-ils tous perdu la tête ?

Je n’ai pas le temps de m’occuper de leurs délires, mes parents sont en danger. Arrivé devant leur porte, je n’ai pas le temps de sonner qu’une main m’agrippe violemment et me jette sur le sol du couloir. Je suis ensuite traîné sans ménagement par l’encolure de mon pull-over jusque dans la cuisine. Là, je découvre mes parents bâillonnés et ligotés sur les chaises en formica. L’expression de leur regard me fait part de la terreur qui les habite. Je peux ensuite découvrir le visage de celui qui m’a accueilli avec tant de douceur : un baraqué, genre homme des bois, le visage rougeoyant et une balafre sur la joue gauche. Je remarque une petite hache dans sa main. Deux autres personnages arrivent du salon. L’un est filiforme, les joues creuses, le dos voûté et le regard vicieux, l’autre est un moustachu bedonnant qui porte des lunettes en demi-lunes. Une drôle d’impression de déjà vu m’envahit. C’est le petit gros qui m’adresse la parole :

« Ha enfin te voilà ! Nous étions impatients de te rencontrer.
– Mais qui êtes-vous ? Et que voulez-vous ?
– Tu ne nous reconnais pas ?
– Euh… non. Pourquoi ? Je devrais ?
– Bien sûr, tu es notre créateur tout de même ! »

Je reste un moment le cerveau en ébullition. Passant du visage de l’un à celui de l’autre, je pose ensuite mon attention aux objets qu’ils portent dans leur main. L’échalas aiguise son couteau de boucher sur le cuir de son pantalon et le sosie d’Hercule Poirot frotte avec frénésie une fourchette en argent au moyen d’un mouchoir immaculé.

« NON ! C’est vous ! C’est totalement impossible. Vous n’existez pas !
– Comment oses-tu dire cela ? TOI !
– Vous n’existez que dans ma tête et mes bouquins. Vous êtes mes personnages : Larry, le démembreur de Boston (en désignant le possesseur de hache), John l’écorcheur de New York (montrant du doigt le plus grand) et Jack le cannibale de Washington (en regardant le gros).
– Bravo ! Tu nous as reconnus.
– Mais comment…
– Sommes-nous arrivés ici ? Un drôle de phénomène s’est produit : à minuit toutes les planètes se sont alignées, donnant ainsi vie aux personnages de roman à succès sur les lieux où ils avaient été créés par leurs auteurs respectifs. »

Je comprends soudain que je ne suis pas seul à vivre ce cauchemar et les messages postés prennent tout leur sens. John s’approche de mon père et fait courir la lame de son couteau sur sa gorge pendant que la mienne se noue.

« Que voulez-vous ?
– Il faut que tu comprennes que tu nous as fait souffrir, me lance le balafré. Par exemple, moi, j’ai souffert du regard des autres à cause de cette cicatrice dont tu m’as affublé. John endure de terribles maux de dos en raison de sa cyphose et Jack a des carences alimentaires à cause de son régime exclusivement carnivore. Mais nos souffrances t’ont apporté le succès.
– Oui. Je comprends. Vous voulez votre part du gâteau !
– Non ! Nous n’avons que faire de ton argent. Par contre, nous sommes tous à la recherche de reconnaissance et de respect. Nos personnages provoquent la haine et nous en sommes très meurtris. Il faut que le monde sache que nous ne sommes pas responsables de notre destinée et de nos défauts. C’est toi et tes amis auteurs qui devez subir les humiliations.
– Qu’attendez-vous de moi ?
– Je te l’ai dit ; de la reconnaissance pour le travail de collaboration que nous avons fourni.
– Ok, je comprends. Ecoutez les gars, je n’avais jamais vu les choses de cette façon. Mais en effet, je n’y serais jamais parvenu sans vous. Alors je vous remercie pour tous les sacrifices que vous avez consentis pour mon succès. Vous avez mon admiration et ma gratitude éternelles. »

Les trois compères se lancent un regard complice et, sans prononcer un mot, sortent de la maison. Je les vois avancer de front sur le trottoir éclairé par la lumière jaunâtre d’un réverbère. Peu à peu leurs silhouettes s’effacent dans la nuit. Je ferme la porte en poussant un gros soupir de soulagement avant de retourner dans la cuisine pour délivrer les prisonniers. Sous la lumière froide du néon de la pièce, une vision d’horreur s’offre à mes yeux incrédules. Les corps écorchés et dépossédés de leurs membres de mes parents gisent sur les chaises ensanglantées. Une odeur étonnamment agréable s’échappe de la poêle où mijote une paire de cervelles encore roses. Un hurlement veut sortir de ma gorge mais seul un ridicule petit cri parvient à se frayer un chemin à travers les nœuds qui la tapissent.

Je me relève brutalement dans mon lit. En position assise, je constate que je suis en nage, avec des palpitations digne d’un sprint final du tour de France. Le temps de recouvrir mes esprits et retrouver une respiration normale, je me remémore mon cauchemar tout en m’extasiant sur mon imagination débordante. Il est six heures trente du matin et le soleil darde ses premiers rayons à travers les stores vénitiens. Je souhaite rejoindre la salle de bain mais mes pantoufles sont introuvables. Je tâte le parquet sous mon lit à leur recherche, en vain. Je pars chercher le balai dans le placard afin de me donner plus de chance de les attraper. Grâce à un mouvement large, je sens que ma pêche est productive. La tête-de-loup ramène peu à peu divers objets qui avaient élu domicile sous mon lit. Juste à côté de mes chaussons poussiéreux, je découvre une petite hache, un couteau et une fourchette en argent. Des gouttes de sang frais luisent sous un ray de lumière matinale.




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