Léo "Croquette"

Date 08-03-2015 22:17:47 | Catégorie : Nouvelles confirmées


"Le courrier qui devait annoncer mon renvoi du collège, la semaine suivante, pour une durée de trois jours, n’arriva que le surlendemain. Le proviseur qui n’avait sans doute pas trouvé judicieux de prévenir mes parents par téléphone m’avait alors laissé le soin de les avertir moi-même.
Evidemment je m’étais tu. Les deux nuits presque blanches qui s’étaient écoulées, m’avaient ainsi laissées du temps pour pouvoir élaborer une toute autre version des faits.
En cette fin d’après-midi, alors que je m’apprêtais à franchir la porte de la maison, cette dernière s’ouvrit brusquement devant moi. Hélène était postée sur le seuil. Visiblement le facteur était passé.
Ma mère aboya et s’anima :
- « Celle-ci, c’est pour ton renvoi du collège, et celle-là, pour ton bulletin de notes et ton redoublement ! »
Je venais de recevoir deux bonnes gifles et ma mère, deux courriers.
Je baissai les yeux car j’estimai les avoir quelque peu méritées.

- « C’est terminé tes conneries maintenant, tu montes dans ta chambre, tu arraches tous tes posters et je veux, devant moi, te les voir jeter dans la cheminée ! Tu me redescends également ton poste-radio, il est confisqué jusqu’à nouvel ordre. ».
Il était évident que la sanction avait été mûrement réfléchie par ma mère, mais était-ce donc tout ? Seulement deux gifles, une légère pointe de sadisme, et quelques hurlements, j’avais imaginé bien pire. Hélène était-elle en train de ramollir ?
D’accord, comme de nombreux adolescents, la musique commençait à prendre une place très importante dans ma vie, mais pour le coup, j’étais certain de pouvoir survivre dignement à cette punition, même si celle-ci devait se prolonger un peu.
Ainsi, je redescendis de ma chambre, avec ma pile de posters et mon poste-radio, dernier cri.
Une à une, je dus me résigner à voir brûler les effigies de mon adolescence sous le regard conquérant d’Hélène. C’était ma double peine.
Dans les flammes, le regard figé, je tentais de retenir le visage des mes idoles de pacotille qui marquèrent à peine le milieu des années quatre-vingt.
D’un côté, je dois avouer que je n’ai pas eu de chance ce jour-là. En effet, il était assez rare malgré tout que la cheminée soit encore allumée début juin, mais dans cette vielle demeure en pierre, certaines soirées printanières pouvaient être fraîches et humides.
D’un autre côté, j’avais eu la chance que le courrier qui stipulait mon renvoi ne soit pas explicite. C’est ainsi que je dus m’aventurer à livrer une version des faits qui pourtant, ne me convainquit pas moi-même.
- « En fait, à la cantine je n’avais plus vraiment faim et comme je ne voulais pas jeter mon fromage, pour ne pas le gaspiller, je l’ai mis dans ma poche de ma veste pour le manger ce soir à la maison. Et puis, en cours d’allemand, je me suis aperçu qu’il était écrasé dans ma poche et c’est là que j’ai décidé de le jeter. Comme je n’ai pas osé demander pour me lever, je l’ai envoyé mais je n’ai pas réussi à viser la poubelle. C’est comme ça qu’il s’est retrouvé sur le tableau. Je suis tellement désolé… ».
Hélène grinça, mais pourtant, aussi incroyable que cela puisse encore me paraître aujourd’hui, je n’entendis quasiment plus jamais parler de cette malencontreuse mésaventure.
En revanche, le redoublement me causa de nombreuses réprimandes.
Je n’espérais même plus que l’on fête mon anniversaire qui approchait à grands pas.
Pourtant, un matin, quelques jours seulement après mon exclusion, Flora vint me retrouver avec empressement dans la cours du collège.
- « Il faut que je te dise quelque chose Léo ! C’est un secret, tu dois me promettre de ne rien dire aux parents ! Ils m’ont fait promettre de ne rien dire ».
Il en était toujours ainsi entre Flora et moi. Nous n’avions jamais de secrets.
Nous étions liés, irrémédiablement.
- « Je te jure que je ne dirai rien. Dis-moi ce qu’il se passe ! ».
- « Et bien, pour ton anniversaire, papa et maman vont t’offrir un chat ! »
Je suis resté pantois quelques instants.
- « Tu en es bien sûre ?! »
- « Oui, je te jure que c’est vrai, il est naît en avril ! Je te le jure ! Ils vont aller le chercher à la ferme de Monsieur et Madame Degrotte ! »
J’avais les larmes au bord des yeux, mais j’étais trop fier pour pleurer devant ma petite sœur. Elle était heureuse pour moi, et moi, j’étais heureux pour deux.
Nous nous prîmes dans les bras et sautillâmes comme des enfants joyeux.
Posséder un chat était devenu mon plus grand rêve, mais je savais aussi que les rêves ont une fâcheuse tendance à ne jamais se réaliser.
J’ai quelques temps considéré le jour de mes treize ans comme étant le plus beau de ma vie. La petite chatte s’appela « Croquette ».
Elle partagea avec moi, entre bonheurs et peines, les treize autres années à venir.
•••

Les effets escomptés du redoublement ne pointèrent jamais le bout de leur nez, bien au contraire. Je tournais mal. Pour cette deuxième année en classe de quatrième, la moyenne de mes notes s’effondra jusqu’à dégringoler à quatre sur vingt. Très fréquemment mes copies restaient vierges et le plus souvent les quelques points que je réussissais à engranger étaient des points de propreté obtenus en recopiant très soigneusement et rigoureusement les énoncés des travaux demandés. Enfin les appréciations sur mes copies n’évoquaient plus un sempiternel travail irrégulier de ma part. Il n’était tout simplement plus question de travail.
Je ne sais pas comment cette année là, je ne suis pas parvenu à rendre mes parents complètement fous.
Mes journées au collège me semblaient parfois si longues. Heureusement, je n’avais pas arrêté mes bêtises. Je m’étais accoquiné avec les plus mauvais élèves de ma classe. Ils étaient en apparence les plus joyeux, mais surtout, les plus turbulents.
Aussi, comme si cela n’avait pu suffire, j’étais tombé amoureux de Sabrina. Elle était un phénomène. Une joie de vivre de façade. Son cœur était désespérément brisé par le divorce de ses parents. Certains me disaient qu’elle n’était pas très jolie. Je crois que personne ne la voyait aussi bien que moi. J’aimais ses grands yeux pétillants, et surtout le charme de sa voix unique, éraillée.
Je crois qu’elle ne m’a jamais aimé et surtout, qu’elle s’amusait de mes émois.
Avec quelques amis, nous étions une bande d’adolescents faussement heureux et paumés. Pour ma part, j’oscillais dangereusement entre des moments d’euphorie exagérément gonflés et des moments de spleen, abyssaux. Je ne me sentais jamais moi-même et ne trouvais pas ma place.
Ainsi, je pouvais passer des heures, seul dans ma chambre, à me torturer avec des questions existentielles. De ma petitesse, et gouverné par mon sentiment de ne pas être indispensable à l’univers, il m’arrivait de contempler inlassablement les adolescents de mon âge qui me paraissaient donner inexorablement de l’importance à ce qui pour moi n’en avait pas. Je les observais, suffisants, se remplir et se complaire, entre matérialisme et foi en eux.
Pour mes congénères, sans doute étais-je inhabité ou étrange ? J’entretenais ma volonté de ne pas vouloir leur ressembler. Dans mes chimères, je ne pouvais m’empêcher de les considérer comme des animaux, en les réduisant à leurs instincts primaires, mais aussi, à leurs besoins élémentaires.
Moi, à la maison, dés que le temps le permettait, j’étais dehors, en train de jardiner. Le règne végétal suscitait mon admiration. Il m’était plus paisible et surtout pacifique. J’étais fasciné par sa capacité à pouvoir s’épanouir ou même, se réaliser sans amour.
J’étais un rêveur et au fond, je jalousais les plantes.
Comme elles, j’aurais aimé simplement me résoudre à suivre naïvement le rythme des saisons, en me contentant seulement de ressentir la Terre pivoter tout autour du soleil. Pareillement je rêvais de pouvoir contempler placidement l’été basculer quand les blés sont coupés en me laissant inconsciemment vaciller aux confins d’un automne annoncé.
En regardant les hommes, je me désolais et maudissais ma chance d’être là, piégé entre leur cruauté et cette force qui les pousse à se sentir invincibles, puissants, méprisants et éternels. Je me sentais minuscule. Englué dans mes mystères, j’étais fébrile de n’être qu’aussi peu, et au final, que la vie puisse me faire aussi mal.
Pleinement, je devenais un adolescent, en crise.

Ma petite chatte Croquette avait un caractère épouvantable. J’étais tellement possessif, qu’elle avait fini par n’accepter que ma présence. Elle était méprisable avec tout le monde et finalement, contribuait parfaitement à mon bonheur. Lorsqu’Hélène passait à côté d’elle, la charmante bestiole ne pouvait s’empêcher de lui cracher dessus en se faufilant entre ses jambes. Yves ne pouvait s’empêcher de dire que lorsqu’il était plus jeune, son chat « Champagne » passait son temps sur ses genoux, et que ma pauvre Croquette était une créature diabolique. Je comprenais qu’il disait ces choses-là pour me blesser mais cela ne faisait que renforcer mes liens avec l’animal, et au fond me permettait de porter mon surplus d’affection, jusque-là inutilisé, pour le seul être assez digne à mes yeux de pouvoir l’accueillir.
En faisant en sorte que mon père puisse bien me voir et m’entendre, je prenais avec précaution la chatte sur mes genoux. Aussitôt, elle se mettait à ronronner généreusement, puis, insidieusement, feignant avoir oublié la présence de mon père, je marmonnais avec délice :
- « Tu sais ma Croquette, tu es pour moi ce qui compte le plus au monde ! »
Œil pour œil et dent pour dent, je n’étais pas sans ressource et surtout, n’étais pas avare d’une vacherie."...




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