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Date 26-03-2015 13:50:00 | Catégorie : Nouvelles confirmées


Chapitre Un :

Cela peux vous paraître étrange, or ça fait plusieurs minutes que je suis assis sans bouger à ma table de travail. Autour de moi, l'obscurité est presque totale. Ma veilleuse est allumée, bien que le Soleil n'ait pas entamé sa déclin de l'autre coté du carreau. Mes instruments d’Érudit l'accompagnent. Il n'y a aucun bruit, si ce n'est celui de ma respiration. Le calme et la tranquillité règnent en maîtres depuis des heures. Mais, dans ma tète, des centaines de pensées disparates se bousculent. Des images surgies de mon passé se télescopent. J'aimerai les ralentir, les immobiliser. Hélas, je ne parviens à en retenir aucune.

Je ferme les yeux. J'essaye de concentrer mon attention sur l'une d'elles. Après bien des efforts, j'y arrive enfin. Celle-ci montre un corridor sombre au pavement poussiéreux. Je reconnais les lieux parce qu'ils m'inspirent l'effroi. Des Gardÿens y patrouillent continuellement, c'est évident. Ils s'y cachent, attendant patiemment d'y dévorer l'imprudent qui s'y égarerait, c'est certain. Ils le hantent jusqu'aux frontières de l'enceinte sacrée où il conduit, c'est indiscutable. Ils frôlent les poutres affermissant son plafond et partiellement dissimulées dans l'obscurité. Ils se faufilent le long des luminaires sculptés accrochées à intervalles réguliers à près de deux mètres de hauteur. Ils restent indifférents à leurs ornementations de ferrures s'apparentant à des ailes de membraneuses repliées sur elles-mêmes. Mais moi, Il me semble discerner l'ossature velue et le crâne simiesque courbant l'échine qui les agrémentent. Ils ne réussissent pas à repousser la nuit, car la lumière jaune-orangée des ampoules électriques les surplombant le leur interdit. Seules les toiles d'araignées argentées arrimées aux poutres captent leur attention. Seules les fissures plus ou moins prononcées les constellant les subjuguent. Quant à moi, seules leurs ombres précédées par le froid et le silence glaçants m'interpellent… avant qu'elles ne soient avalées par le Néant.

Elles sont immédiatement remplacés par le visage de mon Maytre. Il est dans son laboratoire ; celui où je réside désormais. Il y manipule fioles et onguents multicolores. Une odeur tantôt nauséabonde, tantôt douceâtre, s'y diffuse. Un épais brouillard couleur caca d'oie l'enveloppe. Pourtant, malgré la brume, j'y discerne sa silhouette. Des rides couvrent sa physionomie. Son œil borgne a le globe oculaire remplacé par une perle noire d'Orient. Sa longue chevelure est poivre et sel, sa barbe gris sale date de trois jours. Les manches de sa robe sont en velours. Ses doigts sont effilés et se terminent par des ongles délicatement ciselés. Son éternelle pipe à longue tige entre les lèvres, il me surveille. En même temps, il verse d'une main, différents liquides dans un flacon, et de l'autre, il tourne les pages d'un manuscrit vieux d'un millénaire. Et il me demande une fois encore d'observer sa démonstration.

Il surprend mon regard intrigué en direction du recueil à la couverture bleu nuit qu'il feuillette consciencieusement. Et tandis que je me rends compte que cette dernière est agrémentée de symboles ésotériques, que ses planches sont habillés de textes en grec ancien – une langue que je n'ai pas appris à déchiffrer -, la scène se dissout à son tour.

Aussitôt, les clichés recommencent à virevolter. Je plisse mon front ridé afin d'essayer de les chasser. C'est difficile. Mon âme épuisée par des décennies d'études est à cours de ressources. Je déplace de quelques millimètres mes doigts au bord de la feuille de papier disposée devant moi. Le mouvement est imperceptible. Pourtant, il disperse immédiatement les circonvolutions éphémères qui encombraient mon âme. Ma main s'empare, presque sans que j'aie à le lui ordonner, de la plume d'oie avachie non loin de là. Je trempe sa pointe dans l'encrier de cristal situé à une demi-douzaine de centimètres d'elle. Mes yeux l'observent un instant. Je souris en reconnaissant le lutin ailé au regard d'ambre dont les coudes s'appuient nonchalamment sur ses pourtours. Ses minuscules mains soutiennent sa figure aux traits ironiques ; ses membres paraissent toujours aussi agiles, son corps toujours aussi gracieux bien que moucheté de salissures mauves et brunes. Lorsque je retire ma plume, une goutte noire s'en détache et va maculer la table. Elle rejoint ainsi les centaines d'autres particules d'encre la parsemant. Je vérifie que ma lampe délaye assez de clarté autour de moi. Je me penche sur mon in-octavo vierge. Puis, je commence à écrire.

Le sillon se métamorphose en lettre. La lettre devient mot. Le mot se transforme en phrase. Chacun de mes tracés est immédiatement suivi d'un éclat doré ; mais il se dilue quasi-instantanément. Et tandis que s'impriment mes locutions, je me dis qu'il y a bien longtemps que j'aurai dû entamer ce Mémoire.

Par où débuter ? telle est la question qui me tourmente. Ça fait des années que, pareil au ressac de l'océan, elle revient régulièrement m'oppresser. Je n'en n'ai toujours pas trouvé la réponse. Et pourtant… Est-ce le jour de ma naissance ? J'en doute, bien qu'alors que j'étais âgé d'une douzaine d'années, ma mère m’aie raconté ce qui s'est passé. Comment l’Hôpital Sainte-Anne, ainsi que le quartier Sainte-Gènes, ont été plongé dans l'obscurité ! De quelle manière, de l’Hôtel de Ville au Marché des Capucins, et de l'église Saint-Eloi au Palais de Justice, la fureur des éléments a pris des proportions titanesques ! « Un gros orage s'est déchaîné sur toute la ville m'a t-elle avoué cette fois là. Il a plu à verse et les grondement du tonnerre ont résonné jusque dans la salle d'accouchement. Aux fenêtres, le ciel a été d'un noir d'encre. J'y ai surpris deux ou trois fois les dragons-nains nichant d'habitude à cette heure du jour au sommet de la plus haute tour de la Cathédrale de la ville. Des éclairs ont zébré le firmament. Leurs luminescences ont effacé brièvement les contours des bâtiments adjacents à la maternité. Un vent violent s'est engouffré dans les ruelles de l'arrondissement. Il y a, paraît-il, arraché de nombreux arbres et poubelles mal arrimés au sol. Il y a même eu les caves de plusieurs pavillons aux abords de la Porte de Bourgogne qui ont été inondées.

Mais c'est tout ce que je peux relater, a t-elle renchéri. J'ai été, la plupart du temps, absorbée par les contractions attenantes à ta venue au monde. Et, au final, je me suis évanouie. Ce sont les infirmières qui m'ont ensuite décris le climat quasi-apocalyptique qui a régné dans la salle de travail ; le va et viens incessant des internes et des sages-femmes ; les cris d'épouvante des bébés dans la nursery après qu'une vitre s'y soit volatilisée, heureusement sans qu'il n'y ait de blessé. Je suis désolée de ne pouvoir t'en apprendre davantage. ».

Non, ma naissance n'a aucune importance. A peu de choses près, elle a ressemblé à n'importe quelle autre.
Le jour où je suis allé pour la première fois à l'école peut-être ?



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