Renaissance

Date 28-03-2015 17:41:53 | Catégorie : Nouvelles confirmées


L'avion a décollé depuis une heure, nous sommes au-dessus de l'Atlantique. Ces vacances, Daphné les attendait depuis bien longtemps. Retourner aux Etats-Unis, elle en avait tellement envie ! Cette fois-ci elle part pour la Californie, le soleil, l'insouciance. Son mari a essayé de la dissuader plusieurs fois de partir :

« Qu'est-ce que je vais faire sans toi ? »

« Tu vas me laisser tout seul pendant deux longues semaines ? »

« Tu n'as pas de cœur, tu vas sûrement rencontrer quelqu'un d'autre là-bas. »

Daphné a tenu bon, Paul déteste les vacances à l'étranger, et elle s'est privée pendant des années. Elle a décidé de partir, Paul peut faire ce qui lui plaît.


Tout à coup une lumière s'allume :

« Attachez vos ceintures »

L’avion tremble, il y a des bruits sinistres. Daphné n’est pas rassurée, mais elle se raisonne, ce ne sont que des trous d’air. Soudain elle se sent tomber, ils sont en train de décrocher ! Elle serre les mots d’amour que Paul a mis dans son sac à main avant de partir.


Tu es la plus belle du monde

Sans toi je suis perdu

Je compte les jours qui me séparent de toi

Je t'aime plus que tout…


Il lui a dit qu’il en avait écrit un pour chaque jour, ainsi elle pourrait les lire et ne pas l’oublier.

Les turbulences semblent interminables, les masques à oxygène tombent du plafond et affolent les passagers encore plus. Daphné pense à sa vie, à sa petite existence entre son travail, son foyer et Paul qui la vampirise. Pourtant tout le monde l’adore Paul :

- Il est si gentil ! Dit sa mère avec des yeux admiratifs.

- Quel bel homme ! S’exclame sa sœur dès qu’elle en a l’occasion.

Personne ne comprend le désarroi de Daphné. Aucun membre de sa famille n’est conscient du poids qui pèse sur ses épaules. Elle a peur de mourir. Elle est encore jeune, pourquoi s’est-elle contrainte à vivre dans l’ombre de son mari soi-disant parfait ? Si elle survit, les choses vont changer. Sa main se crispe sur ses mots tendres enrobés de douceur qui l’empoisonnent depuis si longtemps. Daphné prend une décision, elle va profiter de ses vacances si Dieu le lui permet, mais elle va aussi reprendre sa vie en main ! Un plan machiavélique se dessine soudain, Daphné ferme les yeux et s’abandonne. Si elle survit, elle se sentira tout à fait en droit de l’accomplir.


Finalement après de très longues minutes, l’avion se stabilise, les passagers peuvent détacher leurs ceintures, le danger est passé.

Après trois semaines passées sous le soleil de l’ouest américain, Daphné se sent plus forte. Elle a l’impression d’avoir renoué avec sa jeunesse qui n’est pourtant pas si loin. Elle se sentait si vieille il y a seulement quelques jours.

Les lettres de Paul sont toujours dans son sac. De retour dans son foyer, elle a décidé de faire des travaux dans leur maison :

- L’allée a besoin d’être goudronnée, a-t-elle déclaré à son mari.

- Je vais faire les travaux ma chérie, on aura moins de frais.

Toujours cette avarice qui l’horripile !

- Si tu veux. Il faudrait faire un grand trou devant le garage, je t’expliquerai pourquoi plus tard.

- Un trou ? Quelle drôle d’idée !


Paul se met à creuser le jour même, poussé par le désir de faire des économies. Daphné serait capable d’engager un entrepreneur !

Quand il a fini, Daphné lui sert un bon café :

- Tu sais, j’ai décidé de changer de prénom, Daphné est trop classique, il ne me correspond plus.

- Ton voyage t’a vraiment changée ! Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?

- Je vais reprendre ma vie en main, et pour commencer, j’ai décidé de me rebaptiser avec un nom de mon choix.

Paul a mal à la tête, sa vue se brouille.

- Quel nom ?

Avant de s’effondrer, il a juste le temps d’entendre :

- Clothilde.

A la nuit tombée, Clothilde traîne le corps de son défunt mari dans le trou. Elle le recouvre avec toutes les lettres qu’il lui a écrites pendant toutes ces années, une par jour, il y en a deux mille cinq cent cinquante-cinq. Ensuite, elle rebouche soigneusement la tombe.
Le lendemain l’allée est recouverte d’enrobé à chaud par une entreprise de terrassement.

En regardant les ouvriers travailler, Clothilde fredonne :

- Moi les mots tendres enrobés de douceur,
Se posent sur ma bouche,
Mais jamais sur mon cœur.

https://www.youtube.com/watch?v=_ifJapuqYiU






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