Détective Trask – Épisode 5 – Les morts parlent

Date 05-06-2012 05:10:00 | Catégorie : Nouvelles


Détective Trask – Épisode 5 – Les morts parlent

Le détective se dirigeait vers le cimetière Sainte-Thérèse d’Avila. N’étant pas un homme à fréquenter ce genre de lieu, il préférait de loin la vie à la mort, il ne savait pas trop à quoi s’attendre. Comme M. Castonguay était riche, il s’attendait à un endroit de la même facture. Et puis, il y avait la question du cadavre lui-même. En effet, la raison pour laquelle Trask se rendait dans cette direction était parce qu’il voulait ausculter avec son esprit toute trace mémorielle du corps de la victime. Pour y arriver, il devait toucher la victime. Il pensa que le bras serait le plus simple et le plus respectueux. Le respect était très important pour Trask. Il se disait que M. Castonguay n’aurait pas été très à l’aise qu’un inconnu le voit en état de décomposition. Donc, Trask avait eu l’intention de faire une espèce d’hommage avant de procéder à l’opération.

Trask n’était pas particulièrement croyant. En fait, il n’avait aucune idée si un Dieu pouvait exister ou non. Malgré le fait qu’il avait des pouvoirs, il n’avait jamais perçu d’entité suprême. Peut-être était-ce dû au fait que ses pouvoirs n’étaient pas assez puissants. Il n’en savait rien. Une chose était sûre, les sœurs qui l’avaient élevées dans la religion catholique auraient surement été déçues qu’il ait perdu la foi. Mais même chez elles, il lui arrivait de percevoir qu’elles doutaient de ce qu’elles croyaient. « Si ceux qui professent ont des doutes, pourquoi devrais-je y croire? », pensa Trask. Il ignorait aussi si la vie existait après la mort. Il n’avait jamais reçu de visite impromptue la nuit de la part d’un décédé. Quoique… Le rêve qu'il avait fait de M. Castonguay était-il un message d’outre-tombe? « Spéculation » se dit-il.

Crissement des pneus… Trask perdu dans ses réflexions avait brulé un stop. Heureusement pour lui, aucun flic ne l’aperçut. Il s’était dit ensuite : « Ce n’est pas le moment d’être distrait. » De toute façon, il était maintenant près du lieu. Arrivé à destination, il fût surpris de voir que non seulement le cimetière se trouvait dans un quartier pauvre, mais celui-ci était plutôt modeste. Il était petit et les pierres étaient manifestement bas de gamme. Au beau milieu de tout cela contrastait un mausolée, dont les gravures nous laissaient deviner que le bâtiment abritait un propriétaire beaucoup mieux nanti que ses voisins. Si c’était bien là que se trouvait M. Castonguay, Trask se demandait pourquoi il a voulu se reposer dans un endroit où il ferait tant ombrage. Était-ce une façon de démontrer qu’il avait de l’argent même après la mort? Cela aurait beaucoup déçu Trask. En s’approchant, il vit que c’était bel et bien là. Il lut la pancarte : « Famille Castonguay, ci-git Alfonse Castonguay 1945-2012. Fondateur de la compagnie Cast. Eugenics et bienfaiteur de la ville de Sainte-Thérèse, lieu de sa naissance. » Trask comprenait maintenant. Il n’attendit pas plus longtemps. Il inséra la clé dans la serrure et entra.

À l’intérieur, on pouvait ressentir une ambiance certes solennelle, mais aussi très lourde. D’abord, il n’y avait qu’un cercueil dans tout le mausolée, rendant ce dernier pratiquement vide. Par le manque d’ouvertures, il y faisait aussi très sombre malgré l’heure du midi. Seulement des fleurs, qui étaient près du lit mortuaire, pouvaient donner un certain réconfort. Pour avoir de la luminosité, Trask aurait pu laisser la porte ouverte. Mais avec ce qu’il s’apprêtait à faire, il trouvait plus judicieux d’être à l’abri des regards. Il se rappelait donc qu’il avait une lampe de poche dans son auto. Il y courut, ne voulant pas laisser le mausolée ouvert sans surveillance trop longtemps, et revint du même pas de course. Il ferma la porte donc avec une certaine réticence, surtout avec l’effet macabre que donnait la torche dans un tel milieu. En regardant de plus près, il vit qu’effectivement le directeur funéraire avait descellé le cercueil. Il ignorait quel montant sa cliente lui avait offert, mais il s’imaginait que cela devait être substantiel. Mais cela n’avait plus d’importance désormais.

Il s’était dit que c’était le moment de rendre hommage et de « s’expliquer » à Monsieur Castonguay sur l’action qu’il devait accomplir. Il ne savait pas vraiment par où commencer. Étant orphelin, il n’avait aucun parent, frères, sœurs, oncle, tantes. Étant solitaire, il n’avait jamais eu d’amis suffisamment proches pour soit les enterrer ou leur souhaiter ses sympathies. Il fallait dire qu’il était encore jeune. La grande partie de ses connaissances étaient comme lui, dans la vingtaine avancée. Bizarrement, les gens dans sa vie étaient soit de passage ou de fonction seulement. Il n’était jamais tombé amoureux, ou à sa connaissance, eut quelqu’un d’amoureux de lui. Il s’était toujours dit : « Si c’était arrivé, je m’en serais rendu compte avec mes pouvoirs, surtout des sentiments aussi forts. » Il n’était pas sûr pourquoi les gens n’avaient jamais été plus intimes avec lui. Était-ce son physique ingrat? Ou était-ce lui-même qui se tenait à l’écart des gens inconsciemment? Il l'ignorait. Il n’avait jamais vraiment approfondi la question. La solitude ne l’avait jamais rendu malheureux. « En fait, » se disait-il « Je crois que je n’en suis pas malheureux pour la simple raison que je me sens déjà connecté aux autres. Allez plus loin est probablement superflu à ce stade. » Ensuite, il pensa à Mme Castonguay et à l’émotion commune qu’il ressentit avec elle à la cabane. Il se rendit compte qu’il avait eu une intimité que peu de gens auraient eue sans les pouvoirs qu’ils possédaient. « Je n’ai peut-être pas d’intimité commune à la plupart des êtres humains. La mienne est différente, qui me ressemble à moi. »À partir de cette réflexion, il comprit qu’il ne devait pas tenter de faire dans l’hommage conforme. Il devait plutôt faire un discours qui viendrait de lui véritablement. Il alla donc avec son cœur :

— Monsieur Castonguay, c’est avec grand honneur que je fais face à votre tombe aujourd’hui. Vous et moi avons vécu quelque chose en commun. Votre mort horrible qui mérite d’être punie. Malgré les difficultés, je vous promets de tout faire en mon pouvoir pour vous rendre justice. Mais aussi rétablir la vérité et votre dignité en démontrant que vous vous n’êtes pas suicidé. C’est d’ailleurs dans cet esprit que je vais toucher votre cadavre. Soyez assuré que je le ferai dans le plus grand respect. Vous pourrez ensuite continuer le repos éternel que vous venez d’entamer.

Trask se tut un instant, comme s’il entendait une réponse, et se dit à lui-même : « Très bien ». Peut-être pour s’encourager avant le grand moment, il s’était dit que ce n'était pas mal pour une première fois. Il n’allait pas faire ce métier pour autant. Après un certain moment d’hésitation, Trask se décida à ouvrir doucement la porte du cercueil, là où devait se trouver la partie supérieure du corps. L’odeur était assurément dure à supporter. On aurait dit un mélange de pieds odorants et de viande avariée. Même après un mois, et malgré l’étanchéité du cercueil et de son sceau, les bactéries du corps de M. Castonguay avaient commencé leurs sinistres travaux. Le visage avait le teint verdâtre du pain moisi. Il avait aussi gonflé par certains endroits, lui donnant un air d’accidenté. Trask qui ne jubilait décidément pas de l’expérience décida de se dépêcher en prenant une partie du bras du cadavre, après avoir mis ses gants en latex qu’il avait dans la poche. La texture était très désagréable. Il avait l’impression de toucher un tentacule d’une pieuvre géante. Du liquide verdâtre sortait du corps et mouillait le vêtement que l’on avait mis au corps. Il dut faire un certain effort pour oublier le dédain qu’il ressentait ainsi que de commencer à se concentrer sur la connexion.

…
Trask n’était plus dans le mausolée. Il était maintenant de retour dans cette pièce. La pièce où tout avait commencé. Mais cette fois, les choses étaient différentes. Monsieur Castonguay était vivant et seul. Il était concentré sur la lecture d’une lettre. Trask était là à côté de lui. Le vieil homme ne le voyait pas. C’était Trask, le fantôme cette fois. Trask prit alors l’opportunité de lire ce que Castonguay lisait :

« Conférence de presse. Le projet Verseau.
Bonjour amis journalistes, amis scientifiques. Aujourd’hui est un grand jour pour l’humanité, j’avancerai même le plus grand jour qu’elle est connue… »

Tout à coup, une porte se referma. Castonguay se précipita pour ouvrir son tiroir et y mettre la lettre qu’il lisait. Trask vit que le vieil homme prit un fusil et le cacha sous le bureau dans sa main droite. En face de lui, il y avait un homme que Trask avait déjà vu. Un blond, mince et petit, habillé tout de noir, avec ses lunettes fumées. Il arborait un sourire suffisant. Castonguay lui dit d’un ton autoritaire :

— Qui êtes-vous et que faites-vous ici?
— Je suis le gardien du silence. Il semble que vous vouliez la laisser s’échapper. Je suis venu régler cette situation.
— Sortez d’ici ou je tire.

Castonguay sortit le fusil de sa cachette et le pointa vers l’inconnu. Ce dernier partit à rire :

— Monsieur Castonguay, comme c’est gentil! Vous me facilitez la tâche!

L’homme blond sortit quelque chose de sa chemise. Trask vit que c’était un pendentif. En regardant de plus près, il put en voir les détails. Il s’agissait d’un hibou qui avait un joyau vert dans ses serres. L’homme ferma les yeux et sembla se concentrer. Le moment que Trask connaissait très bien maintenant arriva. Castonguay commença à pointer le fusil sur sa tempe tout en luttant de toutes ses forces pour s’empêcher de le faire. Ce fut ensuite l’instant fatidique. La détente partit et on pouvait voir la cervelle et le sang asperger les murs et le plancher. Trask reporta son attention sur le meurtrier. Celui-ci prit cette fois sa babiole à deux mains et dit à voix basse : « Pour vous, Hermès. » Et embrassa le hibou argenté. Il cacha celui-ci dans sa chemise noire à nouveau et quitta la pièce l’air satisfait.
…

Trask revint à lui. Quand il fut suffisamment éveillé, il referma le couvercle, ne voulant plus voir le cadavre un instant de plus. Il ouvrit la porte du mausolée pour le faire aérer. Il s’assit un instant par terre pour reprendre ses forces et réfléchir du même coup. Cette lettre… Malheureusement, le meurtrier avait interrompu sa lecture. Il ne pouvait malheureusement plus revenir dans cette vision. La trace mémorielle disparaissait de l’objet dès que Trask l’avait vue. Il expliquait ce phénomène comme de l’énergie résiduelle. Une fois consumée, elle quitte l’endroit où elle se trouve pour se loger permanemment dans son esprit, figée telle qu'elle l'était. Est-ce que la lettre était encore dans le tiroir? Trask avait des doutes, mais il se disait qu’il faudrait tout de même vérifier. M. Castonguay s’apprêtait à faire une conférence de presse pour révéler au grand public les résultats du « Projet verseau ». Il se rappelait les paroles d’un homme à M. Castonguay dans une réunion lors d’une de ses visions. Les deux hommes parlaient précisément de ce projet. Lorsque M. Castonguay mentionna qu'il voulait révéler au public les résultats de ce projet, l’homme s’était exclamé : « Pas avant que l’on en ait décidé. » Il sembla à Trask que M. Castonguay en a eu assez d’attendre et que ça lui a couté la vie.

Puis il pensa au meurtrier. Il en vint en une conclusion catégorique. La façon d’agir de l’homme blond ressemblait beaucoup à celles des nonnes de son orphelinat. « Une secte… » s’était-il dit. « Une secte qui vénère Hermès, un dieu grec? Mais le culte des dieux grecs est mort depuis longtemps, il me semble? » Trask n’était pas expert en religion. Il connaissait bien quelques religions bizarres, surtout soucoupistes, tels les raëliens ou les scientologues. Il s’était dit qu’après celles-ci, il ne serait pas impossible que des hurluberlus se remettent à croire à de vieux mythes. Et puis, il y avait l’énigme des pouvoirs du meurtrier. Étant lui-même pourvu de ce genre de pouvoir, il n’arrivait pas à s’expliquer pourquoi quelqu’un de son espèce choisirait de prendre une telle croyance, lui qui avait abandonné celle de son enfance. Des recherches sur internet s’imposaient.

Il était temps de partir. Trask se leva donc, et quitta le mausolée. Il jeta ses gants dans le panier à ordure le plus proche et il s’assura de bien refermer la porte. Il appela ensuite Mme Castonguay :

— Bonjour Madame. C’est Trask

La vieille femme, excitée, lui demanda, sans faire les politesses d’usage :

— Et puis? Des résultats?
— Oh oui! Mais je dois faire plus de recherches avant de vous en parler plus longuement. Certains détails se doivent d’être approfondis.
— D’accord, je comprends, dit Mme Castonguay décue.
— Je vous rappelle. Je vous promets que dès la fin de ces recherches, je vous donne tous les détails. Vous pouvez appeler le directeur pour qu’il scelle de nouveau le cercueil.

Trask raccrocha. Il se dirigea vers la voiture et entra dans celle-ci en remettant sa lampe de poche dans le coffre à gant. Il démarra son Audi de l’année et se dirigea tout de suite en direction de son bureau. Il devait savoir qui était cette religion qui vénérait Hermès.



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