Léo "Melle Rosarie..."

Date 12-04-2015 21:10:57 | Catégorie : Nouvelles confirmées


"De retour en France, le mois de mai est arrivé.
Avec mes amis, nous collectionnions les petites fiches qui résumaient nos cours. L’examen approchait à grands pas. Nous nous mettions la pression et consacrions nos temps libres à nos révisions, mais aussi de temps en temps aux bêtises de notre âge.
Aussi, j’étais amoureux et nous avions dix-sept ans.
Nathalie était une très jolie jeune fille, douce et rousse. Notre idylle n’a pourtant duré que quelques semaines.
Mon insécurité intérieure était tellement présente que je doutais fortement de moi et de mes propres valeurs. J’étais bien incapable de me laisser aimer. J’oscillai redoutablement entre une formidable envie de vivre et une envie de tout détruire.
Je savais parfaitement ce que signifierait pour moi la fin du mois de juin.
J’allais perdre tout ce que j’aimais et qui me soutenait.
Je crois que j’étais dévasté.
L’idée de rater mon examen m’effleurait même quelques fois. Il m’était encore possible de tout mettre en échec pour espérer ne plus grandir et ainsi, ne pas avoir à me jeter dans l’inconnu. J’étais un adolescent en crise, animé par un sentiment de vide. Souvent, l’idée du suicide me hantait.
Lorsque mon dernier jour à Cerisy-belle-étoile est advenu, je pensais que je n’allais pas y survivre. J’étais en larmes, le cœur fendu.
Je quittais ces moniteurs que j’avais tant aimé détester, et qui s’étaient battus pour moi, comme peut-être auparavant, personne n’avait voulu le faire.
Je regrettais de n’être qu’un adolescent sans épiderme, aux sentiments exacerbés, bien incapable de les remercier, écorché vif.
Aussi, bien malgré moi j’abandonnais mes camarades, devenus mes seuls véritables liens.
En une seule et détestable journée, je perdis ma maison et tous les membres de ma famille.

Lorsque les vacances sont arrivées, je suis retourné chez mes parents et je crois qu’à partir de ce jour, je n’ai plus jamais eu pour eux le moindre sentiment d’affection.
Au fond, injustement sans doute, tout était de leur faute.
Malgré les beaux jours, je suis resté des jours durant enfermé dans ma chambre.
Une chanson de Laurent Voulzy passait en boucle sur mon radiocassette.
Les paroles me bouleversaient au plus profond de moi-même.
« Plus je m’éloigne et plus je t’aime, c’est le paradoxale système… car tous les départs resserrent les cœurs qui se séparent… »
Personne ne perçut mon état profond de mélancolie, ma dépression.
Auprès de mon chat, je ne me nourrissais plus que de mes poésies et de cette envie d’écrire.
Un matin le téléphone sonna.
C’était monsieur Delouche, mon moniteur d’horticulture. Il venait m’annoncer que j’avais obtenu mon brevet professionnel. Je n’y croyais pas et je n’arrivais même plus à parler. Je me souviens encore de ses paroles.
— Ne me dis pas Léo que tu es surpris ! Ici, nous savions tous que tu obtiendrais ton examen aisément et jamais, nous n’en avons douté !
J’ai très vite téléphoné à Christelle, puis à Archange. Nous étions émus, car tous les trois, nous avions obtenus notre diplôme.

La semaine suivante, mes parents recevaient un courrier leur annonçant que j’étais accepté dés la rentrée prochaine à la Maison Familiale de Verneil-le-Chétif, dans la Sarthe, afin de préparer un bac professionnel horticole.
Quelques jours plus tard, je partais de nouveau en Corse, en colonie de vacances, avec ma sœur Flora.
•••



Je ne me souviens plus précisément de mon premier jour à la Maison Familiale de Verneil-le-Chétif. Je me rappelle en revanche d’un grand et superbe château perdu dans la campagne Sarthoise, mais aussi d’un bâtiment presque neuf, dérobé, à l’orée d’un bois. C’était l’internat des garçons.
Pour le reste de l’architecture des lieux, ma mémoire semble avoir déjà tout emporté. Je me remémore tout juste une salle de cours et à peine la salle de réfectoire.

Le lundi matin, lorsque je devais me rendre à Verneil, je me réveillais très tôt, aux alentours de quatre heures et demie. Yves me conduisait ensuite à la gare de Caen et après, je prenais le train direction Le Mans. A mon arrivée, une camarade de classe que je connaissais depuis Cerisy-belle-Etoile et qui avait déjà son permis de conduire venait aimablement me chercher. Nous faisions le reste de la route ensemble.
Une fois de plus, j’étais le plus jeune de ma promotion. En cette rentrée de septembre 1992, nous étions une vingtaine.
Beaucoup abandonnèrent en cours de route, si bien qu’au terme des deux années de formation, nous finîmes à seulement neuf élèves. Je ne me suis pas tout de suite senti à l’aise avec mes autres condisciples. Je ne partageais pas leurs idéaux. Les garçons étaient profondément ruraux, et plutôt rustres. Ils disposaient d’une sérieuse appétence pour les matières techniques ayant trait à l’horticulture alors que moi, je me sentais dans une voie sans issue. A présent, je n’aimais plus que les matières générales et fuyais tout ce qui pouvait évoquer la technique ou plus encore, la mécanique. Pourtant, tout conspirait à espérer faire de moi un valeureux technicien agricole. Désespérément, je me sentais différent des autres, à part. Aussi, je crois que pendant deux ans, je n’ai cessé de ressentir continuellement ce qui pouvait me séparer de mes congénères. J’en souffrais.
Les autres élèves voulaient obtenir leur diplôme pour au plus vite entrer sur le marché du travail. Moi, je n’attendais rien. J’étais là par hasard, mais surtout par erreur.
Je crois qu’assez rapidement, mes quatre nouveaux formateurs s’aperçurent que je n’étais pas tout à fait comme les autres. Je m’étais présenté à un mauvais casting et le rôle que l’on m’avait attribué était impertinent, et le costume, bien sûr, grotesque.
La vie avait fait de moi un hypersensible, balloté, dans un monde endurci.

Melle Rosarie était une jeune formatrice. Peut-être avait-elle à peine une dizaine d’années de plus que moi ? Elle nous enseignait le français, la philosophie, l’histoire, mais aussi la géographie et l’anglais. Elle était la responsable de notre formation. J’admirais son énergie, sa distance, et à la fois sa sensibilité que j’avais cru percevoir, grossièrement camouflée sous une carapace indispensable, qui semblait lui permettre de faire face adroitement à un groupe d’adolescents parfois, compliqués et rebelles. J’admirais secrètement son intelligence et sa culture.
Très vite j’eus le sentiment profond que quelque chose en moi l’avait saisie. L’avais-je imaginé ? Je ne le sus jamais vraiment. Pourtant, durant deux années, je me suis persuadé que Melle Rosarie avait le pouvoir de lire en moi, comme dans un livre ouvert, mais surtout, qu’elle m’offrait prudemment et sobrement, une bienveillance distinctive, ou peut-être, un lien fort et muet, qui sûrement, me redonnait l’envie d’apprendre encore, mais aussi de vivre.
Je m’étais persuadé qu’enfin, quelqu’un me voyait vraiment.

Melle Prunelle quant à elle, enseignait les sciences et les mathématiques. Elle aussi était toute jeune, mais combien différente de Melle Rosarie. C’était une assez grande femme, frêle. Tout en elle exsudait la fragilité et la sensibilité. Souvent en marchant, elle croisait ses bras qu’elle ramenait délicatement au-dessous de sa poitrine, comme si elle se protégeait, repliée sur elle-même, d’un monde extérieur, trop brutal.
Sa vulnérabilité que je percevais aussi dans sa voix, faisait que je la trouvais émouvante. A sa manière, en douceur, elle su me raccrocher aux mathématiques que je haïssais depuis toujours.
Certains soirs, parfois même après vingt et une heure, elle restait dans la salle de classe pour nous réexpliquer les leçons ou les exercices incompris.

Aussi, je trouvais que Monsieur Pompon, qui enseignait l’agronomie et le sport était assommant. Quant au dernier formateur dont les cours évoquaient les techniques horticoles et la production végétale, je le trouvais narcissique, tellement cassant et sûr de lui, que je distinguais finalement son manque certain de confiance en lui, exacerbait, face aux adolescents que nous étions.

Sur mon bulletin de notes du premier trimestre, Melle Rosarie déposa ce commentaire dans la case « Français » :
« Beaucoup de sensibilité et d’originalité dans la manière d’écrire de Léo ».
Ce fut pour moi un incroyable compliment dont je me sentis obligé de me saisir.
Je reprenais alors confiance en moi, au point qu’un jour je me décide à confier mon recueil de poésies à Melle Rosarie. Séduite ou peut-être troublée par la douleur qui endiguait mes mots, elle me demanda par la suite la permission de le présenter au directeur de la Maison Familiale, M. Léon.
Alors que j’avais accepté, fier, il me convia dans son bureau et me félicita pour mon petit ouvrage. Bien sûr, ma poésie n’avait pas la prétention d’un prix littéraire, mais sans doute M. Léon fut-il touché par l’intensité de mes émotions et la profondeur de mes sentiments, peut-être même, par ma détresse.
Ce jour-là, je crois qu’il se prit d’amitié pour moi.
Peu à peu, je perdais mes raisons d’être révolté contre les adultes.

Quelques semaines plus tard, Melle Rosarie, organisa au sein de la Maison Familiale, l’opération « Un poème pour chacun ».
Au plus grand désarroi de la plupart des élèves, chacun, dans le cadre d’un exercice de français fût contraint d’écrire un poème.
Jamais Melle Rosarie ne trahit mon secret.
Je dus faire semblant auprès de mes camarades d’exécrer cet exercice.
Sans que jamais je ne puisse lui en confier le moindre mot, je m’étais persuadé que Melle Rosarie avait mis en place ce projet spécifiquement pour moi.
De cette opération naquit un recueil composé d’une vingtaine de poèmes sélectionnés par l’équipe enseignante. Officiellement, trois de mes textes parurent. Mais en réalité, dans l’ombre, j’avais prêté ma plume à de nombreux autres camarades.
C’est ainsi que ces derniers commencèrent à me reconnaître et à me solliciter le plus souvent lors des rédactions et des résumés de livres que nous devions réaliser. J’étais fier de moi. Je commençais à aimer écrire et surtout à me réconcilier avec les mots.
Grâce à cette expérience, Melle Rosarie avait réussi à me faire assumer mon excédent de sensibilité en m’encourageant dans une occupation qui mettait en valeur, ce qui jusque là était pour moi, une source de problèmes.
Je comprenais subtilement qu’il devait exister plusieurs procédés pour devenir un homme. En m’apprenant à être fier de ma sensibilité, je crois que Melle Rosarie, me faisait découvrir plus largement, mon humanité.
Je délaissais peu à peu ses conséquences ravageuses.




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