Anesthésie à l'acide formique

Date 05-06-2012 19:30:00 | Catégorie : Nouvelles confirmées


Anesthésie à l'acide formique

Edith, était partie comme à son habitude de bon matin, elle avait quitté son petit appartement après ses ablutions matinales et après s'être "écologiquement" restaurée, c'est à dire après un petit déjeuner sans gluten, sans lait de vache, avec des produits sains, des plantes et des graines saines dont elle avait le secret.
Secret dont elle n'était pas avare et qu'elle partageait volontiers avec tous.
Rester à la maison pour "faire le ménage", elle ne savait pas faire. C'était là son fardeau pour la vie, être une bonne maîtresse de maison ne lui avait pas été donné et elle en concevait des complexes bien inutiles. Sa vie c'était dehors parmi les autres, à regarder, découvrir et fureter avec son air malicieux de gamine farceuse, toujours prête pour une rencontre.
Elle abordait ses 73 ans avec une jeunesse étonnante, avec son âme d'ancienne hyppie, vêtue si possible d'Orange comme son Dieu, le Dalaï lama, homme de sagesse et de paix admirable.
Pour Didith la vie depuis toujours c'est sortir, faire des projets si possible en communauté, qu'importe qu'ils se réalisent ou non, elle portait partout ses rêves, s'habillait de couleurs brillantes et gaies et son mot, sa devise était "solidarité".
Elle n'avait rien renié de sa philosophie des années soixante et de ses idéaux, ses actes restaient les mêmes. Inutile d'attendre qu'elle époussette, qu'elle range, lave ou s'occupe à ces choses sans aucune valeur, faire le strict nécessaire, l'incontournable lui pesait déjà bien assez.
Dés le matin, par tous les temps, on pouvait la voir ses cheveux oranges mi longs au vent autour de son petit visage, trottiner comme une petite souris, encore vive et déjà légèrement courbée, courbée comme si sa tête et son esprit de curieuse voulait prendre de l'avance sur son corps mince.
Elle allait avec appétit vers la vie, les autres, ces réunions et les danses traditionnelles qui étaient sa passion, Attention ! des danses traditionnelles, pas folkloriques, ce mot qui l'irritait, pourrait bien la fâcher. Elle avait beaucoup à faire à visiter les amies, les coktails et honorer de sa présence les inaugurations diverses offertes par la ville de Montpellier, curieuse, un peu profiteuse, la fûtée était de toutes les réunions municipales, elle était partout et faisait des tas de rencontres, et liait des connaissances imprévues.Tout en picorant les toasts du maire ou du conseil général, elle enrichissait son univers humain. Didith était une militante, une militante de la vie.
Ce jour là, Edith en descendant du tram, suivit le nez en l'air l'immense parc du CHU.
En cette fin d'après-midi elle rendait visite à Paule, une de ses nombreuses amies. L'opération que Paule avait subit le matin très tôt était importante et lourde : elle avait le coeur malade et elle avait donc subit une anesthésie totale.
Selon les services hospitaliers, elle avait été ramenée de la salle de réveil et allait bien.
Paule était l'ainée d'Edith de quelques années et il était évident qu'une telle intervention à son âge était toujours un risque.
Le couloir de l’hôpital venait d'être repeint de frais, ce qui paru une bonne augure à Didith qui malgré sa nature résolument positive, ressentait une certaine inquiétude, et s'interrogeait sur l'état de son amie, aussi la fraîcheur de ce lieu clair et presque joyeux la rassurait et elle se dit que les ondes alentour n'étaient pas trop mauvaises.
Elle avait laissé son fidèle pendule à la maison et se fiait à ses impressions.
Pourtant dés son arrivée dans la chambre, dés qu'elle eut poussé la porte, Edith trouva le spectacle très inquiétant.
Paule était seule dans la chambre couchée mais surtout, ce qui n'est pas habituel, elle était sanglée, attachée, saucissonnée comme une personne en grande difficulté.
C'était tout à fait inattendu.
Paule était une femme superbe, une chevelure blanche faisait à ses traits réguliers une auréole, de princesse. Elle avait gardé l'élégance de ses traits fins et réguliers et si les rides étaient venues elles n'avaient pas pu détruire l'harmonie et l’intelligence de ce visage.
C'était une femme grande et svelte qui gardait une classe qui faisait son attrait. Sa stature, son allure en faisait une personne tout à fait distinguée, et Didith l'avait surnommée la "marquise"
Edith et toutes ses copines, vieillissaient en se regardant, la jalousie les avait quittées depuis bien longtemps, et même pour certaines ne les avait jamais taraudées, la rivalité n'avait pas cours entre elles, une copine qui vieillit sans perdre ses attraits est un encouragement si rassurant, un antidote contre la peur de cette dégradation du corps qui est le deal de la vie le plus lourd à relever. Car vieillir disent-elles est un art.
Défi bien relevé par le groupe de copines, chacune avec un style personnel.
Depuis la porte Edith regardait en marquant un arrêt le spectacle de Paule entravée dans son lit.
"Ah ! enfin ! heureusement que tu arrives, détache-moi, vite "
L'apostrophe venue du fond du lit, était forte et sans réplique.
Paule tirait avec rage sur ses attaches et tentait de relever la tête le plus haut possible.
"Ben, je ne peux pas, et puis comment tu veux que je fasse "
"T'as pas des ciseaux ou ton petit couteau ? tu as toujours un canif dans ton sac, allez mais dépêche-toi, enlève-moi ça, vite...
"Ben, peut-être qu'il faut pas, tu veux que je me renseigne ... je vais deman ..."
" Non ! dépêche toi, coupe moi ça, détache-moi tout de suite..."
La voix de Paule était forte et décidée, l'anesthésie était bien finie, elle était on ne peut plus réveillée, et comme à son habitude, elle était autoritaire et entendait bien être obéie.
Mais comme, à son habitude aussi, Edith habile et futée, contournait la rage de son amie sans opposition excessive.
En petite souris tranquille, atteinte de surdité sélective, elle trottina jusqu'au siège de visiteur et s'assit face à Paule qui tirait plus que jamais sur ses liens en menaçant la terre entière de ses foudres.
"enlève-moi ça, allez dépêche-toi, prends ton couteau et coupe ses saletés..."
"Comment tu te sens"
Edith, la sourde, la regardait gentillement souriante et cool, comme toujours.
"je ne sais pas, ils m'ont attachée, et tu sais pas ce qui m'est arrivé en plus ? tu sais pas ... ?
Bon on parle d'autre chose, tout va bien.
"Non, quoi qu'est-ce qui s'est passé ?
" Je ne sais plus quel jour, ma pauvre, il y a quatre fourmis qui sont venues chez moi, tu te rends compte quatre fourmis ?! elles m'ont foutue sur une planche et elle m'ont amenée ici !! Non tu te rends compte, saloperies de fourmis !!"
"Euh, oui, je vois, et c'est elles qui t'ont amenée ici ?
"Tu te fous de moi ? je te dis que oui, ce sont ces quatre fourmis qui m'ont mise sur une planche, tu m'écoutes oui ?!
"Oui, oui, je t'écoute..."
"Non mais tu te rends bien compte ??"
Là, Edith commençait effectivement à se rendre compte et pour confirmer le problème, elle entendit la voix de Paule hurler :
" Mais fais gaffe, vite ..Attention ...
"Vite vite, lève tes jambes, lève tes jambes vite, dépêche toi, tu vas te faire mordre par tous les rats qui passent sous ta chaise, mais FAIS ATTENTION ..."
Edith toujours compréhensive et peu encline à provoquer un choc à son amie, leva aussitôt vite les jambes pour laisser passer les rats, heureusement car immédiatement la voix de Paule résonna plus forte et affolée encore :
" Mais reste pas là, c'est dangereux, attention à la chauve souris, pousse toi, mais tu ne vois pas, tu vois RIEN ! POUSSE TOI, elle va te tomber sur la tête, POUSSE TOI, VITE ..."
En panique Paule criait.
Il y avait bien des dangers dans cette chambre d’hôpital, bien claire et plutôt jolie par ailleurs avec sa grande baie vitrée qui donnait sur le parc.
Edith déplaça donc calmement, son fauteuil pour éviter la chauve souris qui la provoquait et se mit à quelques dizaines de centimètres, dans un endroit plus sûr.
"Tu n'as pas top mal ?"
Pas de réponse, silence ! derrière les yeux inquiets de Paule on voyait la surveillance minutieuse et angoissée qu'elle exerçait pour protéger son amie de toutes ses sales bêtes qui n'auraient jamais du être admises dans une chambre d’hôpital.
Ses yeux bleus superbes scrutaient la pièce en balayant chaque recoin avec minutie
Edith regardait Paule avec son petit air tranquille de petite fille sage que rien ne peut surprendre.
Elle était calme et attentive aux mises en garde de son amie.
Paule avait oublié quelques instants de tirer sur les attaches, et s'était redressée sur ses oreillers avec une forte inattendue.
"Tiens, regarde, regarde mon fils est venu, me voir, regarde il est dans la cabine de la grue, il nous a fait un signe, il est gentil , hein ?"
Paule tournait la tête vers la fenêtre et fixait en souriant la grande grue sur le chantier qui oeuvait depuis des semaines face à l’hôpital.
Depuis combien de temps ce fils qui travaillait depuis toujours dans une administration à l'autre bout de la France n'était-il pas venu voir sa mère ?
"Oui, oui, c'est très gentil, il était pas obligé de se mettre là-haut ..;"
Edith s'arrêta, se mordit les lèvres, avant de faire remarquer que l'idée n’était pas géniale, que balourd comme il était ça pouvait être très dangereux de monter pour la première fois dans une cabine de grue.
" Dis Paule, c'était quoi ce livre super que tu as lu avant l'opération ?"
"Euh ... ah oui ! les fourmis de Weber, c'est très bien, tu devrais le lire, je l'ai fini hier soir, je te le prêterai ! "
"Oui, ça doit être bien, mais tu dois être fatiguée ! ton anesthésie est très récente, je vais te laisser te reposer, il faut être raisonnable le premier jour."
Didith pensait maintenant dans son quant-à-soi, que la chambre était bien encombrée avec tous ses animaux qui grouillaient partout, et qu'il était préférable de ne pas s'attarder, car l'anesthésie avait du beaucoup fatiguer Paule, et que même on pouvait dire sans trop se tromper que malgré les apparences cette anesthésie n'était pas vraiment terminée.
Edith se disait qu' une anesthésie est certes toujours un moment difficile, mais que celle-ci plus spécialement avait dû être faite avec un produit improbable, peut-être un produit nouveau, expérimental un produit probablement inconnu.
Après les recommandations habituelles envers les malades, après les bisous elle repartie avec ses questionnements et une furieuse envie de rire qu'elle vint vite partager avec les copines.
Rapidement sortie, quelques semaines plus tard, Paule en pleine forme, pétant le feu, l'esprit clair mais rageur, est allée voir le chirurgien, très très pétard, très colère, en le menaçant de porter plainte pour l'avoir anesthésiée avec une saleté de produit frelaté.
Si vous voyez, un jour quatre fourmis qui emmènent quelqu'un sur une planche, sachez que cela ne présente aucun danger, mais que vous êtes certainement tout près du CHU de Montpellier.
Ici ce sont des choses qui peuvent arriver, il faut juste le savoir, c'est tout.

Loriane Lydia Maleville




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