Léo "Verneil-le-Chétif"

Date 18-04-2015 12:06:25 | Catégorie : Nouvelles confirmées


"Ma dernière année à la Maison Familiale de Verneil-le-Chétif ne fut que solitude, ou presque.
Heureusement, Melle Rosarie était là. Je ne vivais plus que pour ses cours.
Un jour elle entreprit de nous mettre un livre de Shakespeare entre les mains. Othello.
D’abord, nous avions cru à une mauvaise blague de sa part.
Ne savait-elle pas que nous n’étions que de jeunes gens que l’école avait antérieurement broyés ?
N’entendait-elle pas que nous n’aspirions à rien d’autre, qu’à ce que nous ne connaissions déjà ?
Savait-elle que mes propres parents ne possédaient aucun livre ?
La seule énonciation du nom de l’auteur nous donnait le vertige.
Je crois que Melle Rosarie s’était vraisemblablement posé ces questions. Mais voilà, malgré nos réticences, elle continuait d’espérer pour nous le meilleur, mais aussi, nous l’offrait.
A contrecœur, je me suis plongé dans son bouquin et étrangement, je l’ai dévoré, puis apprécié. C’était pour moi à peine probable, j’étais à présent capable de lire un tel livre, de le comprendre et surtout, de l’encenser.
J’étais si fier de moi. Ce n’était pas habituel.
Quelques semaines plus tard, Melle Rosarie réitéra sa prouesse avec un autre livre. « La guerre de Troie n’aura pas lieu » de Giraudoux. L’effet fut le même et je compris cette année-là que j’aimais lire.
Je ne sais plus vraiment comment « Les rêveries du promeneur solitaire » (Rousseau) sont arrivées entre mes mains, mais je me remémore très bien ces longs moments que j’ai passés dans le parc du château, à l’abri des regards, à lire presque honteusement, mais inlassablement, ce livre qui me bouleversa tant.
Si j’ai avoué préalablement ne plus me souvenir de mon premier jour dans cette Maison Familiale, je me rappelle précisément du dernier.
Il était presque l’heure de partir, définitivement. Je voulais aller voir une dernière fois Melle Rosarie, pour la remercier pour tout ce qu’elle avait fait pour moi.
J’avais déjà formulé dans ma tête tout un discours.
En chemin, submergé par mes émotions, j’ai du faire un détour par les toilettes. Je me suis enfermé, puis j’ai vomi.
Après, je me suis laissé glisser le long de la porte. Je me suis assis au sol et ma tête plaquée entre mes mains s’est abattue sur mes genoux. Je me suis effondré de chagrin.
J’ai éclaté en sanglots pendant de longues minutes, inconsolable. Ces pleurs n’étaient pas habituels, je les sentais plus graves et profonds. Je compris que je n’étais plus un enfant. Pour la première fois, je pleurai comme un homme. La douleur n’était pas exactement la même.
Je me suis longuement essuyé le visage et j’ai tranquillisé ma respiration. J’ai ensuite trouvé la force pour me rendre à la porte du bureau. J’ai frappé.
Melle Rosarie me proposa d’entrer. Je lui tendis la main et ne pus dire que deux malheureux mots.
— Au revoir.
Melle Rosarie ne fut pas très prolixe non plus. Tout juste vaguement, quelques mots polis d’encouragement, désemplis. Rien de plus.
Alors, j’ai refermé la porte. Je me suis imaginé qu’elle était émue, mais qu’elle avait choisi jusqu’au bout de garder la distance nécessaire qui faisait d’elle, avant tout, une professionnelle remarquable. Je finissais malgré tout de me convaincre que j’avais peut-être un peu compté pour elle. Avait-elle décidé de ne pas ajouter de l’émotion à mon désespoir ?
Je ne l’ai jamais vraiment su.
Peut-être était-elle déjà passée à autre chose ?
Peut-être avais-je tout inventé pour donner un sens à ces deux années qui venaient de s’écouler ?
Je me persuadais que certains attachements ne pouvaient exister que dans la mutité la plus absolue. Les sentiments amicaux pouvaient parfois se nourrir de silence ou de considérations respectueuses évidentes, mais feutrées.
Ils n’en étaient que plus beaux et plus forts.

Pour une dernière fois, j’ai pris le train à la gare du Mans, direction Caen. Cent fois j’avais vu en ces lieux des adieux éprouvants. Je détestais les gares. A chaque fois, je m’y sentais seul, séparé. Je trouvais qu’il y avait dans les trains quelque chose de douloureux ayant trait à la rupture. Ce jour-là j’ai regardé le paysage défiler, puis m’échapper. Les couleurs se sont confondues, puis ma vision s’est brouillée.
Je ressassai les mots que j’avais préparés pour Melle Rosarie.
« Je voulais vous remercier pour ce regard prometteur que vous avez posé sur moi durant ces deux années. J’ai souvent cru que vous me trouviez intéressant, important même. Ainsi, vous m’avez redonné l’envie fondamentale d’apprendre et plus encore, d’apprendre à exister. L’adolescence est un moment critique, si délicat parfois, mélancolique aussi… Je sais aujourd’hui précisément ce que je vous dois.
Je voulais aussi vous remercier pour tous vos mots à mon égard, ceux qui m’ont soutenus, alors que ma vie faisait en sorte de me décourager. J’ai appris grâce à vous que les mots ont le pouvoir de changer bien des destins. Je vous promets que je n’oublierai rien de vos conseils et surtout, je me souviendrais pour très longtemps à quel point une simple rencontre peut avoir le pouvoir de changer une existence.
Oui, mademoiselle Rosarie, grâce à vous, je sais combien une vie peut être importante pour une autre, sans pour autant que l’une, ne puisse un jour, le confier à l’autre. Je me promets aussi qu’un jour, en m’inspirant de vous, je redonnerai cet espoir, cette chance. Jamais je n’oublierai ce que disait le poète : Celui qui aime à apprendre est bien près du savoir, mais celui qui sait faire aimer apprendre, est un bienfaiteur ».
•••

« Salut Léo ! Encore bravo pour ton succès ! Tout cela est arrivé grâce à ton travail régulier et sérieux. Je te félicite et suis fier de toi… ».
Voilà quelques uns des mots que m’a adressés dans une lettre monsieur Léon, le directeur de la Maison Familiale de Verneil, lorsque j’ai obtenu, avec mention, mon Brevet de Technicien Agricole. Même mon propre père n’avait pas su m’accorder de mots si forts et attachants. J’étais touché, mais aussi je réalisais pleinement à quel point ces compliments me venaient d’une personne, que jamais, je ne reverrai.
Dans son courrier, monsieur Léon, m’adressait aussi une liste des différents lycées qui proposaient le Brevet de Technicien Supérieur (option floriculture).
Il y avait l’école d’horticulture de Langueux, dans les Côtes-d’Armor. Au stylo rouge, monsieur Léon avait annoté : « C’est une école sérieuse, très cotée. C’est un établissement privé ».
Il y avait aussi un Lycée à Angers dans le Maine-et-Loire. « Attention, c’est un gros lycée public, les jeunes sont des numéros… ». Je le reconnaissais bien là, si attentionné à mon égard.
A la suite, sur la liste, arrivait un autre lycée, à Luynes, prés de Tours, en Indre-et-Loire. « C’est un bon lycée public. C’est là où Pascal effectue sa deuxième année de B.T.S ». Pascal était son fils. Je l’avais rencontré chez M. Crusson. Parfois, nous étions en stage ensemble. Nous avions sympathisé.
Monsieur Léon ne connaissait pas les deux autres lycées qui figuraient sur sa liste. Le premier était à Coutances dans la Manche, et le second, à Saint-Germain-en-Laye, dans les Yvelines.
La lettre de monsieur Léon se terminait ainsi : « A toi de téléphoner pour demander un dossier d’inscription. Tu n’oublieras pas de joindre la copie de ton relevé de notes de ton examen. A bientôt de tes nouvelles… »
Je n’ai jamais redonné de nouvelles.
Je n’avais plus qu’à choisir la bonne école. Enfin j’atteignais mon objectif et je sortais des études professionnelles, qui malgré tout au fond de moi, me faisaient encore honte, pour enfin accéder aux études supérieures.
Pour le choix du lycée, j’avais carte blanche, l’important pour mes parents était que je fasse des études. Pour le reste, peu importaient l’endroit ou même la distance.
Tous les lycées acceptèrent ma candidature. Je choisis alors la Bretagne. Je rêvais des bords de mer. Saint Brieuc. Et puis, « l’école sérieuse, très cotée » me faisait rêver…

Entre temps, non sans mal, j’avais commencé la formation qui préparait au permis de conduire. Je venais d’échouer deux fois à l’examen du code de la route. J’ai bien cru ne jamais réussir à l’obtenir. L’épreuve me semblait insurmontable. Sur les diapositives, il m’était impossible de déjouer les pièges tendus. Aussi, là où il n’y en avait pas, je les inventais. Les photographies où les réponses me semblaient les plus évidentes étaient en réalité celles qui me posaient le plus de problèmes.
Cet examen me tétanisait. A l’époque, il fallait encore percer avec une sorte d’aiguille des petites cases de papier. A chaque fois, mes mains tremblantes par le stress de l’épreuve ne répondaient pas forcément aux choix que tentait d’imposer mon intellect. Beaucoup de mes gestes étaient aléatoires et mes réponses, trop souvent abandonnées au hasard.
Heureusement, un adage dit que le hasard fait parfois bien les choses. La troisième fois, j’ai obtenu, incrédule, mon examen du code de la route.
Mais me restait encore l’épreuve de la conduite… Plus aucunes des rues de la ville de Falaise (dans le Calvados), ne m’étaient inconnues.
La première fois que je l’ai passé, je n’avais rien fait de mal. Bon, je l’avoue, rien de bien non plus. Il est vrai que je n’avais pas osé doubler la balayeuse. Il y avait une ligne blanche. J’étais prudent. Peut-être l’inspecteur s’était-il impatienté ? Il est vrai qu’une vitesse de pointe de trente kilomètres par heure pouvait peut-être paraître quelque peu trop raisonnable ou même précautionneuse ? Ceci étant, la lente excursion nous avait laissé le temps d’admirer méticuleusement la vue qui donnait sur le superbe château « Guillaume le Conquérant ». L’inspecteur n’avait pas su se montrer sensible à cette approche touristique de la ville, paisible et indolente.
— Jeune homme, vous ne semblez pas sûr de vous. Ainsi, pour votre sécurité, et surtout celle des autres, je préfère ne pas vous remettre votre permis de conduire !
J’étais dévasté.
La seconde fois, a bien failli être la bonne.
Tout se passait merveilleuse bien. Ma concentration était extrême au point que des billes de sueur roulaient sur mon front. Je n’étais plus qu’à quelques minutes de la fin de l’épreuve. Le gros inspecteur sortit de son cartable la feuille magique qui me permettrait, probablement dès le lendemain, de conduire la petite AX blanche que j’avais réussi à m’acheter et qui dormait depuis quelques mois déjà, patiemment, dans le garage de mes parents.
Il était en train de la remplir. Je tentais de regarder ce qu’il écrivait. C’était bien mon prénom que je lisais. J’obtenais enfin mon permis de conduire. Il y avait bien longtemps qu’un aussi beau jour n’était survenu dans ma vie.
Voilà, je n’étais plus qu’à quelques kilomètres de l’auto-école, à quelques instants aussi d’un bonheur démesuré, que dans un rêve éveillé, je commençais à savourer. Il s’agissait du dernier rond-point.
Sans doute l’ai-je pris avec un sourire béat et un air ahuri. C’est alors que je ne sais par quelle étourderie, le pneu avant gauche de l’indocile auto vint à heurter violemment la bordure du rond-point.
L’inspecteur se mit à hurler et d’un geste brusque déchira en deux sa petite feuille. J’entendis au travers du crissement émit par le papier, le hurlement de douleur, imperceptible, de ma douce rêverie intérieure, subitement assassinée.
Enervé, il réduisit frénétiquement les deux fragments de mon bonheur en une abjecte boulette. A chaque grincement craché par le froissement des morceaux de papier, j’entendais en mon fort intérieur, mon euphorie, insidieusement se dissoudre.
Ma joie se délitait, j’étais anéanti..."




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