Conte défait

Date 10-05-2015 09:10:26 | Catégorie : Nouvelles


Matin engourdi et les yeux lourds des rêves oubliés. Le pas glissant sur le parquet. Cliquetis, soupirs, interrupteur, interruption. La lumière s’éveille dans la salle de bains au-dessus du grand miroir. J'ouvre le robinet, j'avance mes mains. L'eau coule, s'effrite au toucher. Je regarde mes doigts où s'enroule le filet de poudre translucide.

Une cascade d'eau réfléchissante trouble le reflet du miroir. Je ne me vois plus. Le visage disparu, les mains en suspens. Je sens des notes parfumées de savon et d'eau de toilette tapies alentour. De la cuisine se faufilent des odeurs de pain grillé, de café, de bonnes odeurs souriantes. Vite estompées dans la fragilité du matin.

Des airs de musique, des chapelets de notes élastiques, des sons de cloches s'installent, des campements musicaux de tribus ancestrales, flûtes, bambous, tambours, harpes. Et le vent, pressé, oppressant, sans pression. De loin, par bribes, le chant des cigales, la crécelle des grillons et le couinement âpre des mouettes. Une multitude de battements d'ailes secoue la brise.

Je m'approche de la fenêtre,à la croisée des regards sur le monde, où les histoires naissent. Il était une fois, et puis il était une fin.

Immobiles, sous tension, les arbres se dressent le plus haut possible sur la pointe de leurs racines. Des nuées vertes et ocres habitent le ciel, un envol de papillons comme un lâché de ballons multicolores. Les feuilles des arbres ne se ramassent plus à la pelle. Les branchages nus tendent leurs maigres bras pour les retenir, ultime signe de détresse, apaisée.

La vitre n'est plus, juste une poignée de sable scintillant. Rien ne me sépare du tout et pourtant. Je voudrais parler, mais les paroles ne se forment pas dans ma gorge, une bousculade de mots dans ma tête tente de reproduite des sons, de leur donner un sens, retrouver un phrasé. Juste avant que cesse le doux chahut, résonne une voix au timbre familier:"Souviens-toi !". Une voix, un visage de femme associée à cette voix, ses traits ne se dessinent pas nettement.

"Souviens-toi !" Des lèvres que j'ai embrassées sans doute. Souvenirs où êtes-vous ? Les souvenirs, myriades de bulles gazouillantes et mourante à peine écloses. Rien d'autre, à quoi bon ?

Des gens dehors. Ils n'étaient pas là. Ils semblent marcher dans l'air. Enjamber le rebord de ce qui fut la fenêtre est un jeu. Nulle hésitation pour le premier pas. Il se pose dans le vide et ce n'est pas le vide. Je foule une herbe invisible qui bruisse sous mes pieds. Les autres me dévisagent, m'encouragent du regard. Rien d'inhabituel à cette situation et pour quelle raison ce serait inhabituel ?

"Marche, me dit une autre voix. Marche dans l'infini. Le ciel et l'univers vont se confondre". Un grondement sourd s'éloigne au galop. Les attaches sont rompues.

Le temps défait étire son long écheveau. La dernière heure ne sonnera plus.





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