Léo " Le fantôme..."

Date 10-05-2015 12:07:00 | Catégorie : Nouvelles confirmées


"Le bonheur est arrivé. Enfin.
Très rapidement nous avons rendus nos deux studios. Fleury-sur-Andelle était peut-être la ville la plus affreuse au monde, et pourtant, nous décidâmes de nous y installer. Heureux et Amoureux, la ville n’existait pas.
Nous avions trouvés, au bord d’une petite route une maisonnette avec des murs blancs et des volets bleus. Elle m’évoquait une carte postale que j’avais achetée en Grèce, quelques années auparavant.
J’avais déjà je crois, une certaine propension à débusquer la beauté ou nul autre ne pouvait la deviner. Derrière, la bâtisse dissimulait un jardin, étroit, mais à l’abri des regards indiscrets. Il y avait tout juste de quoi y dresser un salon de jardin, quelques balconnières, mais aussi un nichoir pour les mésanges, au creux d’un seul et unique arbuste, un forsythia.
Nous avons acheté de la vaisselle bleue. Ce fut notre premier achat commun. Puis, j’ai refait le papier peint de la salle à manger. Bleu.
Le ciel aussi l’était. Presque sans aucun nuage. Je goûtais pleinement à la vie en couple. Je découvrais aussi à quel point il était bon de partager ses rêves et d’imaginer un avenir, à deux. Je crois que je n’écrivais plus. Nul poème.
L’amour me donnait le sentiment de tout combler. De saine fatigue, mon métier me remplissait aussi. Et puis Sophie avait une grande famille qui devint rapidement la mienne. Elle était une enfant du pays et avait des amis et de nombreuses connaissances. Elle m’offrit tout et je me sentais vivre. A présent, je ne voyais plus ma sœur que deux à trois fois par an. Ma tante Bleuette, une ou deux fois, et mes parents, par gratitude ou pitié, peut-être une fois par mois.
Je devais à présent composer avec mes deux familles. Le 24 décembre 1999, nous avions décidé de passer notre premier réveillon de noël chez mes parents, avec Flora et son ami. Le 25 décembre au soir, nous étions retournés chez ma belle-mère et mes belles-sœurs à l’autre bout du département. Ce second réveillon s’était éternisé au point que nous ne rentrâmes chez nous finalement qu’assez tôt le matin.
Lorsque nous nous sommes réveillés en fin de matinée, il n’y avait plus de courant dans notre petite maison. Plus de téléphone non plus. Quelque chose de peu ordinaire semblait s’être produit dans la nuit. J’ai ouvert les volets bleus et le soleil resplendissait déjà. Les oiseaux ne chantaient pas et l’air était plutôt doux pour un mois de décembre, océanique. Il était presque midi. Il y avait un peu plus d’eau qu’à l’habitude dans les caniveaux, un lourd silence, mais pas de quoi s’en inquiéter d’avantage. La maison face à la notre semblait sereine. Pourtant, sans radio, ni télévision, nous étions coupés du monde. Les oiseaux ne chantaient pas. D’ailleurs, ils avaient disparus.
Vers quatorze heure, j’ai décidé de prendre la voiture pour me rendre à Lyons-la-Forêt, à l’office de tourisme, pour savoir si mes collègues rencontrés ces mêmes difficultés. Alors, j’ai traversé Fleury-sur-Andelle en ne remarquant rien de particulier. Et puis au fil de ma route, j’ai commencé à percevoir quelques branches tombées au sol. Le vent. Sans doute avait-il soufflé un peu fort durant notre sommeil. Les rues étaient désertes. Quand je suis arrivé au petit village de Rosay-sur-Lieure, j’ai compris que quelque chose d’effroyable était arrivé dans la nuit. Presque tous les arbres étaient au sol. La magnifique forêt de Lyons était comme pulvérisée. Certains troncs d’arbres semblaient avoir littéralement explosés. J’étais horrifié. J’ai arrêté ma voiture et je suis descendu. Mes yeux ne savaient plus où regarder.
Ainsi, durant mon sommeil, lourd, la tempête de siècle était passée. Elle avait tout ravagée. Devant ce désastre, totalement désemparé, comme un gamin, je m’étais mis à pleurer.
Dans l’après-midi, l’électricité nous est revenue. Sophie et moi n’avons pas réussi à nous soustraire de notre poste de télévision, qui en boucle, diffusait inlassablement les mêmes images, terrifiantes et invraisemblables.
Nous avions décidé d’aller fêter le passage en l’an 2000 dans les Landes, chez mon amie Jenny et son compagnon Thierry. Entretemps, seulement deux jours après la première, une seconde tempête d’une extrême violence, faucha le pays.
La France était une nouvelle fois défigurée.
Je me souviens de notre périple pour rejoindre les Landes.
Nous traversâmes des paysages balafrés, qui assurément resteraient à jamais gravés dans nos mémoires.

•••

« Monsieur,
Je m’appelle Léo.
Je me permets de vous adresser cette lettre parce qu’après quelques recherches faites sur internet, j’ai découvert que vous étiez mon père biologique.
Autrefois, avant mon adoption, je portais votre nom de famille. J’aime à penser que vous en étiez-vous fier. Je sais à présent qu’à une époque lointaine maintenant, vous avez eu une aventure avec une certaine Marie. Elle est ma mère biologique et je ne la connais pas non plus. Je sais de manière formelle que je suis le fruit de votre union. J’ai appris simplement que vous m’aviez reconnu et, qu’au moins, au départ, je devais compter pour vous, ne serait-ce qu’un peu…
J’ai été adopté à l’âge de trois ans.
Je voudrais vous assurer qu’aujourd’hui, je ne suis plus à la recherche d’un père et encore moins d’une famille. Aussi, je n’ai pas besoin d’argent.
Je n’ai pas complètement réussi ma vie, mais elle n’est pas totalement ratée non plus…
Je n’ai pas l’intention d’entrer dans votre vie contre votre volonté et de m’imposer à vous. Simplement, je suis à la recherche d’éléments qui pourraient m’aider à mieux vivre, à comprendre d’où je viens…
J’ai le désir de bientôt fonder une famille. Je me sens encore fragile parfois, avec tant de doutes. Souvent, mon passé me remue.
Je dois vous avouer qu’il m’a été très difficile de grandir sans savoir à qui je ressemblais. Pourriez-vous s’il vous plaît me faire parvenir une photo de vous, ou peut-être même de moi, lorsque j’étais enfant ? Ensemble ?
Pourriez-vous s’il vous plait me consentir quelques mots et me parler de mes origines, de notre histoire, mais aussi de ce qui fait, qu’aujourd’hui, tout nous sépare ?
Serait-il possible, malgré tout ce temps qui est passé que vous puissiez m’aimer encore au moins un peu ?
Si vous êtes mon père comme je le crois et qu’ainsi, malgré tout, je demeure votre fils, je suis persuadé que vous saurez rassembler votre courage, mais aussi vos forces pour me répondre, ne serait-ce qu’une petite lettre.
Peut-être au fond me devez-vous juste cela ?
Je vous assure que quelques mots ne vous engagerez qu’à peu de choses. En effet, si vous émettiez le choix que je disparaisse pour toujours, je vous promets que je le respecterai. Je n’ai jamais eu de haine à votre égard.
Aussi, sans réponse de votre part dans les semaines ou les mois à venir, je m’engage dés ce jour à ne jamais plus vous recontacter, de quelque manière que ce soit.
Plus jamais vous n’entendrez parler de moi.
Je vous souhaite aussi d’avoir réussi votre vie, ou tout au moins, comme la mienne, qu’elle ne soit pas trop ratée.
Je vous remercie d’avance.
Cordialement.
Léo, votre fils. »

Je me souviens parfaitement du jour où j’ai glissé cette lettre dans la boîte jaune dressée sur la place de la mairie de Fleury-sur-Andelle. Au fur et à mesure que je l’avançais dans l’échancrure, je doutais de tout.
Mes mains tremblaient beaucoup et mon cœur s’étouffait.
Là, un peu par hasard ou peut-être par erreur, je déposais à la fois mes craintes, mes espoirs, mais aussi mon envie profonde de tourner une page, ou peut-être d’avancer, en vain.
Les jours passèrent, puis les semaines et les mois…
Tout en cachant à mes proches que je puisse en être viscéralement affecté, factice, j’attendais. Parfois même, je leur souriais.
Souvent, seul, j’en chialais comme lorsque j’avais cinq ans.
Evidemment, aucune lettre ne m’est revenue.
Je compris. Je ne rencontrerais pas mon père. Jamais.
Est-il une douleur plus puissante au monde ou plus insupportable, que de ne pouvoir exister aux yeux de ses propres parents ?
Probablement ; perdre un enfant que l’on aurait aimé.
Pourtant, pour moi, nuls autres n’avaient réellement réussis à combler cette place. Irrémédiablement et pour toujours, elle resterait vacante, me laissant creux et définitivement stérile.
J’allais devoir tenter de continuer à vivre, plus tout à fait seul pourtant, mais si vide au-dedans.
Moi qui voulais devenir père, je me torturais inlassablement. J’avais à présent vingt-quatre ans.
Devais-je égoïstement laisser une chance à mes néants contenus, de pouvoir enfanter ? Quel papa pourrais-je bien devenir ?
Un fantôme… Cette simple idée me terrifiait."




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