Léo " Educateur"

Date 21-05-2015 15:49:01 | Catégorie : Nouvelles confirmées


"C’était un mercredi matin à Vernon. Un jeune homme qui peut-être avait entre vingt-cinq et trente ans est entré dans le bureau des animateurs. J’étais seul, dans la paperasse. Agnès était aussi dans son bureau, assez éloigné du mien. Elle téléphonait. Je n’avais jamais vu cet individu auparavant traîner dans le quartier et encore moins au centre social. Je commençais pourtant à connaître beaucoup de monde. Les gars que je découvrais encore parfois étaient ceux qui généralement ressortaient de prison après de courtes peines. Ceux-là me méprisaient systématiquement. Il me fallait tout recommencer à chaque fois car ils ne supportaient pas ce qui pouvait venir modifier ou troubler, ne serait-ce qu’un peu, la vie du quartier. Je pense qu’il s’agissait d’une peur qui traduisait le fait de ne plus tout maîtriser ou de ne plus être quelqu’un, ici. Cette peur me paraissait presque évidente ou légitime. Je comprenais qu’il était quasiment impossible pour ces jeunes gens de devenir quelqu’un d’autre, ailleurs, dans ce pays, ou même plus loin.
Le jeune homme, l’air grave, s’est alors approché de moi et m’a demandé d’une voix assez basse de le suivre, prétextant avoir une chose très importante à me confier, dehors. Je déduisis qu’il avait besoin d’une aide urgente et que sans doute, se trouvait-il dans une situation si embarrassante, qu’il voulait s’assurer que l’on ne soit pas dérangé. Depuis quelques mois déjà, de par mon dévouement et mon implication au travail, j’étais reconnu de presque tous. Je me sentais accepté, presque apprécié. Aussi, dans les quartiers des Valmeux ou des Boutardes, j’étais connu comme un loup blanc, innocent et bienveillant.
J’avais baissé ma garde. Sans que personne me voie quitter mon bureau, je l’ai suivi sans inquiétudes. Dans mon esprit, il était impossible que l’on puisse encore me vouloir du mal gratuitement. J’avais le sentiment d’avoir fait mes preuves et d’avoir acquis assez durement le respect qui m’était du.
Ainsi, ingénument, par une porte dérobée, je me suis laissé entraîner par ce jeune homme à l’extérieur du centre social. Je me suis retrouvé face à lui.
— Je peux faire quelque chose pour toi, avais-je engagé ?
Il me regarda froidement et glissa sa main dans l’ouverture de sa veste de survêtement, jusqu’à en atteindre une poche intérieure.
Je compris tout à coup que j’étais seul face à un délinquant, m’étant livré moi-même sur un plateau d’argent. Probablement suis-je devenu blême ?
Il sorti un révolver qu’il pointa sur moi, puis me fixa impassiblement quelques secondes, ou une éternité, droit dans les yeux.
— Je ne veux plus voir ta sale gueule de gwère traîner par ici, tu comprends ça ? Ici, c’est pas chez toi, on veut pas d’toi ! Tu vois la forêt juste derrière moi ? Il se pourrait qu’un jour on t’y retrouve en train de pourrir si tu ne te casses pas rapidement.
Aucun son ne pu sortir de ma bouche. Mon regard s’accrochait aux arbres devant moi. J’imaginais mon corps, dissimulé sous un tas de feuilles mortes, à moitié dévoré par les lombrics ou les myriapodes.
Puis furtivement, j’avais regardé l’arme. Je crois que j’avais bien trop peur pour comprendre vraiment ce qui était réellement en train de se passer. J’ai machinalement hoché la tête en signe d’approbation. Puis, j’ai baissé mon regard tout en espérant qu’il m’intime enfin l’ordre de décamper.
Cela ne tarda pas.
— Vas-y, dégage, bâtard !
Je crois que j’eus presque envie de le remercier. J’ai tourné le dos et refermé derrière moi la lourde porte. Choqué.
Je suis retourné dans mon bureau, hagard et totalement désorienté. Et puis je n’ai rien dit tout de suite. J’ai gardé le silence quelques jours. Sans doute à cause de ma honte. Je culpabilisais d’avoir été aussi naïf. Et si ce mec revenait ? Et s’il se moquait de retourner en prison ?
Quelques jours plus tard, Agnès remarqua dans mon regard, comme une absence inhabituelle. Elle comprit que quelque chose de grave s’était passé. Je me confiai. Un peu comme une mère autoritaire et aimante, elle me rassura. Agnès me donna même quelques jours de congé, puis m’obtint juste après une formation d’une semaine pour passer la partie théorique d’un Brevet d’Aptitude aux Fonctions de Directeur en accueils collectifs de mineurs. Agnès me demanda de commencer à réfléchir.
— Tu devrais peut-être chercher un nouvel emploi, moi-même, je crois que je vais bientôt partir. Tu vois bien que c’est difficile…
Je comprenais, il me fallait renoncer. Alors, j’ai profité de ces quelques jours de congé et de formation pour rechercher un nouvel emploi. J’ai très vite obtenu un entretien dans un foyer de jeunes travailleurs, sur la commune du Chesnay dans les Yvelines. Je ne suis jamais retourné au centre social Jacques Brel.
Je suis parti sans au-revoir, mais sans haine ou racisme. J’avais compris que je ne pouvais pas être chez moi sur ce petit morceau de France. Mon pays avait fabriqué ces quartiers comme on érige des enclos pour des animaux, et hypocritement condamné ces gens à une inéluctable exclusion sociale.
D’un côté, la mairie donnait de maigres moyens pour endormir cette jeunesse sacrifiée et en même temps s’allouer une bonne conscience. D’un autre, une France et quelques poignées de français égoïstes aspirant à un nationalisme puissant, qui toujours prônent la protection du pouvoir patronal et qui sans cesse ont besoin de désigner des boucs émissaires.
Cette expérience m’apprit à me méfier plus encore de mes semblables qui parfois font l’amalgame entre la religion et le gouvernement, qui ne sont obsédés que par la sécurité nationale et jamais ne voudraient partager ne serait-ce qu’un peu de ce qu’ils ont, estimant l’avoir toujours bien mérité.
Je savais à présent que je ne voulais pas devenir ce français moyen, celui qui, sans livre et sans culture, peut un jour, sans même s’en rendre compte, s’engager sur les chemins qui insidieusement peuvent mener au racisme et au fascisme.

•••


Au mois d’octobre de l’année 2000 j’ai donc rejoint l’équipe du Foyer de Jeunes Travailleurs « La Clairière » au Chesnay. Le travail y était inintéressant au possible et ma supérieure hiérarchique imbuvable. Je m’ennuyais.
A présent que j’avais un pied en région parisienne je me disais qu’il me serait peut-être plus facile de trouver un emploi en tant qu’éducateur, même sans diplôme.
J’ai envoyé une multitude de courriers et enfin, le miracle s’est produit. J’ai décroché un entretien au sein d’un Institut de Rééducation dénommé « Le logis », à Saint-Lambert-des-Bois dans les Yvelines.
La chef du service éducatif me reçu. Elle s’appelait Sylvie.
Je m’étais quelque peu renseigné sur ce que pouvait être à l’époque un Institut de Rééducation. Ce n’était pas vraiment très engageant et je comprenais pourquoi ces établissements ne trouvaient pas d’éducateurs spécialisés diplômés. En effet, ceux qui obtenaient le diplôme ne rêvaient pas particulièrement d’aller travailler dans ce genre d’établissements et préféraient s’orienter vers des structures plus sereines.
Elle me présenta assez longuement les principales caractéristiques des gamins accueillis au sein de l’institut. Les jeunes garçons avaient entre dix et seize ans.
Ça, je le comprenais.
Ensuite, il fut alors question de difficultés psychologiques, mais aussi de troubles du comportement. Sylvie semblait me faire comprendre que ces enfants conservaient malgré tout leurs potentialités intellectuelles et cognitives, mais que leurs difficultés psychologiques compromettaient systématiquement leur socialisation, mais aussi leur accès aux apprentissages scolaires.
Là, je tentais d’imaginer.
Pour résumer ou traduire, je m’étais dis que ces gamins devaient être sacrément casse-couilles et que tout ce blabla n’était autre qu’un enrobement sucré pour me faire avaler un médicament sans doute un peu amer ou dégoûtant. A coup sûr, j’allais en voir de toutes les couleurs. Il devait y avoir entre ces murs une concentration démesurée d’emmerdeurs et de petits cons. Cela m’était égal. J’étais prêt à tout.
C’était un poste en internat. Des soirées et des nuits. J’avais le sentiment de caresser mon rêve du bout des doigts. L’entretien me paraissait interminable. Peut-être une heure-trente. Etait-ce bon signe ou cherchait-elle encore une faille ?
J’avais largement eu le temps de contempler le tableau accroché au mur à côté de la porte sur lequel dominait une citation dont mon souvenir ne me laisse que le sens, au détriment de l’exactitude des mots : «On ne sait jamais vraiment quand ce que l’on sème s’enracine. Et pourtant, il faut bien continuer de semer… »
Je saisissais.
La chef de service expliquait encore. Je me disais que si elle prenait autant de temps avec les nombreux candidats que j’imaginais avoir postulés, le recrutement allait probablement durer des semaines, voir des mois. J’allais devoir faire preuve d’une infinie patience pour obtenir une réponse.
Puis il y eu un silence. Tout à coup elle ouvrit son agenda et tourna quelques pages.
— Vous semblez déterminé. J’aime. Pensez-vous pouvoir commencer lundi 3 janvier, juste au retour des vacances scolaires ?
Ce n’était plus un rêve.
Déconcerté, je fis semblant de réfléchir quelques instants pour ne pas laisser éclater ma joie et divulguer mon empressement.
Mais qu’avais-je donc de prévu pour ces prochaines vacances de noël et pour ces premiers jours de l’année 2001? Rien, mise à part rédiger une formidable lettre de démission pour le F.J.T et commencer à rechercher un petit logement en région parisienne. J’allais oublier ; Je prévoyais soudainement aussi de devenir un authentique éducateur !
— Euh… Attendez voir… m’étais-je risqué.
Sur mes genoux, mon agenda que je venais d’ouvrir était dissimulé par le bureau. Je fis alors semblant de le consulter. Il était désespérément vide.
— Et bien oui, ce serait parfait. Cela me paraît tout à fait envisageable. Je suis en train de terminer ma période d’essai au F.J.T et cela me permet donc de partir quand je le veux.
— Très bien, me dit-elle. Peut-être pourrions-nous nous revoir la semaine prochaine ? Je vous parlerai de votre nouveau métier, de vos missions et vous présenterai vos nouveaux collègues. Aussi, je vous ferai visiter les lieux.
De la fenêtre du bureau, ils me semblaient incroyablement étendus.
La semaine suivante, j’ai rencontré André, Mohamed et Fanny, mes nouveaux collègues. J’allais travailler dans une petite maison surnommée « Le Ranch ».
André était un vieux loup solitaire et chevronné. Il avait encore son logement de fonction juste derrière l’unité de vie des adolescents. Il était divorcé et avait un jeune fils. Mohamed était un quadragénaire à la morphologie solide, père de nombreux enfants. Il détenait les codes et le langage des cités. Il était un ours, sanguin, qui parfois pouvait s’emporter, mais au fond demeurait tout de même très rassurant.
Fanny était une jeune femme de mon âge. Tout comme moi, elle débutait dans le métier. Elle était à la fois douce et intransigeante.
Je me disais que Sylvie avait opéré là un incroyable casting pour arriver à constituer son équipe. Je la trouvais talentueuse.
Ce petit collectif disposait d’une certaine expérience, de belles capacités de réflexion, du recul nécessaire, mais aussi de fougue et de force, et plus encore, d’une touche de féminité, puis de grandes et étonnantes sensibilités.
Un peu plus tard, j’allais découvrir les enfants..."




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