Léo "Des jumeaux"

Date 16-06-2015 22:32:37 | Catégorie : Nouvelles confirmées


"Un soir ma tante Bleuette me téléphona.
— J’hésitais à te le dire par peur de trop remuer le passé, mais j’ai bien réfléchis et je préfère te prévenir que ton grand-père est mort la semaine dernière…
Je n’avais pas vraiment compris pourquoi elle avait fait le choix de tergiverser de la sorte. Pourquoi avait-elle choisi de prendre autant de précautions ? Peut-être avait-elle imaginé que je puisse avoir de la peine. Je m’en foutais. En réalité, je ne m’étais jamais attaché à Roger.
J’avais fait le choix depuis quelques années déjà, de le gommer de mon existence.
Depuis, je me persuadais chaque jour que rien ne pourrait à présent venir ébranler ma vie que je m’efforçais de redresser. Non, je ne permettrais à personne, et encore moins à un mort, de venir entacher mes projets de bonheur.
D’ailleurs je ne savais toujours pas aujourd’hui quelle était la part de responsabilités de mon grand-père dans le drame qui avait fait dérailler mon enfance.
— Tu as bien fait, avais-je répliqué sans aucune émotion apparente. J’espère surtout que ce n’est pas trop difficile pour toi. Tu sais, en ce qui me concerne, ce passé est mort depuis déjà bien longtemps...
Alors, Bleuette ne pu se retenir de m’exposer son enfance malheureuse. Elle me l’avait déjà mille fois racontée. Je l’avais écoutée quand même. Puis soudain elle ne pu s’empêcher de m’en dire plus. Germaine était morte depuis des années déjà.
— Tu sais, me dit-elle, ton grand-père s’est éteint seul, dans la crasse, comme un chien…
Je restais silencieux. Au fond Bleuette s’en foutait, elle avait l’habitude de parler fort sans que quiconque ne l’écoute véritablement. Elle travaillait encore auprès de personnes âgées.
— Je dois t’avouer que j’ai revu mes sœurs, et donc ta mère, continua-t-elle.
— Ha bon, avais-je alors répondu en prenant une intonation dégagée.
— Si tu souhaites que je t’en parle un peu plus, je reste à ta disposition, s’était-elle proposée.
— Non merci, avais-je riposté. Mon passé est bel et bien derrière moi. Je n’en veux plus rien savoir. Je te remercie. Ma famille à présent c’est ma femme et je l’espère bientôt, mes enfants.
— C’est comme tu veux, m’avait-elle répondu, sans doute un peu déçue.
Je crois qu’en réalité je mourrais d’envie d’en savoir plus. Que pouvaient bien être devenus ma mère et ce jeune demi-frère, qu’en silence tout mon être réclamait ?
Je me sentais pourtant la force de ne rien solliciter et d’avancer quand même.
En fait, j’avais peur que mon passé me rattrape et me fasse dangereusement vaciller. Ainsi, malgré ces ombres planantes, peut-être menaçantes, je vivrai fort, coûte que coûte. Je me jurais à moi-même que je ne finirais pas comme mon grand-père.
Je ne savais pas encore, que sa mort, finirait un peu plus tard, à faire voler en éclats quelques-uns de mes serments, ces minces certitudes…

Nous avons obtenu les clefs de notre maison en décembre, plus de trois mois après la date promise par le constructeur. Pour autant, le maire ne nous avait pas chassé de notre logement et même, nous avait gracié de quelques loyers. Nous espérions emménager en février. Beaucoup d’amis sont venus nous aider à peindre et à réaliser quelques travaux de finition.
Noël approchait. Flora nous avait invités depuis quelques mois déjà à venir le passer chez ses beaux-parents à Albi.
Nous ne savions pas sur le moment que nous obtiendrions les clefs de notre maison si tardivement. Sans doute aurions-nous refusé l’invitation, trop pressé de terminer nos travaux, mais aussi d’aménager.
Sophie n’était pas vraiment en forme. Elle avait perdu beaucoup de poids. Elle se sentait incroyablement fatiguée, comme anémiée. La construction de la maison nous avait causé bien des soucis. Nous n’en ressortions pas indemnes.
En réalité, nous n’avions pas le cœur à traverser la France, mais ne pouvions pas nous résoudre à anéantir la joie que s’était faite ma sœur de tous nous réunir pour le réveillon. Ce fût pourtant un très joli noël.
Quelques jours plus tard, de retour en Normandie, Sophie semblait encore plus exténuée. Elle disait que c’était à cause du trajet. Je pensais qu’elle était déprimée.
L’irrégularité de ses menstruations, devenue habituelle, ne nous laissait plus présager quoi que ce soit. Nous étions découragés et n’attendions plus rien. Alors, pour rendre l’attente un peu plus supportable, nous nous disions que nous avions assez à faire avec notre déménagement à venir.
Sophie décida tout de même d’aller acheter un test de grossesse. J’avais tenté de l’en dissuader. S’il était négatif, je savais que le résultat nous annihilerait à nouveau.
J’espérer profiter pleinement de cette joie que nous procurait encore le fait d’être devenus les propriétaires d’une si jolie maison.
— Je voudrais que tu me promettes que tu ne vas pas t’effondrer si le résultat n’est pas celui que nous attendons. Pour ma part, je n’y crois pas. Tu sais, nous ne sommes pas pressés, lui avais-je menti.
Il ne devait pas être loin de midi en ce deux janvier 2003.
Je ressortis de notre maison, avec ma tante Bleuette, qui, pour l’occasion, était venue passer quelques jours pour nous aider. Nous étions couverts de peinture. Je refermai tout juste la porte lorsque la voiture de Sophie surgit dans notre rue, à l’angle d’un virage. Je tentais d’apercevoir son visage au travers de la vitre. Il était grave et ses lèvres remuées, comme affolées. Assurément quelque chose de grave venait de se produire. Je ne parvenais pas à lire sur ses lèvres les mots qu’elle s’évertuait à m’adresser.
Elle gara brutalement sa voiture et en sortit d’un bond.
Elle s’approcha de moi, les yeux mouillés et s’écria :
— Je suis enceinte !
Elle tomba dans mes bras. Je ne trouvais sur le moment aucun mot. J’étais en larmes, le souffle coupé. Puis la parole me revînt.
— Tu en es bien sûre, peut-être le test n’a-t-il pas fonctionné ? Ne faudrait-il pas en acheter un autre pour vérifier, m’étais-je risqué.
— Non, j’en suis certaine, je suis enceinte, répéta-t-elle !
Alors, brusquement, ce jour-là sembla effacer tous les autres de ma vie.
Il en devînt même le plus beau.
Une forme de providence m’apprenait encore.
Je comprenais qu’il ne suffisait pas toujours de désirer une chose, même éperdument, pour espérer l’obtenir. Non, il fallait parfois apprendre à s’en détourner, puis y revenir, et avant tout, être pleinement prêt pour l’accueillir, la recevoir.

•••

Le soir même j’ai décroché le téléphone pour annoncer la merveilleuse nouvelle à mes parents. J’étais comme fou de joie, très loin, sur une autre planète. Je ne pensais qu’à répandre et partager mon bonheur.
Hélène décrocha.
— J’ai une formidable nouvelle à vous annoncer ! Sophie est enceinte, vous allez devenir grands-parents, avais-je révélé avec empressement.
— Ah, c’est bien, répondit Hélène sans enthousiasme….
Surpris par la froideur de sa réaction et de son propos, je m’étais alors hâté de prendre de leurs nouvelles.
— Vous allez bien ?
— Oui, très bien, m’avait-elle répondu.
J’avais cru que vous seriez contents d’apprendre cette nouvelle, m’étais-je alors précipité.
— Oui, nous le sommes, évidemment, mais tu sais, nous savions bien que cela arriverait un jour. Ce n’est pas vraiment une surprise.
— Evidemment, avais-je répondu, vous le saviez...
Les larmes me montèrent aux yeux.
Avant que mes sanglots ne m’étranglent entièrement, j’ai très vite prétexté avoir d’autres personnes à prévenir. Je me suis alors assis sur le canapé et Sophie est venue se blottir contre moi. J’étais blessé.
— Ce n’est pas grave, tu sais comment sont tes parents, on ne les refera pas… Le bébé sera notre bonheur à nous, rien qu’à nous…Je te promets que tout ira bien.
J’avais alors téléphoné à ma sœur pour lui annoncer la nouvelle. J’avais tenté d’atténuer ma joie. Son ventre à elle, depuis quelques mois déjà s’obstinait à ne pas s’arrondir. Elle s’était sincèrement réjouie pour nous, mais je comprenais à quel point notre bonheur venait à présent remuer sa peine.

Rapidement Sophie prit un rendez-vous pour passer sa première échographie. Je l’avais accompagné, mais très égoïstement, je n’avais pas voulu descendre de la voiture. J’avais trop peur. J’avais encore cette idée que quelque chose ne se passait pas normalement. Et si le test de grossesse s’était trompé ? Et si le bébé était mal accroché ? Et si…
Sans doute n’aurai-je pas su ce jour-là contenir toute ma déception et ma peine.
J’ai attendu dans la voiture. C’était interminable. Je regrettais de ne pas avoir trouvé le courage. Je me sentais lâche comme un homme qui admirait tant, tout le courage de sa femme.
Et puis Sophie est revenue. Le visage fermé. Je craignais le pire.
Elle ouvrit la portière et s’écria avec une sorte d’agacement:
— Mais bon sang, qu’est-ce que tu m’as fait ?
Je restai coi…
— Que veux-tu dire, je ne comprends pas ? Il se passe quelque chose de grave, m’étais-je alors empressé d’enchérir ? Je devinais le stress monter en moi.
— Oui, en effet il y a quelque chose de grave, me répondit-elle, alors que je sentais poindre son énervement ! Ah ça, pour être enceinte, je suis enceinte, tu peux te rassurer ! J’attends des jumeaux !
— Quoi ? Tu en es sûre ?
— Ça pour en être sûre, j’en suis sûre. Sophie semblait encore sous le choc. Comment allons-nous faire, clama-t-elle en s’affaissant sur son siège ?
Faire quoi, me disais-je dans ma tête ? Mais de quoi pouvait-elle bien parler ?
Je ne comprenais décidément rien de son inquiétude ou encore de sa réaction.
Pour ma part, j’étais simplement deux fois plus heureux, comme si j’apprenais à nouveau que ma femme était enceinte.
— Il nous faudra changer de voiture, avoir tout en double, et puis c’est compliqué d’avoir deux bébés en même temps. Tu ne te rends pas compte ?!
A dire vrai, je crois que je n’avais jamais vraiment approché un bébé.
Effectivement, Sophie avait raison, je ne me rendais compte que d’une seule chose. Comme victime d’un coup de baguette magique, ma joie déjà si grande, venait de se dédoubler en deux parts égales et identiques, déjà chacune plus immense, que la portion initiale.
— Ne t’en fais pas, avais-je alors répondu. Je serai présent à tes côtés, toujours. Nous serons deux nous aussi ! Et puis tu sais, comme on dit ; quand il y en a pour un, il y a pour deux !
Sophie sourit enfin. Peut-être avais-je trouvé les bons mots ? Avant que la voiture ne démarre, nous nous embrassâmes avec une infinie tendresse.
Sur le chemin du retour, nous sommes restés assez silencieux. Encore stupéfiés. Je m’efforçais de comprendre à présent ce que ma femme avait tenté de m’exprimer. En effet, la petite chambre que nous avions réservé pour le bébé deviendrait alors la chambre d’amis.
J’allais devoir me séparer de ma belle voiture, pour un modèle familial, plus grand.
Au fond, tout allait changer, et je n’attendais que ça.
Sophie était vraisemblablement enceinte depuis la fin du mois de novembre.
Les bébés arriveraient probablement pour la fin août, ou peut-être au début du mois de septembre.
Nous disposions tout de même d’un peu de temps devant nous...."



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