Je crache ma bile

Date 21-06-2015 19:10:00 | Catégorie : Nouvelles confirmées


Réponse au défi d'Arielleffe :

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Samedi soir, 20 h 15, je fixe l’écran de télévision et ne peux empêcher ma lèvre inférieure de pendre lamentablement et mes yeux de s’arrondir comme des boules de billard. Il faut quelques secondes à mes neurones de la joie pour se mettre à vibrer dans mon cerveau. Ce sont ensuite mes membres et finalement mon corps tout entier qui est pris de convulsions endiablées. Une rengaine résonne désormais dans mon salon : « J’ai gagné ! J’ai gagné ! ». Mon épouse sort de la cuisine, une poêle à frire humide dans la main droite et un torchon dans l’autre, deux armes redoutables si elle souhaite me réduire au silence. Je ne lui laisse pas le temps de réagir car je cours l’embrasser fougueusement.
– Mais qu’est-ce qui te prend Jules ?
– On a gagné Mariette !
– Quoi ? Encore un voyage fictif par internet ? Ou des bijoux en or… dure bon marché grâce à un marabout africain ? Pff, tu te fais toujours avoir !
– Non, ici c’est réel. Regarde, j’ai tous les numéros du Lotto !
– C’est ça, prends-moi pour une demeurée tombée de la dernière pluie. Tu n’as jamais eu une once de chance depuis vingt ans que tu t’acharnes à jouer les mêmes combinaisons à cette foutue loterie.
Là, je tapote sur l’ordinateur pour dénicher les chiffres magiques correspondant à ceux imprimés sur mon ticket afin de prouver à ma femme que j’ai, pour une fois, raison. Nous entamons alors tous deux une danse frénétique autour de la table du salon. Mon épouse tape en rythme sur sa poêle pendant que je fais tourner la serviette au-dessus de ma tête, faisant honneur à un célèbre présentateur télé aux cheveux blancs.
Pendant toute la journée du dimanche, nous sommes sur un petit nuage, occupés à dessiner de jolis projets de voyage autour du monde. Le midi, j’emmène Mariette dans ce restaurant prestigieux que je lui refuse depuis tant d’années. Secrètement, je fomente le discours salé que je compte servir à mon chef de service dès demain. Avec plus de trente-cinq millions d’euros, je n’ai plus besoin de subir les affres de Môsieur Gilbert De La Montagnequifume. Il est pédant à souhait et surtout imbuvable. C’est le fils du patron et, à ce titre, il se permet tout. Les nécessités financières m’imposent de fermer ma gueule et d’obéir à ce pantin incapable. J’ai bien sûr tenté de trouver un poste ailleurs mais personne ne veut d’un vieux comptable qui utilise encore une machine à calculer à rouleau et non des tableaux sur ordinateur.
Le lundi matin, j’arrive au bureau avec un retard marqué car il est déjà plus de dix heures. J’ai opté pour un look décontracté avec bermuda à fleurs, marcel orange et tongs même s’il fait un peu cru en ce vingt-deux juin. C’est mon chef en personne qui vient à ma rencontre.
– Monsieur Villefroy, vous avez vu l’heure ? Et qu’est-ce que c’est que cette tenue ? Vous savez que votre contrat de travail vous oblige au port quotidien du costume avec cravate. Retournez vous changer à la maison.
– Non, Gilbert ! C’est fini entre toi et moi !
J’entends autour de nous des petits bruits de surprise marqués par une pointe de curiosité. Des regards intrigués nous scrutent.
– Je vous laisse dès aujourd’hui car je démissionne !
– Comment ? Vous ne pouvez pas avoir trouvé une place ailleurs. Vous êtes trop vieux !
– Non, j’ai gagné au Lotto et me voici plus riche que vous. J’en profite donc pour vous livrer vos quatre vérités. Savez-vous ce que l’on dit de vous ?
– Euh…
– Que vous êtes un incapable, un véritable boulet pour cette entreprise, un fils à papa gâté pourri qui n’a aucune compétence à part celle de se rendre ridicule. D’ailleurs vos traditionnels discours de bons vœux ne sont que des colliers d’âneries qui font rire dans les chaumières des employés pendant toute l’année. Vous vous habillez comme un bobo parisien alors que vous n’êtes qu’un plouc provincial. De plus, en vous obstinant à acheter une taille en-dessous de la vôtre, vous ressemblez à un saucisson, de Paris bien sûr ! C’est d’ailleurs votre surnom ici. Oh, j’oubliais… je vous invite vivement à consulter un médecin car votre haleine est pestilentielle. Vous n’avez pas remarqué que nous avions tous des arbres magiques dans nos bureaux ? Il doit y avoir quelque chose qui pourrit à l’intérieur de vous, à moins que ce soit juste du fait de votre mauvaise foi. Nous en avons tous assez de devoir pallier vos erreurs en refaisant le travail derrière vous. Et qui récolte les honneurs ? Nous n’avons même pas droit à des remerciements. Vous n’êtes qu’un imposteur qui passe ses journées à regarder des pornos sur le net ou commander des pizza au lieu de faire avancer l’entreprise. Nous craignons tous le jour où vous devrez prendre les rênes en lieu et place de votre cher père car là, nous sommes assurés de courir droit à la faillite.

Toute ma rancœur accumulée au fil des ans se déverse comme le flot de lave d’un volcan trop longtemps endormi. Je vois les yeux de Gilbert s’embuer et ses lèvres trembler comme un enfant pris en faute, alors je décide de conclure :

– Je vous laisse donc sans regret ! Adieu Monsieur De La Montagnequifume.

Là, je sors, la tête haute et fière.

Mon histoire aurait pu se terminer ainsi, avec un happy end comme dans toutes les comédies d’outre-Atlantique. Mais, en sortant du bureau, je suis allé chez mon libraire pour valider ma cagnotte. Lorsque ce dernier m’a informé que mes numéros étaient bien identiques à un tirage mais celui du mercredi et non du samedi, je suis tombé dans les pommes. Mon récit a fortement amusé les pompiers qui sont venus me réanimer.

Après avoir été obligé de faire mon mea culpa devant Gilbert, j’ai pu récupérer mon poste. Depuis lors, il a étonnamment changé. Il s’est mis à suivre diverses formations, a revu sa garde-robe, s’est mis au régime et a consulté un spécialiste pour son halitose. Il est plus respectueux envers moi et mes collègues depuis mon pétage de plombs. Ces derniers m’en sont reconnaissants. Moi, je continue à jouer mes combinaisons au Lotto en continuant à espérer faire le tour du monde avec Mariette ou, du moins, rembourser le petit crédit qu’il m’a fallu contracter en vue de renflouer mon compte bien dégarni par l’addition du restaurant gastronomique.




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