Les douze soeurs (d'après le conte de Grimm : les douze frères)

Date 28-07-2015 22:30:00 | Catégorie : Nouvelles confirmées


Cette nouvelle est une réponse au défi proposé par Couscous le 25 juillet :

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Il était ma fois dans une terre lointaine appelée Amazone, si lointaine et si belle que pas même votre imagination ne saurait en décrire la volupté, une reine, Antiopé, et son roi qui avaient douze filles : Clonia la guerrière, Polemusa la talentueuse, Devioné la subtile, Evandra la tacticienne, Antandra la roublarde, la divine Brémusa, Hippothoé la violente, Harmothoé aux yeux noirs, Alcibié la songeuse, Antibrooté la réfléchie, Derimachia la patiente et Termodossa, toutes très belles, à l’exception de la dernière, Termodossa, qui chagrinait ses parents royaux, en raison de la couleur de sa peau mais aussi de sa grande originalité. Elle était albinos; en plus de son physique surprenant, elle avait acquis une distraction qui devint légendaire.

Le Roi jaloux s’était étonné de la naissance d’une telle enfant mais, paradoxalement, en était réellement heureux, car cette belle jeune fille avait été dispensée des activités guerrières dévolues aux seules femmes, en raison de ce qui paraissait être une infirmité aux yeux de la reine et de ses sœurs, toutes engagées dans l’armée royale, avec le titre de princesses.
La distraite et joyeuse Termodossa s’adonnait, jours après jours, aux activités dévolues aux seuls hommes : organiser la maisonnée, s’occuper des enfants, filer la laine… Elle en était très heureuse car elle aimait vraiment la compagnie des hommes.

Cet été-là, comme chaque année, la reine qui se distinguait par sa force, sa puissance et sa bravoure, entraîna son armée dans une guerre contre des tribus voisines. Elle en revint victorieuse mais également enceinte d’un possible treizième enfant.

Au début de l’automne de cette année-là, le roi dit à la reine :

- J’aimerais que cet enfant soit un garçon et qu’il puisse ouvrir une nouvelle voie dans la relation des femmes et des hommes, plus juste et plus équilibrée.
- Mon ami, il n’en n’est nullement question. Si cet enfant est un garçon, il aura le destin de tous les hommes de notre royaume, celui d’être à notre service et d’assurer les tâches domestiques. Cela étant, pour t’agréer, je peux en faire un étalon! Mais si cet enfant est une fille, comme notre Termodossa, il faudra la tuer.

Bien qu’il fût convaincu que ce futur enfant n’était le sien, Le roi fit construire un cercueil qu’il fit remplir des pétales des plus glorieuses fleurs du royaume. Il le fit installer dans une pièce secrète du palais dont les murs étaient recouvertes de tapisseries aux fils et d’argent, qui racontaient la triste histoire d’être déchus parce qu’ils n’étaient pas ce que l’on attendait d’eux. Il confia la clé de cette pièce à la tendre Termodossa à laquelle il s’attachait de plus en plus, jours après jours, alors que le soleil brillait de mille feux dans leur relation tendre et filiale.

Un soir d’hiver, le roi et Termodossa se retrouvèrent devant la cheminée du salon d’apparat du château.
Termodossa dit à son père :

- Père, pourquoi êtes-vous si triste ?
- Ma douce et tendre fille, je ne peux pas te le dire.

Mais l’enfant ne lui laissa aucun répit tant qu’il ne l’eût pas conduit dans la pièce secrète dont elle avait deviné l’existence dans son for intérieur.

- Ma tendre Termodossa, lui dit-il, ta mère a promis le bannissement si l’enfant à venir est un garçon et la mort si c’est une fille comme toi. Et je ne peux me résoudre à cela.
- Père, il nous faut trouver une solution pour éviter cela à notre futur parent.
- Mais que pouvons-nous faire devant la détermination de notre reine?
- Papa, papa… Veuillez me pardonnez, Père, j’ai une idée…
- Oh, oh, ma fille, je suis là… Tu rêves... Alors me livreras-tu ton idée ?
- Oui, mon papa chéri… Oui, Père ! Dès lors que l’enfant naîtra, tu m’en informeras par une missive que me transmettra ton officier d’ordonnance. Si c’est un garçon, nous le confierons à une famille qui aime à la fois les filles et les garçons et si c’est une albinos comme moi, je partirai avec elle dans la forêt et nous y vivrons ensemble.
- Dans les deux cas donc, tu proposes d’éloigner cet enfant de sa mère. En faisant cela, tu t’exposes toi-même à la mort.

Advint le jour de la naissance du treizième enfant. L’accouchement dura pendant vingt et une heures. L’enfant fut si blême que le roi crut qu’il était albinos et s’en inquiéta auprès de son officier d’ordonnance. Tout aussi inquiet que son royal monarque, cet officier prit sur lui d’envoyer une missive à Termodossa où il s’inquiétait auprès d’elle du risque que cet enfant puisse être une fille albinos.
Fidèle à sa distraction dont le caractère légendaire avait déjà commencé, Termodossa interpréta la missive, en imaginant que l’enfant était bien albinos. Elle entreprit donc d’enlever la petite fille et partit avec elle dans la forêt, comme il en avait été convenu.

Si elle était bien distraite, en revanche la donzelle avait préparé son plan. Elle avait prévu de se retrouver dans la forêt avec une troupe de rebelles, hommes et femmes, dirigés par un aventurier tout aussi distrait qu’elle, qui se faisait appelé Robin des quois. Et ma fois, je peux vous assurer, qu’ils ont formé un joli couple, tous les deux, pendant le temps où il a fallu éduquer la treizième fille qui, naturellement, autant vous l’avouer, n’était pas une albinos. Mais cela, vous l’aviez compris, à moins d’être distrait vous-même.

Folle de rage, la reine dépêcha dans tout son royaume des espions pour connaître le lieu de la retraite de sa fille Termodossa et de son treizième enfant dont elle savait bien qu’elle était une fille. Elle fit emprisonner le roi, comprenant qu’il avait participé à cet enlèvement. Par un triste sort, il fut enfermé dans le cabinet secret où avait été installé le cercueil.

Elle mena en vain quelques opérations guerrières contre les rebelles dans l’espoir de retrouver les deux jeunes femmes. Elle perdit beaucoup de ses amazones pendant les combats. En effet le destin des rebelles avait changé dès lors que les deux jeunes femmes étaient apparues dans leur horizon. En effet, l’enfant enlevé était devenu une grande et belle jeune femme à qui l’on enseigna les arts, les lettres, la musique et l’harmonie entre les femmes et les hommes. Sa beauté intellectuelle vibrait de concert avec sa beauté physique et fit qu’elle acquit un charisme auprès des femmes et des hommes de la forêt. A l’âge de 16 ans, elle prit tout naturellement la tête de la troupe des rebelles et prit le nom de Cassiopée.

Mais alors me direz-vous, que sont donc devenus Robin des quois et Termodossa ? Eh bien, pendant l’éducation de Cassiopée, l’un et l’autre se découvrirent et il en résulta un grand amour.
Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants.
Ami(e) lecteur, ne croyez pas vous en sortir à si bon compte. Non, non, le conte n’est pas fini. La fin, il faut que je vous la raconte. Je vous l’ai écrit, je crois, la distraction de Termodossa est devenue légendaire. Pour l’instant, elle n’est encore qu’éphémère. Et vous allez voir, les distractions conjuguées sont les plus extraordinaires.

Il advint un jour que l’officier d’ordonnance passa dans la forêt. Il apprit ainsi à Cassioppée, à Termodossa et à Robin l’emprisonnement du roi.

Termodossa s’adressa ainsi à l’officier :

- Où est donc emprisonné notre bon roi ?
- A l’endroit même où a été placé le cercueil du treizième enfant, Princesse.

Très émue, elle lui raconta tout ce qui s’était passé depuis qu’elle était partie dans la forêt avec celle qui était devenue Cassiopée.

Ils décidèrent tous alors de retourner au château pour délivrer le roi, dussent-ils le libérer en faisant le siège du château.
Lorsqu’ils arrivèrent au château, la reine était malade et les onze sœurs insuffisamment armées contre l’armée des rebelles demandèrent une trêve qui leur fut accordée.

Ce fut la sœur aînée Clonia, entourée de ses dix sœurs, qui les reçurent dans la salle du trône.

Ce fut Cassiopée, la première qui s’exprima :

- Je suis Cassiopée, la treizième fille d’Antiopé. Je suis aussi la chef des rebelles.
- Je suis Clonia, la première fille d’Antiopé, et donc ta sœur aînée.

Elles se mirent toutes à pleurer et s’embrassèrent avec une très grande tendresse.
Mais la reine au fond de son lit jurait encore après sa fille Termodossa et désirait toujours sa mort si sa fille ne lui était pas rendue.

Sa fille aînée Clonia se rend à son chevet et lui dit :

- Mère, me promets-tu que si tu retrouves ta fille cadette, tu n'intenteras pas à la vie de Termodossa.
- Pourquoi me dis-tu cela ?
- Me le promets-tu ?
- Je te le promets.
- Ta fille cadette, Cassiopée, est là.

Alors ils se réjouirent tous, et l'embrassèrent.

Ils vécurent toutes et tous au château. Pendant les mois qui suivirent, de nombreuses fêtes furent organisées pour honorer le retour de la fille cadette. Les tables resplendissaient de la présence de lièvres, de chevreuils, de pigeons et de légumes anciens. Ils étaient toutes et tous gourmets de plats fins et de tendresse partagée.

Dans l’euphorie des retrouvailles, la reine avait oublié le sortilège qu’elle avait jeté quelques jours après l’enlèvement de sa fille cadette – Après l’on s’étonnera que Termodossa fut distraite-. Le sortilège prévoyait que si l’on se réjouissait de la présence du treizième enfant en l’absence de la reine, au douzième banquet, toutes les princesses seraient transformées dans le dernier animal consommé.
Et ne voilà-t-il pas qu’au douzième banquet, toutes les princesses furent transformées en chevreuils, sauf Termodossa -Cela étant, d’après les témoins présents, les chevreuils consommés avaient été délicieux et bus avec un vin très tannique d’une région mystérieuse qui leur était inconnue ; qui se faisait appelée Bourgogne-. Eh oui, la reine en avait eu soupé de tous ces banquets et ne s’était pas présentée au douzième.

- Malheur à toi, lui dit une veille sorcière qui passait par là bien sûr – nous sommes dans un conte-. Tu aurais dû savoir dépasser tes indigestions et te présenter au douzième banquet.
- N’existe-t-il pas un moyen de les délivrer de ce sortilège ?
- Ta fille Termodossa et l’homme de sa vie devront se livrer à douze travaux de distraction. Il devra leur arriver les pires ennuis que puissent connaître des distraits et si, au douzième, je suis convaincue, alors leur forme originelle leur sera rendue. Mais tout cela devra se faire dans le silence absolu.

Ils étaient tant distraits l’un et l’autre qu’ils n’eurent aucune peine à passer les onze premiers travaux de distraction, comme par exemple se croiser et ne pas se reconnaître, ou oublier qu’il fallait une chaise pour s’asseoir mais aussi qu’il était impossible de traverser les glaces de la galerie des glaces du palais sans se faire du mal.
La douzième distraction s’imposa tout naturellement à eux. Par distraction, Termodossa et Robin des quois avaient omis d’officialiser leur mariage.
Furent donc célébrées les noces avec autant de pompe que de joie, quoique les mariés demeurassent dans le silence le plus absolu. Mais ils laissèrent échapper de grands sourires.
Mal leur en prit car le sortilège imposait également de ne pas sourire. Encore une distraction inacceptable me direz-vous de la part de la reine qui leur valut une condamnation à mort. N’étais-ce pas cher payer pour une distraction ?

La reine opta pour une mort devant un peloton d’exécution. Un peloton de onze cadets fut choisi pour assurer la sentence et abattre Termodossa et Robin.
Alors que le peloton allait exécuter la sentence, douze chevreuils entouraient les cadets. La reine n’avait pas souhaité assister à l'exécution et participait à un treizième banquet. Au moment du service des chevreuils sur les tables, les douze chevreuils redevinrent douze belles princesses. Et oui, la sorcière s’était trompée, par distraction sans doute. Ce n’était pas à l’issue de douze banquets mais de treize banquets que le sortilège devait se réaliser. Ce pays est vraiment un pays de distraits!

Termodossa et Robin purent à nouveau reparler, expliquèrent leur silence et racontèrent toute l’histoire.
Que faut-il retenir de cette fable? Sans doute qu’une distraction légendaire associée une philosophie de l’erreur peut être bénéfique aux progrès humains.
Veuillez me pardonner. Nous ne sommes pas dans une fable mais dans un conte.
Alors la reine comprit qu’il y avait mieux à gagner dans une harmonie entre les femmes et les hommes. Avec prudence, elle associa les hommes aux activités de gouvernement et aux activités militaires, tout en laissant aux femmes l’autorité suprême.
Et "ils vécurent désormais toutes et tous ensemble heureux et unis jusqu'à la mort."




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