Léo " A vendre..."

Date 04-08-2015 14:57:04 | Catégorie : Nouvelles confirmées


"Ma tante Bleuette avait déménagé.
Elle avait vendu son appartement parisien et acheté une modeste maison à Gamaches, une petite ville de la Somme.
La maison était ancienne, mais Bleuette avait gardé de l’argent pour le consacrer à d’importants travaux. Ma tante se faisait une joie d’avoir plus d’espace.
Elle pourrait à présent recevoir. Nous recevoir.
Paris lui était devenu insupportable.
Elle avait fait aménager une chambre pour héberger des enfants, et plus particulièrement, mes filles. Bleuette imaginait que nous viendrions lui rendre visite plus souvent maintenant qu’elle habitait seulement à quelques kilomètres de la mer.
Nous préférions la montagne.
Elle ne savait pas encore que je ruminais amèrement les confessions de sa sœur. Elle ignorait aussi que je tenais de ma mère, le rôle supposé qu’elle avait joué avant mon adoption.
Certes, sans doute n’avait-elle jamais menti, mais probablement n’avait-elle rien fait pour mettre en lumière la vérité. En voulant me garder près d’elle, Bleuette avait laissé entendre à qui le voulait bien, que sa sœur était la seule responsable de tout ce qui m’était arrivé. Jamais devant ma mère adoptive, Bleuette n’avait pu dire, que l’amant de sa sœur était le principal auteur de toutes les maltraitances que j’avais pu subir. Pour être sûr que je ne me détourne pas d’elle et que je ne décide pas un jour de retourner vers ma mère, Bleuette, égoïstement avait gardé le silence.
Je commençais par supposer que mon histoire sordide n’était que la conséquence d’une méprisable jalousie entre deux sœurs.
En juillet 2008, en famille, nous nous sommes rendus chez ma tante, dans sa nouvelle maison. Je la trouvais sombre. Après le déjeuner, j’ai décidé de prendre mon courage à deux mains. Les filles jouaient dans une pièce à côté.
— Je dois te dire que Marie a repris contact avec moi et que nous nous sommes revus il y a quelques semaines déjà, avais-je alors annoncé âprement à ma tante.
— Ah… C’est bien. Tu as le droit de faire de que tu veux, m’avait-elle alors répondu et laissant échapper une once d’embarras, ainsi qu’une légère grimace.
— Oui, je sais. Nous avons beaucoup parlé, m’étais-je alors empressé de répondre, avant d’ajouter dans la foulée. Elle m’a dit qu’elle ne m’avait jamais frappé ou même maltraité, mais qu’elle m’avait toujours aimé. Elle m’a assuré que c’était son compagnon de l’époque qui nous faisait du mal. Je n’arrive pas à la croire et ne sais plus quoi en penser…
Bleuette s’emporta.
— C’était une ordure, me répondit-elle. Je me souviens une fois, j’étais venue te chercher pour que tu passes quelques jours de vacances à Hautefeuille. Ta mère était encore je ne sais où. Elle t’avait laissé seul avec lui. Quand je t’ai récupéré, tu avais du mal à marcher, tu boitais même. Pourtant, tu ne pleurais pas et de peur, tu ne voulus rien me dire. Je t’ai conduis aux urgences. Ils ont découvert que sous les coups, ce salaud t’avait déboité une hanche. Mais ce n’était pas tout, il t’avait aussi brûlé le pénis avec un briquet…
La conversation se brisa.
Je ne m’étais pas préparé à la brutalité d’une telle réponse. Je sentis alors mon courage, tel un filet de sable, glisser entre mes doigts.
Bleuette s’en alla préparer un café dans la minuscule cuisine.
Je n’ai pas su rebondir et poser toutes les questions qui me brûlaient les lèvres.
Je venais de recevoir un uppercut.
Je n’avais aucun souvenir de ces nouveaux évènements qui violemment venaient s’ajouter à la liste de ce que j’avais récemment exhumés.
Tout le monde savait donc à l’époque ce que j’étais en train de vivre, livré aux mains de mon bourreau.
Mon grand père, ma tante, des voisins, ma propre mère, les gendarmes et même l’hôpital.
Comment était-il possible que mon calvaire puisse avoir duré si longtemps ?
Je n’ai jamais su affronter Bleuette une seconde fois.
Je manquais évidemment de courage. J’avais aussi peur d’avoir à découvrir d’autres horreurs. C’était sa manière à elle de me tenir à distance, de se protéger, mais aussi, d’occulter la vérité.
Plus encore, mais humblement, je crois que quelque chose de noble en moi ne me permettait pas de la mettre au pied du mur. Je ne me sentais pas la force de la faire souffrir. Dans cette histoire, tout le monde avait eu son lot de tourments. Je n’avais pas l’envie de l’entendre me dire qu’elle aurait pu réagir autrement et à l’époque, probablement changer le cours des choses.
Il était définitivement trop tard.
Je devais accepter, tentais de pardonner, et surtout, vouer mon énergie à mettre à l’écart mes ressentiments, qui je crois, m’empêcheraient d’avancer.

Les mois qui suivraient, j’allais devoir m’efforcer de donner une chance à ma mère biologique qui s’acharnerait à vouloir tisser quelques liens avec moi.
Aussi, je laisserai croire à mes parents adoptifs que nos liens chimériques peu à peu se remailleraient. Enfin, pour finir, je ne dirai pas à ma tante que je laisserai les nôtres doucement se déliter, un peu à la manière dont un arbre confie aux vents, ses feuilles moribondes.
Ma femme, mes filles, ma sœur, mes amis et mon chien, seraient à présent mes seuls vrais liens.

En vérité, j’attendais la dernière semaine d’aout.
Nous avions réservé un grand mobil home en Dordogne. Quelques jours avant notre départ, nous proposâmes à Marie-Hélène et Marc de partir avec nous.
Elle était hésitante. Marie-Hélène avait encore du travail à préparer. Nous n’étions plus qu’à quelques jours de la rentrée scolaire. Marc lui était très enthousiaste.
Au final, il partit seul avec nous. Nous passâmes un excellent séjour, dans des grottes, avec des singes ou des rapaces. De merveilleuses vacances.
Comment, à ce moment précis, aurai-je pu imaginer que l’histoire de nos meilleurs amis prenait l’eau et surtout, bientôt, qu’une peine immense submergerait mon cœur ?
•••

Je ne sais plus exactement à quel moment précis nous avons compris qu’ils allaient se séparer. Ce fut un véritable choc. Ils étaient pour moi comme des modèles, des exemples en matière d’éducation, mais aussi de générosité ou de gentillesse.
J’aimais tout de la manière dont ils semblaient appréhender le monde et la vie.
Intelligents et cultivés, plus matures, sportifs et proches de la nature, je rêvais secrètement de leur ressembler et de transmettre à mes filles, les valeurs que je savais les leurs. Je les admirais tant.
La sensibilité de Marie-Hélène, l’enthousiasme de Marc même pour les petites choses.
En silence, je prenais appui sur eux.
Au cas où, je les savais là pour nous, comme nous étions là pour eux.
Parain et marraine de mes filles. Indissociables dans mon cœur.
J’avais appris à leur côté ce qu’était une famille. Souvent, je les regardais être de bons parents.
Leur maison était presque face à la notre mais pour autant, nous n’avions pas besoin de nous voir tous les jours pour effleurer nos amitiés si fortes.
Il me fallut des semaines pour réaliser pleinement et enfin accepter l’idée que leurs chemins allaient se séparer, irrémédiablement.
J’imaginais que je ne trouverais jamais la force d’affronter ce cauchemar.
Il m’arrivait même d’être égoïste et de ne penser qu’à moi.
Plus jamais nous ne revivrions de bons moments tels que ceux que nous avions partagés ces dernières années. Je repensais aux baptêmes des filles qui avaient duré presque trois jours, inoubliables, à nos balades de fin d’été dans les vergers où nous volions quelques pommes, de ces tasses de chocolat chaud partagées en hiver.
J’ai pleuré.
Ils allaient partir. Inéluctablement, quitter ma vie et nous laisser là, dans la rue de l’Essart Mador, avec nos souvenirs et ma peine.
J’ai alors commencé à penser que notre maison était trop petite.
Sophie se laissait dire que le quartier était un peu trop isolé, et que plus tard, nos filles, en grandissant, se sentiraient probablement désespérément seules.
A part nous, il n’y resterait que des vieux.
Alors, j’ai commencé aussi à ne plus aimer ma rue, ni même la forêt qui la bordait. Nous nous mentions à nous-mêmes et je crois, voulions tourner cette page, heureuse, mais révolue.
La vue de la fenêtre de notre chambre ne cesserait chaque matin de me rappeler comme il était agréable jadis de vivre ici, entourés de nos amis.
Je ne pouvais m’y résoudre.
En février 2009, nous avons mis notre maison en vente.
Et puis un soir de mars, Marie-Hélène est partie.
Marc est resté quelques temps.
Leurs deux enfants s’étaient déjà envolés. Ils savaient.

Nous avions soi-disant choisi la plus mauvaise période pour vendre notre maison. Il était question d’une crise mondiale bancaire et financière.
Cela ne nous avait pas effrayé ou plutôt, n’étions nous pas très au fait en matière d’économie mondiale. Nous avions même décidé de faire construire une nouvelle maison.
Il y avait ce village avec ce drôle de nom. Touffreville.
Dés mon arrivée dans la région je l’avais repéré, puis adoré. Enserré dans une vallée, comme coincé entre d’interminables plaines et un segment de la grande forêt de Lyons, je lui trouvais depuis toujours un charme évident.
Nous avons donc une nouvelle fois acheté un terrain à bâtir.
Après quelques péripéties, nous avons fini par vendre la maison, au mois d’aout.
En attendant la construction de notre nouvelle demeure, plus grande, nous avions emménagé provisoirement chez la mère de Sophie.
Tous ces nouveaux projets m’occupaient l’esprit. J’étais heureux, malgré tout.
Il y avait aussi mon nouveau travail à l’I.M.E qui me plaisait tant. Mon poste était à réinventer. Assez rapidement, j’avais pu faire la connaissance de quelques collègues qui devinrent de très bons amis. Les jeunes qui fréquentaient l’institut étaient très agréables. Je m’évertuais comme je le pouvais à leur offrir un peu de bonheur.
J’avais compris depuis longtemps que le bonheur n’était qu’un paradoxe auquel peu de gens ne pouvaient réellement accéder. J’en ai tant vu s’obstiner à vouloir le posséder, à tenter de ne le garder que pour eux.
Moi, j’imagine, que ce n’est qu’en le donnant, que l’on y goûte pleinement.

Les filles encore petites nous demandaient toujours beaucoup d’attention.
La construction de la maison me remplissait. Je réalisais que mon bien-être était souvent le plus complet quand la vie semblait être sur le point de me déborder, tumultueuse et bien remplie. Ma formation d’éducateur s’était terminée et j’avais cessé mes activités de pompier volontaire. J’avais eu peur du vide.
J’attendais à présent impatiemment les clefs de notre nouvelle maison. Il y aurait bientôt tous les travaux d’aménagement extérieurs à réaliser, mais aussi, quelques menus ouvrages à l’intérieur de notre nouveau nid..."




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