" Léo " Une légère déprime...

Date 18-08-2015 22:43:53 | Catégorie : Nouvelles confirmées


La vie s’écoulait lentement à Touffreville.
En apparence, il ne s’y passait rien, ou presque.
Un soir, alors que je jardinais un peu, un voisin vint à se rapprocher de son grillage et m’interpella :
— Bonsoir ! S’exclama-t- il.
J’avais relevé le nez en priant presque pour que cette interjection ne me soit pas adressée. Et merde, m’étais-je dit. Il me regardait. Que pouvait-il bien me vouloir celui-là ?
— Bonsoir, m’étais-je alors efforcé de répondre avec l’un de mes sourires circonstanciels.
— Il me reste des pavés de route dont je n’ai plus l’utilité. S’ils t’intéressent, je te les donne, s’écria-t-il d’un air enjoué.
— Euh… bah oui, je veux bien… c’est gentil. Merci, avais-je alors répondu timidement.
Je me suis tout de suite demandé ce que pouvait bien cacher la gentillesse de ce type là. C’était louche. Dans ce monde où si peu se donne, je me suis dit qu’il devait certainement avoir un léger problème.
S’était-il échappé de Disneyland ou, de je ne sais quel autre pays enchanteur ou merveilleux, où l’on donne des choses et rend des services à des inconnus ?
Assurément, nous allions devoir nous méfier de ce voisin.
Nous décidâmes alors de nous revoir le lendemain pour organiser le convoi des gros cailloux. Heureusement, il n’y avait pas encore de clôture autour de notre maison…
Les pavés étaient certes très beaux et allaient m’être d’une grande utilité pour délimiter mes carrés de jardin. Pourtant, lorsqu’il est reparti, je me suis dit que j’aurai mieux fait de les refuser.
Je ne voulais pas avoir d’emmerdes, et par-dessus tout, de nouveaux amis.
J’avais déjà eu les deux et trop souvent, je n’avais su pressentir l’arrivée des premiers, et moins encore, la perte des seconds.
Pourtant, comme convenu, Baptiste est revenu le lendemain. Il voulait à présent m’aider à transporter les pavés jusqu’à chez nous. Il était incroyable. Débordant de vie et de générosité. Cela devait être sa nature. Probablement inadaptée à notre époque et à la vie moderne.
— Non, non merci, m’étais-je alors empressé. C’est déjà bien gentil, je vais me débrouiller. Merci encore.
Ce type devait être un peu dingue, et moi, excessivement méfiant ou con.
Rarement au-dehors, nous n’apercevions sa femme. Sans doute était-elle un peu plus réservée, ou même alors prudente. Cela me rassurait un peu. Je restais sur mes gardes et bien malgré moi, asocial et fermé.
Baptiste ne se découragea pourtant pas. Il revint plusieurs fois. Toujours aussi souriant et généreux. Me trouvait-il sympathique ? Je craignais en fait qu’il ne trouve le monde entier sympathique.
Un soir, nous avons fini par prendre un apéritif ensemble et tout naturellement, nos familles se sont rapprochées. Petit à petit, de forts liens se sont établis.
La vie à Touffreville continuait de s’écouler lentement, mais plus plaisamment encore.
•••

Janvier 2014.
Les vœux encore, et l’inévitable excursion chez ma tante Bleuette.
Froide. Je l’avais malgré tout invitée aux grandes communions des filles qui auraient lieu à la fin du printemps. Elle s’était adoucie, puis avait accepté. Nous irions la chercher à la gare de Rouen et elle viendrait passer quelques jours en Normandie, comme elle le faisait auparavant, alors qu’elle habitait encore à Paris.
Ce jour là elle m’apprit aussi qu’elle revoyait ma mère depuis peu. J’avais eu du mal à cacher mon étonnement. Chacune leur tour, je les avais tant entendu dire du mal l’une de l’autre. Toutes ces années de guerre et de jalousies qui venaient de s’écouler étaient-elles enfin sur le point de se suturer ?
Je me souviens lui avoir répondu que j’étais content pour elle et qu’après tout, si le temps avait fini par faire une œuvre bienfaisante, en cicatrisant de vieilles plaies, je ne pouvais que m’en réjouir.
Il avait ainsi fallut que ma mère me retrouve pour qu’enfin les deux sœurs se réconcilient. Allait-il être possible que l’on puisse un jour se revoir ensemble, tous les trois, et que toute la vérité éclate enfin ?
Je ne l’attendais plus. L’an prochain, j’aurai quarante ans.
L’idée me hantait à la manière dont un petit nuage noir chargé de pluie semblait me pourchasser et se figer pernicieusement au-dessus de ma tête.
Je détestais plus que tout mon impuissance face au temps qui sinistrement s’écoulait. N’était-ce pas là le sort plus prononcé de ceux qui jamais n’obtiendront la vie dont ils avaient rêvé ?
Aussi, je ressassais je crois, les quarante ans de mon père. La gifle qu’il m’avait donnée gratuitement le soir de la fête. Son désamour que j’avais perçu pour la première fois, mais aussi ses paroles qui ne cessaient de répéter qu’il ne s’était jamais senti aussi bien que le jour où il avait eu quarante ans.
Toute ma vie j’avais concentré mes efforts pour ne jamais lui ressembler.
A l’évidence, je serai au plus mal pour mon prochain anniversaire…

Quelques semaines plus tard, Marie et Daniel vinrent à la maison pour un déjeuner dominical. Ma mère me raconta très vite son bonheur d’avoir enfin retrouvé sa grande sœur. Elle était à nouveau volubile. Je la trouvai indécente au point même qu’elle m’insupporta.
Avait-elle à l’esprit, que contrairement à elle, jamais plus je n’aurai la chance de retrouver mon petit frère et que pour moi, en définitive, rien ne saurait un jour vraiment, répondre à ce chagrin ?
Quand admettrait-elle enfin, qu’elle-même était morte dans le cœur de son fil aîné ?
Nous passâmes au salon après le repas pour prendre un café.
Ma mère continua son monologue. Alors, sur le canapé, je me suis endormi.
Plus d’une heure sans doute.
Marie et Daniel repartirent en fin d’après-midi, sans doute un peu froissés.
Cela m’était égal, je n’en pouvais plus de faire semblant.
Plus jamais elle ne me téléphona.
Aussi, je ne la revis pas. Sans doute avait-elle compris.

Les communions étaient prévues pour le début du mois de juin.
Alors, début mai, j’ai téléphoné à Bleuette pour prévoir son séjour chez nous.
Poliment, je m’enquis de sa santé. Très vite elle me reprocha à demi-mot de ne pas prendre assez souvent de ses nouvelles. Après un hiver très difficile, elle n’était soi-disant pas très en forme. Aussi, son petit chien, déjà vieux, était malade, peut-être mourant. Trop fatiguée, elle m’annonça qu’elle n’avait plus l’intention de participer aux festivités. Vexé à mon tour, j’avais alors coupé court à la conversation. C’était son choix. Elle ne viendrait pas aux communions et c’était tout.
Flora non plus d’ailleurs, cela faisait bien trop de route pour un petit weekend.
Je le comprenais. Aussi, mes parents ne viendraient que si l’état de santé d’Yves (qui s’était encore une nouvelle fois plus fortement dégradé) le permettait.
Je serai donc seul pour l’événement, sans aucun autre membre de ma famille.
D’ailleurs, il me sauta soudainement au visage que je n’en avais plus depuis longtemps. Depuis toujours peut-être. Probablement vivais-je jusque là de telle sorte à l’oublier ? J’allais une fois de plus me réconforter comme je le pourrais. La famille de ma femme serait présente comme toujours, mes amis aussi.
Quelques jours avant les communions, Bleuette envoya malgré tout un chèque pour chacune des filles. Je n’ai pas eu le cœur à l’appeler pour la remercier. Le jour venu, je prendrais une photographie des communiantes avec mon téléphone portable et je lui enverrai par le biais d’un texto. J’y joindrai simplement un message de remerciement et l’affaire serait classée.
Après tout, je ne laisserai pas ce léger désagrément me déstabiliser.
Bien plus que quiconque, j’étais solide. J’en avais surmonté tant d’autres.
Hélas, au-dessus de ma tête, je n’avais pas vu grandir ce petit nuage noir, qui bientôt prendrait plaisir à m’engloutir.
Le jour des communions, je fus un fantôme, tout juste une ombre de moi-même.

•••


Je ressentis bientôt comme une petite crise existentielle, une légère déprime tout au plus. Je ne m’inquiétais pas. J’avais l’habitude de m’accorder régulièrement ces caprices aériens. Qui mieux que moi pouvait s’octroyer de temps à autre, un coup de cafard, un brin de mélancolie, ou même, un petit instant de spleen ?
Je supposais en moi depuis longtemps quelque chose de contrarié, de raté même, d’artistique peut-être. Il me suffirait une fois de plus d’écrire un ou deux poèmes et de laisser filer mes tourments. De ces moments là, je ne connaissais que l’écriture pour rasséréner mes heures.
Mes filles avaient grandi. Déjà des préadolescentes qui tout naturellement se détournaient un peu de moi. Sophie passait de nombreuses soirées à la mairie. Elle était devenue conseillère municipale en avril dernier.
Peu à peu une solitude, désapprise, me retomba dessus, tel un vide sidéral à l’intérieur de moi. Je savais que les personnes brisées comme moi restaient à jamais perméables. Dans leurs cœurs, rien ne s’amassait vraiment. Elles semblaient contenir ou retenir si peu, qu’elles devaient se remplir continuellement.
C’était un chantier permanent. Usant.
Et puis le mois de juin est arrivé. Nos voisins devenus des amis commencèrent d’importants travaux. L’aménagement d’un étage.
Un soir, alors que Baptiste avait commencé seul à travailler sous le toit de sa maison, Sophie me sortit brutalement de ma léthargie.
— Peut-être devrais-tu lui proposer ton aide, je crois que Baptiste a commencé ses travaux et qu’il est seul ?
— Tu penses vraiment qu’il a besoin d’une personne comme moi dans les pattes !? Je ne sais rien faire, et puis tu sais, il est bien entouré, lui avais-je alors répondu de manière franchement désagréable.
— On ne sait jamais, tu peux au moins lui proposer, me répondit Sophie.
Baptiste était tout le contraire de moi. Ce type parlait à tout le monde. Il était généreux et tout semblait lui réussir. Il était un « gars de chantier » comme il aimait à le rappeler souvent.
Solide, inépuisable, probablement hyperactif. Il travaillait parfois jusqu’à la rupture, jusqu’à ce que son corps bientôt ne le lâche ou que la fatigue ne soit sur le point de le faire dangereusement ployer. Le travail semblait être sa seule raison d’être, au point bientôt que je me demandai quelle pouvait-être sa propre blessure, celle qu’il cherchait à combler irrémédiablement …
J’y suis allé une première fois. Il a accepté mon aide. Sûrement une conséquence de l’amitié. J’étais surpris.
Bizarrement, je m’y suis senti revivre.
Moi, le rêveur oisif, poète à ses heures, jardinier du dimanche, un brin désarmé ou paumé, je cru toucher des qualités que j’admirais tant chez mon voisin, mon ami.
Peut-être était-ce une virilité qui parfois je pensais me faisait défaut.
J’avais oublié ce qu’était de travailler avec ses mains. La pénibilité. Ils étaient déjà loin mes stages dans le milieu de l’horticulture.
Ainsi je cru réveiller mon corps et à la fois, endormir ma tête. Comme pour m’étourdir, je me sentis prêt à me donner tout entier à ces travaux.
J’allais être utile, entouré, valorisé. Sans doute ces travaux allaient-ils me remplir d’affections, de reconnaissance, ou même de gravats. Après tout, cela m’était égal.
Un vide s’était emparé de moi.
J’y suis retourné presque tous les jours, de l’aube au crépuscule, la semaine, les weekends. Dans une formidable ambiance, je passais de merveilleux moments, entre une bière et un casse-croute, au gré des gens qui, de temps à autre, donnaient un coup de main. Le corps en mouvement, je m’imaginais être à nouveau en vie
Et puis, le 25 juin est arrivé. L’anniversaire de Bleuette.
J’ai téléphoné.
— Et bien, je ne sais pas ce qui t’arrive en ce moment, mais tu penses souvent à moi, me lança-t-elle d’un ton glacial.
— Oui, je dois t’avouer que je me surprends moi-même, voilà deux années de suite que je n’oublie pas ton anniversaire, c’est un exploit, avais-je alors tenté avec humour, pour désamorcer ce qui me semblait être les préludes d’un conflit.
— Tu n’as pas reçu les chèques que j’ai envoyé pour la communion de tes filles, me cingla-t-elle d’un ton amer ?
— Si, d’ailleurs je t’ai envoyé un message de remerciement, avec une photo. Tu ne l’as pas reçu, m’étonnais-je alors?
— Non, me répondit-elle sèchement pour couper court à ce premier échange.
— Ah ? Je vais le renvoyer. Et sinon, comment vas-tu, rebondis-je alors ?
— Mal. D’ailleurs, heureusement que j’ai beaucoup d’amis bienveillants à mon égard, riposta-t-elle.
Cette fois, s’en fut trop. Mon sang ne fit qu’un tour. Elle voulait la guerre.
J’allais la combler.
— Comme je te comprends, lui répondis-je d’une voix faussement compréhensive. Ce n’est pas à moi que tu vas expliquer l’importance de l’amitié. Dans ma vie, à défaut d’une famille, je n’ai souvent eu que des amis fiables et loyaux. Je te souhaite d’ailleurs d’en avoir d’aussi généreux et attentionnés que les miens, ajoutai-je en gardant un calme que je ne soupçonnais pas avoir en moi.
Sur ces belles paroles ma tante, je vais te laisser. Prends bien soin de toi, et surtout de tes amitiés. La prochaine fois que tu voudras me donner de tes nouvelles, ou ne sait-on jamais, prendre des miennes, tu connais évidemment mon numéro. J’attendrai ton appel. A bientôt peut-être, ajoutai-je ironiquement.
Elle raccrocha.
Pour toujours.
Je me suis alors assis dans mon jardin, la tête entre mes mains. Je tentai de digérer au mieux les derniers remous de ma vie. Ainsi, ma mère reparlait depuis peu à sa sœur. Alors que je n’avais plus souhaité entretenir de liens avec elle, ma tante venait subitement de m’abandonner à son tour.
Il était évident que notre histoire à trois relevait de l’impossible. Une nouvelle fois, le nœud de toute ma vie était là, sous mes yeux, et se résumait au déchirement de ces deux sœurs.
Durant presque quarante ans, j’avais été l’objet de toutes leurs jalousies.
Bleuette n’avait jamais eu d’enfant. Marie avait perdu ses deux garçons.
Au fond, plus rien à présent ne les séparait vraiment.
Sans doute déjà s’étaient-elles pardonnées ? Loin de moi, à jamais.
Du moins, je l’espérais.
Je sentis une première goutte de pluie s’écraser sur mes bras nus.
Le mauvais temps approchait.
Peut-être s’agissait-il d’un orage…




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