Léo "Le chemin des mots"

Date 20-08-2015 22:34:12 | Catégorie : Nouvelles confirmées


"Les travaux avançaient.
J’étais comme subjugué par cet été d’actions et de courage, comme obnubilé par ces jours de promiscuité, presque insensés, bientôt irrationnels.
Sans m’en rendre compte, petit à petit, j’abandonnais ma vie. Je désertai mon jardin. J’ignorai d’autres amis et tous mes liens d’avant. Comme sous l’influence d’une drogue émotionnelle, plus rien ne trouvait subitement grâce à mes yeux, et surtout pas ma propre vie. J’étais en train de perdre toute vision.
Quelque chose que je ne comprenais pas, ne fonctionnait plus.
Je n’ai rien osé dire. A personne.
En août, les gros travaux prirent fin. L’inertie me gagna. La mélancolie aussi.
Je perdis bientôt le sommeil. Je m’étais alors dit qu’en m’agitant un peu, j’allais probablement incessamment sous peu retrouver un semblant de moral.
Déraisonnablement, je me suis mis au footing. J’avais trouvé une autre drogue.
J’ai couru. Un peu. Et puis souvent. De plus en plus loin, et même, de plus en plus vite.
A bout de forces, il m’arrivai même d’en vomir. D’en pleurer souvent. Le soir.
Je ne suis pourtant jamais parvenu à semer ma béance, ou plutôt cet énorme nuage omniprésent, bien ancré désormais au-dessus de ma tête.
Pour quelques heures seulement, je parvenais à m’échapper à moi-même.
Hélas, même septembre me rattrapa.
Je ressentis comme un choc. Nos relations amicales avec Baptiste et sa famille, que j’avais excessivement investies, naturellement s’estompaient. Le cours normal des choses semblait reprendre.
Fanny et Lola rentrèrent au collège. En sixième. J’étais anxieux. Etaient-elles assez armées ? A force de les regarder sautiller pas à pas, mais plus aisément encore, je les voyais redoutablement préparer un premier envol.
Qu’allais-je donc devenir ? N’étais-je plus qu’un papa, bientôt esseulé ?
Je repris le travail. Absent. Comme inhabité. Presque mort.
Le vide douloureux à l’intérieur de moi me revint décuplé, si violent.
Après l’été, chacun avait repris, reposé, le chemin de ses activités.
Comme débarqué, j’étais resté sur le trottoir, désespérément seul. J’étais redevenu ce petit garçon adopté et malgré tout perdu, qui avait vécu ses premières années dans une misère que personne n’avait su imaginer. Comme avant, je redoutais chacune de mes nuits effroyables et notre lit. Je le voyais maintenant tel un coffre aux jouets cassés, recelant sans fin mes lugubres insomnies.
Le reste du temps, je me sentais inutile et totalement épuisé.
A la mi-septembre, je me suis décidé à consulter un médecin. J’avais pensé que quelques somnifères, même temporairement résoudraient mes ennuis.
Il me diagnostiqua une dépression. Etait-ce une blague ?
S’avait-il au moins ce que je pensais des gens qui soi-disant faisaient des dépressions ? Je les trouvais faibles et lâches.
Pour ceux-là, je réservais secrètement des jugements à l’emporte pièce, sans aucune nuance. Que comprenais-je de cette extinction de soi qui soudain semblait vouloir me déshumaniser ? Que savais-je de cette indifférence devant ma propre mort, qui peu à peu parvenait à me détacher de tout ?
Depuis toujours, comme je l’avais pu, je m’étais construit dans le culte de la force, entretenant l’illusion simpliste qu’il était toujours possible de garder le contrôle de soi et peut-être de tout. Mais quelle était donc cette panne totale, ce trajet tous feux éteints dans le désert, sans goût, ni saveur, sans peur et sans vie ?
Avec un peu de volonté n’était-il pas possible de vaincre ses désarrois les plus hostiles ? Quelle sottise !
Le médecin m’expliqua cette maladie capable d’infliger des souffrances psychiques dangereuses et très souvent préjudiciables.
Je compris alors que j’avais peu à peu perdu conscience de moi-même et que dans mon marasme, j’avais oublié de penser à ceux que j’aimais tant, et qui m’aimaient encore, malgré tout.
D’ailleurs dans mon brouillard, ils n’existaient simplement plus.
Je m’étais lentement laissé aller à n’importe quoi, à ma peine bien sûr, et plus encore à celle que je me donnais tant pour sembler ne jamais en avoir.
Je saisis ce qu’était ma dépression. J’avais en quelque sorte, bien malgré moi, demandé au monde entier de m’abandonner. Et voilà ce que le monde avait fait. Sans rien comprendre, il m’avait abandonné.
Pourtant, une personne décida de me ramasser.
Il s’agissait d’un ami, un collègue aussi. Anthony. Il n’était pas rancunier.
Plus qu’un autre, je l’avais durant mon effondrement, sans aucun égard, lourdement écarté.

•••


Un peu à la manière d’un tsunami, la maladie continua lourdement ses ravages.
Telles des gouttes d’encre noire plongées dans un verre d’eau, mes idées ténébreuses se propageaient encore dans mon esprit, au point bientôt d’altérer toutes les couleurs de ma vie, et d’y donner ainsi, conjointement, le goût putréfié de la mort.
Comme tombé dans un lac gelé et à présent coincé sous une épaisse cloison de glace, impassible et résigné, j’observais la vie qui prospérait au-dessus de ma tête. Les autres semblaient me voir, mais ne percevaient pas ma détresse. Alors qu’ils continuaient à s’agiter bruyamment autour de moi, je n’entendais qu’un brouhaha. Je n’étais plus là. Je m’étais détaché du monde persuadé maintenant que j’étais en train de mourir, sans que personne ne le comprenne. J’avais odieusement rejeté tous mes amis. Une part de moi voulait les préserver de mon état et surtout, de mes incertitudes à venir.
Je souhaitais que le monde entier me déteste, pour qu’il me soit plus facile de le quitter. Cette pernicieuse sournoiserie n’était autre que l’essence même de la dépression. Je m’éloignais encore. En conséquence de ma déroute, comme une fuite, beaucoup de mes proches se détournèrent naturellement de moi, alors que, paradoxalement, je n’avais jamais eu autant besoin d’être entouré. En les repoussant comme je l’avais fait, si brutalement, je les avais blessés. Ils m’en voulaient et je le comprenais.
J’espérais secrètement en vain que quelqu’un me secoue, me gifle peut-être, ou même, me réanime et me ramène à la vie.
Pourtant, il était déjà tard et je les avais perdus.
Seul Anthony ne sut réellement se détourner de moi. Je ne sais pourquoi et comment, il s’était accroché. Ce n’était pas faute d’avoir tout mis en œuvre pour le décourager. Je craignis qu’il soit lui-même déjà passé non loin de cet antre de glaces.
Je ne sais plus réellement si je suis allé vers lui ou s’il est venu à moi.
Irrémédiablement, cela n’avait pas d’importance. Il entendit mon affliction.
Sans cesse, je lui répétai les mêmes maux et malgré tout, toujours, il m’écouta.
Le jour, au travail et à l’écart, il me lançait des cordes que je parvenais à saisir tant bien que mal.
Parfois même, en toute discrétion et modestie, pour me soulager un peu, il prenait une part de mon travail.
Le soir, par le biais d’internet, il me maintenait la tête hors de l’eau.
Je lui parlais encore. Il m’écoutait vraiment. Il ne le savait pas. Probablement me maintenait-il en vie. Même si je sais que c’était inutile, je crois ne jamais l’avoir remercié. Tout comme moi, sans doute savait-il que les belles et fortes amitiés se passent aisément de politesses évidées et de discours inféconds. Simplement toujours, elles souffrent le silence et se sustentent de ce qu’ensemble elles supportent.

C’était à présent le début de l’automne. Depuis des mois, déjà au fond de moi.
Morne saison. J’avais voulu téléphoner à ma sœur pour son anniversaire. J’étais certain d’avoir gardé en moi assez de forces pour l’appeler et feindre alors mon véritable état. Je m’étais trompé. Lorsqu’elle décrocha, aucun son ne pu vraiment sortir de ma bouche. Je me disais que ces mots que je lui avais réservés étaient peut-être mes derniers. Alors, mes sanglots m’étouffèrent.
Ainsi, je me sentis mourir en octobre, puis encore en novembre.
La mort je crois, commençait à m’envisager sérieusement.
J’eus seulement la chance qu’elle ne sache pas comment s’y prendre. Une part de moi la désirait assurément, mais ne savait heureusement pas comment l’étreindre.
Une fois seulement, au volant de ma voiture, et sans préméditation de ma part, sa petite voix me susurra d’accélérer et de foncer dans le décor.
Ma souffrance pouvait donc s’arrêter là. Le reste aussi d’ailleurs.
Rien que l’idée me terrifia et me fit enfin réagir.
Vagabonde, la mort était ainsi possible. A l’évidence, je n’étais plus celui que j’avais façonné. Je n’étais soudainement plus aussi l’homme que rien n’avait pu vraiment atteindre jusqu’alors. J’étais désormais vulnérable et peut-être devenu un peu moins entier, et donc, finalement, plus humain.
Je pris la sage et difficile décision de prendre un rendez-vous avec un autre médecin, un spécialiste, un psychiatre.
J’étais malade, et de la dépression, j’étais prêt aussi à apprendre et combattre la honte. Presque nu ou sans épiderme, l’âme lépreuse, j’eus envie de disparaître.
Tout commença par un arrêt de travail. Quinze jours. Puis des médicaments.
Alors chaque nuit un sommeil artificiel m’empoigna et m’apaisa enfin quelque peu. Pour faire passer le temps, je lu tous les articles que je pus trouver ayant trait à ma maladie. Beaucoup d’entre eux formulaient qu’il fallait trouver un projet et s’y atteler à chaque fois que de dangereuses pensées parvenaient.
J’ai cherché quelques jours.
Puis soudain comme un souffle évident, ou même un embrasement, l’idée me saisit.
J’allais redécouvrir tous les poèmes que j’avais écrit ces vingt dernières années.
Je les réécrirai, les réinventerai un peu, les classerai aussi, et après, les proposerai à quelques maisons d’édition. J’y passerai tous mes temps morts.
Je venais de choisir, j’allais vivre.
Pour guérir et m’étayer un peu, pas à pas et posément, résolument, j’emprunterai, comme je savais le faire, le chemin des mots.




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