Une idée de l'infini

Date 19-09-2015 09:50:00 | Catégorie : Nouvelles confirmées


Une idée de l'infini


L’Infini éteignit la télévision. Il se dit qu’il avait bien travaillé, surtout à Paris. Il avait porté ses efforts sur le métro, les gares et le RER, en insistant sur les périodes de vacances et la rentrée scolaire. Tout le monde le voyait mais personne ne savait réellement à qui il avait à faire.

L’Infini se versa une rasade de son nectar favori. Il pensa de nouveau à ses derniers exploits et se félicita d’avoir si bien choisi ses hérauts, de braves gars anonymes et banals mais dotés d’une mauvaise foi à toute épreuve.

L’Infini se souvint d’un matin de juillet : les congés payés démarraient en douceur, Paris se réveillait dans la moiteur matinale de l’été et ses habitants se voyaient déjà à la plage avec un canotier sur la tête et une boisson fraîche à la main. L’Infini avait d’abord retardé une rame puis l’avait bloquée entre les stations de la Rue de Reuilly et de la Gare de Lyon, en invoquant le malaise d’un passager. Les nombreux usagers s’étaient alors énervés, coincés dans leur barquette en fer telles de vulgaires sardines à l’huile marinant dans leur jus. D’un mot à un autre puis d’une bordée d’injures, la sauce était devenue une acre mayonnaise : L’Infini avait réussi à provoquer un mouvement social sur l’intégralité de la ligne.

L’Infini continua à piocher dans ses souvenirs récents. Il se marra en imaginant le vacancier entêté qui avait décidé de conjurer le sort en sortant du wagon et en marchant ses valises à la main jusqu’à la gare ferroviaire, pour prendre un train à grande vitesse en direction du soleil. L’Infini avait d’abord planté des militants de la centrale syndicale à l’entrée du bâtiment, puis détraqué les machines à composter et enfin annulé le départ des trains pour la Côte d’Azur. De nouveau, tout le monde était monté sur ses grands chevaux, provoquant des échauffourées entre les esprits en fusion à cause d’une matinée de galère passée dans les transports en commun parisiens ou dans les bouchons du périphérique francilien. Cela avait duré des heures et personne n’avait pu expliquer le pourquoi d’une journée aussi cauchemardesque.

L’infini trinqua à ses compagnons de route. Son héraut favori était le bon père de famille, durement exploité par la société et injustement spolié par les gouvernements de droite et de gauche. Il invoquait des tas d’excuses pour motiver ses forfaits. L’opinion publique l’excusait car il fallait rester solidaire entre hommes et femmes de la rue, du moins selon les journalistes et les sondages d’opinion.

L’infini ricana au souvenir de ses adversaires vaincus. Les sauveurs de la force publique l’avait combattu, chacun à sa façon, et selon l’air du temps, des principes idéologiques ou de l’âge du capitaine.

Le petit énervé, un gars en talonnettes et aux montres à cent mille euros, avait employé la méthode dure. « Il faut travailler plus pour gagner plus ! » avait-il scandé devant des milliers de cerveaux disponibles pour acheter ses belles promesses. Il n’avait pas compris, qu’en agissant de la sorte, il dispersait l’Infini et le rendait quantique. Le résultat s’avérait pire que le symptôme initial. La société rentrait dans une autre dimension, celle de l’infiniment grand : il n’existait plus de limite, même dans la théorie des cordes.

L’ancien gros lard à lunettes, un homme plus ordinaire que normal, avait choisi la méthode douce. « Le changement c’est maintenant ! » avait-il clamé devant une foule en délire, prête à hocher du bonnet pour changer de crémier et revenir au beurre demi-sel. Il n’avait pas mesuré les effets d’une telle stratégie, qui contractait l’Infini, le rendant alors relativiste. La société passait dans le domaine de l’infiniment petit, celui où les citoyens, toujours contents de trouver plus mal lotis qu’eux, devenaient des roitelets au royaume des nains.

Au lieu de régler le problème, les deux super-héros de fortune, chacun avec son style, n’avaient réussi qu’à le déplacer d’une dimension à une autre.

L’Infini scruta l’horizon en quête de nouveaux opposants. Un nouveau joueur semblait se détacher de la masse polymorphe des arracheurs de dents, avec une tendance à brûler de la terre et à déterrer de vieux cadavres inhumés dans la mémoire collective.

La grande déménageuse, une blonde à la voix rauque et au verbe d’antan, croyait naïvement le battre à son propre jeu. Elle jouait sur les particules les plus simples avec un discours réducteur, trouvant des boucs émissaires à Bruxelles, à Alger ou ailleurs, et laissait ainsi le chemin libre aux hérauts de l’Infini. En futur calife, la meneuse de revue ne cessait d’invoquer la grandeur passée d’un pays millénaire, au nom de Charles Martel et du Vieux Maréchal, pensant que son plan de carrière allait finalement réussir, après des années de vaches maigres.

L’Infini se marrait d’avance car il avait déjà connu ça trente ans en arrière et avait toujours su s’adapter. Le temps tournait en sa faveur.





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