B1g Tom

Date 25-09-2015 19:20:00 | Catégorie : Nouvelles confirmées


B1G T0M


T0M roula jusqu’à la station de réapprovisionnement indiqué sur les cartes G00G1E. Il gara son quatre roues sur le parking, plein à cette heure avancée comme chaque samedi après midi, puis traina son énorme carcasse métallique jusqu’au comptoir.
— Je vous préviens, il y a de l’attente, lui lâcha l’hybride en charge du service aux clients.
— Je ne suis pas pressé, on a le temps, répondit T0M.
— Rentrez, ordonna le cerbère tout en appuyant sur la commande d’ouverture du sas.

L’androïde s’exécuta. La procédure de décontamination démarra, dans un concert de pistons et de lances, une sorte de symphonie pour tuyauterie et ventilateurs. A la fin de la première étape, celle dédiée aux isotopes et autres éléments radioactifs, KA7KA, l’intelligence artificielle en charge du nettoyage, posa les inévitables questions administratives.
— Provenance ?
— Secteur Quatre.
— Durée ?
— Trois mois.
— Motif ?
— Extraction minière.

KA7KA cliqueta. Le sas s’illumina de tons jaunes puis la douche électromagnétique à faible flux commença. Peu adepte de ce procédé, T0M frissonna, un vieux réflexe probablement hérité du temps où les Humains ressentaient encore la peur et l’angoisse, des dizaines d’années avant l’Hybridation.
— C’est sans danger, précisa KA7KA. Vous devez en avoir l’habitude, depuis le temps ?
— On ne s’habitue jamais vraiment à ce déluge de particules, répliqua T0M.
— Beaucoup de vos congénères me le disent.

T0M pensa à son réapprovisionnement, au plaisir procuré par l’afflux d’énergie neuve, surtout prodiguée par une serveuse à tête de poulpe ou une méduse cybernétique. Il se promit une bonne dose de H2SO4 pour oublier les désagréments d’une procédure obsolète, imposée par des fonctionnaires à face d’ampoule, quand le système solaire était devenu le théâtre du grand n’importe quoi.

KA7KA siffla. Le sas clignota de nouveau, passant du jaune au bleu puis au vert, signe d’une décontamination réussie.
— Terminé, indiqua l’intelligence artificielle.
— Je suis bon pour le service ?
— Vous avez droit aux cinq heures règlementaires.
— Pas plus ?
— Mon collègue vous a prévenu. Il y a beaucoup de clients aujourd’hui. Les files d’attentes sont longues, que ce soit aux pompes à énergie ou aux cuves à électrons.
— Le bar est quand même ouvert ?
— Toujours, tant que vous avez encore des crédits ou une ardoise pas trop remplie.

Le sas s’ouvrit en silence. T0M s’engouffra dans le corridor et se dirigea vers le distributeur de tickets numériques. Il passa au scanner, ouvrit un répertoire de son antémémoire et attendit le verdict de la machine.
— T0M, modèle WA1T3, je présume ?
— En personne !
— Votre numéro d’attente est le 104-12-B03. Il y a trois heures de queue.

T0M accepta le ticket numérique puis se dirigea vers le bar. Désormais, il avait cent quatre-vingt minutes de prétexte pour se gaver de H2SO4 et plus si la chance lui souriait. Il scruta les environs, jaugea la clientèle avant de choisir une place de choix au zinc, en face d’une grande hybride tachetée.
— Une pinte de H2SO4, ma beauté, lança T0M à la serveuse.
— C’est parti !
— C’est quoi ton nom ?
— C1NDY. Et toi, ma brute ?
— T0M.
— Mineur ?
— Oui. C’est si flagrant ?
— Quand on a l’habitude, oui. Quel secteur ?
— Quatre.

C1NDY siffla. T0M sentit la bonne affaire se profiler. Sur Ganymède, le secteur Quatre était réputé pour sa dureté. Rares étaient les androïdes capables de survivre plus de deux mois aux rigueurs du climat local, à la radioactivité ambiante et au capricieux champ magnétique de Jupiter. Ces quelques élus avaient gagné leurs galons de baroudeurs, le sésame pour des joutes sexuelles avec les serveuses les plus chaudes des huit planètes.
— Combien de temps as-tu tenu, T0M ?
— Trois mois.
— Carrément ! J’espère qu’ils t’ont refilé un numéro prioritaire à l’entrée.
— Même pas.
— Décidemment, ces intelligences artificielles sont plaquées toc. Elles ne savent même pas reconnaître un vrai héros d’une pauvre boite en fer blanc.
— Assez parlé de moi, beauté ! D’où viens-tu ?
— Uranus.
— Tu es une étoile de mer ?
— Un connaisseur, à ce que je vois !
— J’apprécie les belles hybrides.
— Et flatteur en plus ?
— J’ai trois heures à tuer.
— Avale ton H2SO4. Je vais servir les autres clients.
— Tu m’abandonnes déjà ?
— J’ai un travail, ma brute. Si tu es sage, je reviendrais discuter avec toi.

T0M regarda C1NDY s’éloigner. Il pensa à ses milliers de petites ventouses et à leur excitant contact sur sa carcasse métallique. Les étoiles de mer lui avaient toujours procuré un plaisir immense, et ce depuis sa première mise en service. Androïde supérieur, mis à jour à plusieurs reprises, T0M n’avait pas toujours travaillé dans l’extraction minière. Avant ça, il avait officié dans l’art de la guerre, cassé des têtes d’Humains rebelles, découpé des hybrides félons et rasé des colonies de petits gris. Entre chaque mission, T0M s’était fixé un point d’honneur à perfectionner ses aptitudes sexuelles, une fonction secondaire de son système d’exploitation, avec tout ce qui ressemblait de près à de l’intelligence organique. Le résultat de ses longues recherches sur le terrain s’était résumé à quelques rares espèces compatibles avec ses capacités sensitives. En tête du classement trônaient les ineffables étoiles de mer, suivies loin derrière par les méduses modifiées à coups de gènes de pieuvre puis les différentes versions d’un croisement improbable entre la limace à bouche bleue et la seiche australienne. Les autres hybrides, en particulier celles à dominante humaine ou mammifère, le laissaient définitivement froid.

T0M examina, par simple curiosité, le reste de la clientèle. Tout le monde avait un point commun : se réapprovisionner en énergie, qu’elle soit neuve, comme dans le cas des androïdes supérieurs, dégradée ou fractionnée. Depuis l’Hybridation et les guerres solaires, manger des êtres vivants était formellement interdit. Tout contrevenant subissait automatiquement, suite à un procès sommaire, la peine capitale sans possibilité de recours ou d’appel. Les Humains avaient assez mal accepté la nouvelle règle du jeu, eux les fanatiques du découpage en tranches et de l’élevage en batteries. Les réfractaires s’étaient alors lancés dans un long voyage vers les mondes extrasolaires, parqués dans des nefs gigantesques, plongés dans une stase de plusieurs centaines d’années, soumis aux aléas du bond spatial et au calcul différentiel des navigateurs automatiques. Les autres, des sages selon T0M, avaient accepté les modifications génétiques, remplacé leur estomac par des capteurs à électrons et muté leur intestin en centrifugeuse, pour finalement devenir une espèce différente.

T0M ne vit aucun rival, nul explorateur de classe sept ou de trader en matières premières, personne capable de lui soulever C1NDY au dernier moment, sur un coup de dés ou un malentendu. Tous étaient venus dans cette station de réapprovisionnement pour refaire le plein, prolonger leur espérance de vie d’une douzaine d’années, se donner les moyens de poursuivre dans une vie de dur labeur. « De bons travailleurs, honnêtes, sans autre ambition que la biture au H2SO4 et les jeux télévisés du samedi soir » pensa-t-il, rassuré.

C1NDY revint enfin, plus étincelante que jamais, brillant de ses mille ventouses. T0M décida d’enclencher la seconde, une vieille expression humaine conservée bien au chaud dans son répertoire et destinée à une population de serveuses triées sur le volet. Il commanda une double pinte de son nectar favori, gratifia la belle étoile de mer de son plus beau sourire métallique puis se lança à la conquête de sensations oubliées par des générations d’androïdes avant lui.




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