L'arrivant VI

Date 12-07-2012 15:50:00 | Catégorie : Nouvelles confirmées


L'arrivant VI

Je poussai le caddie à l'extérieur, en le retenant pour qu'il ne descende pas trop vite sur la rampe. JF ouvrit le coffre pour permettre à l'employé de supermarket de ranger nos achats dans le coffre.
Désormais la nuit était totale, et à ce moment la route était bien encombrée comme chaque soir, c'était l'heure des retours chez soi.
Dés notre arrivée devant la grille Marcel vint nous faire la fête mais il était seul.
"Gaston, Gaston !"
Inquiet Rodéric avait filé vivement sous l'escalier pour s'assurer de la présence du nouvel arrivant.
" Ben pourquoi tu viens pas nous dire bonjour, Gaston, t'as peur de papa ?"
Dans la maison lumières et télé étaient allumées mais en faisant le tour du haut canapé je ne vis pas Matthieu.
Évidemment, je savais où regarder pour le trouver.
Comme je m'y attendais il était accroupi dans le coin du bahut. Appuyé au mur, assis sur ses talons, sa tête dépassait à peine derrière la table, il chuchotait discrètement au téléphone.
" Matthieu raccroche tout de suite, ça fait combien de temps que tu téléphones ?"
JF était très en colère, sa voix forte contrastait avec le ton bas de Matthieu. Les notes de téléphone faisaient partie des factures que nous redoutions le plus.
Malgré nos réprimandes, aucune menace, aucun raisonnement, ni punition n'avaient jamais réussi à convaincre nos adolescents de se montrer raisonnables et à réduire leur longues confessions, litanies de secrets ou déclarations susurrés durant des heures. Il m' était arrivé souvent, en entrant dans la pièce, d'entendre murmurer tout bas : "merde ! v'la ma mère !"
C'était un incessant sujet de conflit, c'était irritant mais sans fin.
"Qui met la table ? "
Virginie, Florian et Sacha se mirent au travail, Clhoé qui avait une relation plutôt distante avec les tâches ménagères, était plantée, debout devant la télé, et écoutait les informations.
La belle présentatrice tahitienne annonçait le programme du soir.
"Nous verrrrons ce soir Mr le prrrésident de la rrrépublique et le prrremier ministrrre jouer aux carrrtes , ils ferrront une parrrtie avec les jourrrnalistes "
Tout cela dit avec le goûteux accent tahitien si traînant et en roulant fortement les R.
Je restai la main en l'air, la bouche ouverte, les couverts entre les doigts.
JF ne sut retenir son étonnement.
" Mais qu'est-ce que c'est que cette connerie ?"
"JF, s'il te plaît, sois poli, les enfants sont là , mais qu'est-ce qu'elle raconte ?"
Toutes les têtes s'étaient tournées vers l'écran.
" Ils serrront tous rrréunis ce soirr pourrr carrrtes surrr table qui commencerrra à 19h 30 aprrrès le journal télévisé d' inforrrmations"
" Attends !! c'est un gag ou quoi ?"
"Mais non maman tu vois bien qu'elle rigole pas, elle est con c'est tout et elle va se faire virer"
"Matthieu ! mais sois poli, nom d'une pipe !!!"
L'éclat de rire de JF et celui de Clhoé explosa et fut vite suivit des rires de virginie, Florian et Sacha.
Ces trois, que nous appelions, avant la naissance de Rodéric, les trois petits, et que nous désignions depuis, par habitude, toujours sous le même nom, avaient eux aussi compris la cocasserie de l'annonce.
Matthieu et moi n'avons pas ri immédiatement tant nous étions stupéfaits.
Mais quand me vint l'image du président de la république française tapant le carton à la télé, avec son ministre, à ce moment là, le fou rire me plia en deux pour un bon moment.
Le téléphone sonna très vite, Geneviève était au bout du fil.
" vous avez entendu ?"
Et voilà c'était parti pour faire le tour de l'île.
L'île où être fiu était autorisé, devint aussi celle où dire n'importe quoi à l'écran, n'est pas non plus un motif de renvoi, car en dehors d'une superbe engueulade notre belle présentatrice n'eut pas plus d'ennui.
C'est vrai que ces gens sont gentils, quand on dit que Tahiti est un paradis, ce genre d'anecdote, à mon avis le confirme.
Elle s'est trompée, bon et alors ,! l'ignorance est humaine, n'est-ce pas ?
Cette pauvre présentatrice ne savait pas, et alors ? c'est pas si grave ! Et puis c'est marrant, non ?
Depuis notre arrivée nous avons vu, cette décontraction, cette grande compréhension, cette infinie tolérance, se manifester partout et en tout.
Les rires ont continué longtemps.
Le journal télé venait de se terminer et le présentateur chinois entamait maintenant comme presque tous les soirs l'habituelle litanie quotidienne des avis de recherche des enfants égarés dans l'île, des enfants qui divaguaient à leur guise de famille en famille.
La place des enfants dans la société maori avait de quoi surprendre pour un "Farani". c'est à dire pour un Français.
L'enfant à en Polynésie un statut particulier, il est vu d'une façon tout à fait différente de la nôtre, nous occidentaux formatés par une civilisation issue de la religion chrétienne et d'une administration dominante, et cette différence est un choc culturel pour beaucoup de français qui en sont peu ou prou désemparés lorsqu'une jeune fille enceinte leur propose, candide, "tu veux pas un enfant ? je te donne le mien ?
Il faut savoir qu'ici l'enfant n'appartient pas aux parents, les enfants sont l'avenir de la société, les enfants donc appartiennent à tous et à personne.
Pour mieux comprendre il faut retourner en arrière dans le temps où le peuple Maori vivait sur le mode communautaire, en autarcie sur son île et que le devenir du peuple était une affaire commune.
Si des parents ne veulent ou ne peuvent élever des enfants, ils les donnent. Si ils n'en ont pas ils peuvent demander autour d'eux, et dans ce cas une famille qui a beaucoup d'enfant va leur en donner, c'est à dire leur confiera un ou deux enfants à éduquer, c'est selon;
Si un enfant veut vivre dans une autre famille, pas de problème, il demande et il va vivre dans la famille qu'il choisit.
Nous en avons eu une illustration avec le Jardinier de Mahina. Celui-ci avait 7 enfants. Bon, jusque là on peut suivre facilement.
Mais cela se complique quand on sait que sous son toit où vivaient ses enfants, la fratrie se composait de trois enfants qui étaient de lui et de sa femme, deux qui étaient , l'un de sa sœur et l'autre de son cousin, puis aussi un enfant qui était d'un ami et sa femme, d'autre part Il avait trois de ses enfants qui vivaient chez deux de ses frères, et une fille qui était maintenant à sa voisine. Il considérait apparemment sans problème que ceux-ci n' étaient donc plus ses enfants mais ceux des parents adoptants.
L'attachement à l'enfant, les responsabilités envers celui-ci ne dépendaient en rien de la maternité ou de la paternité biologique.
Vaiatea qui habitait Huahine, étant enceinte me déclara un jour, sans aucune contrariété, sans l'ombre d'un regret :
" Si c'est une fille je la donnerai à ma sœur, elle n'a que des garçons et moi j'ai déjà deux filles "
C'était si étrange pour moi, pour nous tous les "farrrani", lorsque nous entendions à Tahiti et dans les îles, des personnes nous demander si nous connaissions quelqu'un qui donnait un enfant.
Si on ajoute à ces coutumes celle de l'indivision territoriale on comprenait l'épouvantable casse-tête que cela représentait pour les employés de l'administration française qui s'arrachaient les cheveux devant la complexité des cas à résoudre. En effet, il faut savoir que la coutume voulait que l'on construisit sans autorisation, son fare sur le terrain d'un frère, d'un cousin, d'un ami, terrain qui se révélait de plus être la propriété dune famille ou d'un groupe familial !! Comment gérer un tel mic-mac que vivait librement les tahitiens était un casse-tête chinois pour nos pauvres employés de l'administration, ici, nos bureaucrates n'étaient pas à la fête, ils tentaient vainement de mettre de l'ordre dans un véritable brouillamini et avaient bien du mal à gérer la complexité des relations dues aux coutumes séculaires que la république s'ingéniait à tenter de respecter.
Les assiettes étaient vidées, la télévision fonctionnait en sourdine, toute la famille était assise autour de la table dans la nuit noire et chaude.
Le bruit de l'océan chantait loin là-bas, dans une maison voisine des chants Tahitiens venaient jusqu'à nous, assise au milieu de ma nichée je subissais un charme qui me visitait souvent : les bavardages s'éloignaient de moi, je rentrais dans mon "quant-a-soi", dans ma rêverie ... face à moi l'ombre sombre du pic rouge n'était qu'une silhouette, une lumière mystérieuse scintillait chaque nuit sur son flanc, comme une énigme insondable, je n'avais jamais, malgré mes recherches en plein jour, découvert d'habitation à cet endroit.
Et pourtant combien d'heures ai-je passé, aidée d'une paire de jumelles, à fouiller la végétation abondante de cet endroit.
Qu'il y avait-il dans ce lieu inaccessible ? Qu'est-ce qui brillait à cette hauteur ? Je m'éloignais seule dans mes pensées oniriques et fabuleuses, j'étais dans mes songes, dans mon envol...
Rodéric venait de prendre son "pipine", son chien de peluche qui avait déjà bien souffert et était recousu partout, et s'accrochait à moi, je le pris dans mes bras, sur mes genoux, il était très lourd, tout rond et tout doux.
Je le serrai contre moi en le balançant lentement, je lui chantonnai mon habituelle chanson idiote, rengaine qui berce :"câlin le chien, câlin le chien " je plantai mon nez dans ses cheveux, Je le reniflai comme une chienne fait avec son chiot. j'avais toujours ressenti un désir puissant quand je tenais ainsi mes petits, je les respirais, les sniffais et sous le coup du plaisir, je serrais les dents.
Je sentis sur moi le regard moqueur de JF qui était toujours aussi surpris devant mon comportement d'animal. Je me régalais de l'odeur de mes enfants, je savais que aveugle je les aurais, sans coup férir, reconnus entre tous, rien qu'à les sentir.
Je regardai mes deux aînés, mes grands chéris, ils me manquaient tant, je réclamais souvent des câlins, des bisous, et bien sûr, je me faisais rabrouer sans douceur, mais c'était ainsi, j'apprenais à être la maman d'adulte libre.
"Dis maman pourquoi la télé ne demande pas où sont les papas et les mamans des chiens, pourquoi ils ne cherchent pas la maman et le papa de Gaston ? "
"Excellente idée mon fils, on va y penser"
La réponse de JF était ironique mais cela échappait à Rodéric que je serrais dans mes bras.
"Oui mon bout d'homme, ce serait une bonne idée, demain, je vais chercher la famille de Gaston, c'est promis "

Loriane Lydia Malevile





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