L'empereur et la femme à journée

Date 14-02-2016 10:00:00 | Catégorie : Nouvelles confirmées


Réponse au défi d'Arielleleffe :


Les derniers visiteurs viennent de quitter le musée. Les employés éteignent les ordinateurs, rangent leur caisse dans le coffre et saluent Anne qui pénètre dans l’immeuble enterré, à l’image d’une tranchée géante. La femme se dirige vers le réduit où est stocké le matériel de nettoyage. Elle enfile sa blouse bleue arborant le logo d’une célèbre agence d’intérim, chausse ses crocs roses et attrape l’aspirateur grand format. Son passe lui ouvre l’accès à l’étage inférieur où se trouve l’exposition du Mémorial 1815. Consciencieusement, elle aspire chaque recoin avant de s’armer de chiffons pour effacer les milliers de traces sur les vitrines et les écrans interactifs.
Elle pénètre dans le couloir exhibant les mannequins des soldats en uniformes d’époque lorsqu’elle aperçoit une silhouette avancer lentement dans sa direction. Elle marmonne : « Fourte alors ! Ch’est qui c’flamîn ?
– M’sieur ! Les heures ed visite, ch’est fini ! Faut sortir !

L’ombre se rapproche sans bruit. Lorsqu’elle est à quelques mètres, Anne peut distinguer un homme de taille modeste avec un chapeau sombre et une tenue militaire blanche et bleue. Son regard de glace fixe la femme de ménage, surprise par la transparence de cet être sorti d’une autre époque.

– Vous… vous pouvez pas rester !
– Je suis ici chez moi ! Christelle le sait, elle !
– Ch’est qui c’te Christelle ?
– Celle qui fait votre boulot d’habitude.
– Ah ! Elle est malad’. Elle tousse fort.
– Oh Seigneur ! Elle a attrapé la tuberculose. C’est un fléau !
– Oui peut-être ! Cha existe pus. Elle a chopé le coryza.
– Quel est ton nom, servante ?
– Servante !? Non, mais restez poli, Môsieur ! Mi, j’suis technicienne de surface. Ch’est écrit sur min CV.
– Quoi ? Je ne savais pas qu’il eût fallu une quelconque technique pour attaquer les sols et la poussière. Je peux vous en parler, moi, des techniques et tactiques de guerre.
– Mi j’aime de nettoyer. J’suis femme d’ouvrage comme in dit ichi. J’m’prénomme Anne et vous ?
– Quoi ? Vous ne me reconnaissez pas ? Mais vous êtes ici dans un musée consacré à mes œuvres, ma vie, mes conquêtes et ma terrible défaite.
– T’es un echt dikkenek, ti ! Mi, j’suis nin trop musée. Alors, ch’est quo vot’ p’tit nom ?
– Napoléon. Inculte femme !
– Quo min tchul ? Laichez mes fesses où elles sont sinon j’appelle Gégé, min mari, et y va vous botter les vôt’ comme qui faut, tout Môsieur Napo qu’vous êtes.
– Bon, on va se calmer. Je ne suis pas d’humeur ce soir. Nous sommes le dix-huit juin, une date que j’exècre du plus profond de mon âme. Ah ! Si je n’avais pas perdu sur ce champ de bataille, j’aurais conquis le reste de l’Europe.
– Allez dis ! Et j’aurais été franquillonne ! Clette ! Arrête ed braire sur ta déconfiture. Vive la Belgique et les pommes de terre frites, comme disot min grand-père. Bon, faut qu’in arrête de babeler sinon j’vos d’voir gazer. Va hanter un peu ailleurs min Léon ou alors j’te file un torchon et tu reloquètes avec mi.
– Je te laisse à tes basses occupations. De toute façon, notre conversation est stérile. Je préfère Christelle. Au moins elle a de la culture.
– Oh, vous chavez, la culture ch’est comme el confiture, moins in en a, pluch in l’étale. Faites pas c’te trombine d’interremint ! M’enfin, pour un qu’est frô d’puis des années, ch’est putôt normal !
Et sur cette phrase, Anne part dans un fou rire qui résonne dans tout le musée. L’empereur défunt s’éloigne en soufflant et en hochant de la tête de dépit.
– Je ne m’habituerai jamais à l’humour de ces belges !




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