Un musée d'art et de traditions populaires insolite

Date 14-02-2016 17:00:00 | Catégorie : Nouvelles confirmées


Cette nouvelle est ma réponse au défi de notre amie Arielleffe du 13 février 2016 :

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Nous sommes le 10 juillet 1974. Ce jour-là, mon cher père, connaissant ma passion de l’histoire, a le désir de me faire visiter un musée d’art et de traditions populaires très original.
Pris par un désir obsessionnel auquel il pouvait être soumis parfois, il me dit :

- Jacques, veux-tu aller voir un musée très original, perdu au fond de la Franche Comté ?
- Papa, si c’est pour aller voir un musée où se battent en duel trois cailloux immémoriaux, quelques ruines romaines et une foultitude d’objets divers ayant appartenu à quelques anciens vertueux et célèbres, je préfère une ballade en forêt.
- Je te trouve bien méchant à son sujet sans savoir de quel musée il peut s’agir !
- Papa, j’ai la sensation qu’en enfermant les œuvres dans un musée, on les fait mourir une seconde fois. Autant leur faire vivre leur véritable destin, les faire disparaître. Elles appartiennent au passé ; elles doivent demeurer dans le passé !
- Jacques, bien au contraire, en les replaçant au milieu de nous, on les fait redevenir vivantes. Les beautés doivent être admirées. Ce sont des œuvres intimes, des objets, des légendes, des chants qui parlent à notre cœur, qui doivent inspirer notre présent et construire notre futur.
- Tu sais bien que je préfère ce qui est original, nouveau, insolite. Alors qu’y a-t-il d’insolite dans ce musée ?
- Eh bien, ce musée est le résultat d’une véritable passion de deux êtres merveilleux pour leur terroir, Albert et Félicie Demard, qui, depuis 1957, sont partis à la recherche d’objets et de mobiliers, témoins de l’histoire des femmes et des hommes de la France rurale du XIXème siècle et du début du XXème siècle.
- C’est sûrement intéressant Papa. Peut être que les voir en photos pourrait suffire !
- Ce qu’il y a de particulièrement original en ce lieu c’est que toutes ces œuvres sont présentées dans des décors reconstitués. Ainsi sont proposés aux visiteuses et aux visiteurs de ce musée des lieux communautaires : une salle de classe, une épicerie, un café, des échoppes d’artisans travaillant le cuir, le chanvre, le fer, la dentelle… Tu pourras y voir aussi une représentation des métiers ambulants, comme le rétameur et le rémouleur. Et puis, il y a des salles amusantes, l’une illustrant la médecine populaire, l’autre le colportage et même la contrebande. Ainsi, tu pourras te voir dans les œuvres ainsi admirés.
- Que veux-tu dire Papa ?
- Tu pourras te reconnaître dans quelques unes des œuvres admirées. Les admirer, les aimer, mon fils, te conduira à découvrir de nouveaux pôles d’intérêt, à acquérir de nouvelles connaissances, à ressentir ce que nos anciens ont voulu nous transmettre pour nous ouvrir à de nouvelles inspirations.
- Je comprends : ce musée nous propose des scénettes de vie. Ce musée nous propose un monde du passé vivant. Allons y alors !
- Et une dernière surprise nous attend !
- Ah là, tu sais toucher ma corde sensible, Papa !

Nous quittons la maison familiale de Maison Dieu, à 13h30, de mémoire. Mon père ne me dit toujours pas où nous allons. Pour accroître l’effet de surprise, je dors dans la CX pendant tout le trajet, jusqu’à notre destination finale.
Alors que mon père gare la voiture, sur un parking, en ouvrant les yeux, je vois se dresser devant moi un magnifique château d’époque classique, le château de Champlitte, devenu le musée d’art et de traditions populaires de la Franche Comté.

Image originale



Nous passons, l’un et l’autre, devant ce château grandiose et emblématique de l’art du XVIIIème siècle. Nous admirons à la fois la puissance du bâtiment central flanqué de deux ailes en retour et le style épuré de la façade qui lui donne un caractère très intime.
Nous rejoignons Albert et Félicie Demard dans leur logement situé dans l’aile gauche du château. Ce que j’ignorais encore, c’est que nous attendait également l’abbé Demard, leur fils, que mon père avait rencontré au Mexique, à San Rafaël, dans la province de Vera Cruz, lors de son dernier voyage.
Ils s’embrassent l’un et l’autre. Cette intimité m’intrigue. Je croyais connaître mon père ; il ne m’avait pas habitué à de tels élans confraternels.
Je manifeste mon étonnement dont sourient à la fois l’abbé Demard et mon père.

Mon cher Papa lui dit alors :
- Jean Christophe, je suis venu avec mon fils Jacques, passionné d’histoire, qui désire visiter votre musée. J’ai pensé qu’une visite faite avec toi serait plus riche.

Après avoir pris un second café offert par Félicie Demard, nous partons visiter ce musée avec un guide prestigieux qui nous fit revivre chaque scénette avec une chaleur et une intimité telles que nous eûmes la sensation d’être à la fois dans le passé et dans le présent.
Chaque pièce nous raconte son histoire avec force et douceur tout à la fois. De pièce en pièce, des mannequins aux visages expressifs, vêtus de costumes d’époque, nous plongent dans la réalité de la vie rurale de cette époque. Il nous apparaît réellement que nous vivons au milieu d’eux.


Image originale


Comme me l’avait si bien dit mon cher Papa, nous découvrons les ateliers des artisans qui travaillent le cuir, le chanvre ou encore la dentelle. Nous sommes des compagnons au milieu d’eux, désireux d’apprendre tous ces beaux métiers.
Dans la salle de classe, nous accueille un vilain garçon, coiffé d’un bonnet d’âne. Le sourire aux lèvres, mon cher Papa me dit à l’oreille droite :
- Ne serais-ce pas toi ?

Nous continuons la visite avec le Père Jean Christophe Demard. Il nous invite à prendre quelques médicaments dans la pharmacie ou tous les flacons sont étiquetés avec délicatesse. On y trouve tous les ingrédients utiles à la fabrication d’onguents, de pilules et d’élixirs.

La visite se poursuit par la rencontre des métiers ambulants. Avec humour, l’abbé Demard nous fait rencontrer l’arracheur de dents. On y voit un personnage arracher quelques dents à un pauvre bougre, dans une ambiance sanguinolente, avec beaucoup de réalisme.
Alors que je prends un plaisir évident à visiter toutes ces pièces, le suspens augmente quand j’entrevois dans les chambres suivantes un décor mexicain, semblable à celui que nous proposent nos parents dans l’une ou l’autre pièce de notre maison.

J’interroge l’abbé Demard :

- Père, il ne s’agit pas là de traditions locales, où alors dans un autre espace-temps.
- Oui et non ! C’est devenu la tradition de quelques habitants de Champlitte, répondit-il, amusé !
- Je ne comprends pas, lui dis-je !
- Laisse le Père Demard te raconter l’aventure mexicaine de quelques habitants de Champlitte.
- Eh bien voici l’histoire de la culture mexicaine de Champlitte. En 1831, Stéphane Guénot, ex-payeur de l’armée française, après s’être fait naturalisé mexicain, avait acquis dans un endroit appelé Jicaltepec une propriété de douze lieux carrés de terre. Ce socialiste admiratif de Charles Fourier souhaitait fonder une communauté agricole et industrielle et travailler dans le domaine de l’éducation. Pour mettre en valeur ces terres, il revint à Dijon pour fonder la compagnie franco-mexicaine et convaincre des actionnaires et des colons. De venir s’y implanter. Apprenant la famine qui avait résulté, à Champlitte, de la disparition de la vigne détruits par les gelées successives, il vanta la fertilité des terres ainsi acquises au Mexique et incita quelques uns des habitants de Champlitte à venir s’y installer. 80 personnes débarquèrent au Mexique en septembre 1833, puis 134 personnes, en juin 1835, venant d’ici mais aussi de Trouhans, en Bourgogne, chez vous. Après avoir connu maintes difficultés, la colonie devint prospère à partir de 1827 jusqu’en 1861. Les relations entre les Français et les Mexicains devinrent cordiales. Ils firent le commerce du sel et la culture de la vanille, du tabac et de la canne à sucre. En 1861, la communauté connut un épisode tragique : sur 600 habitants, 300 meurent de la fièvre jaune. Après cette date et pour des raisons de sécurité, la grande majorité de la population passa le fleuve Nautla pour s’installer sur l’autre rive et fonder le nouveau village de San Rafael, en souvenir de leur bienfaiteur, Rafael Martinez de la Torre. Cet avocat mexicain a revendu aux Français, à un prix modeste, les terres qu’il avait acquises dans cette région. Le premier mexicain qui revint à Champlitte et renoua les liens fut Paul Capitaine en 1956. Des liens se tissèrent à nouveau, alors qu’ils s’étaient distendus pendant le temps des révolutions mexicaines, qui aboutirent au jumelage de la Haute-Saône, et bien sûr de Champlitte, avec San Rafael-Jicaltepec-Nautla. Voilà en quelques mots notre histoire commune.
- Quelle histoire étonnante. Et c’est à San Rafaël que vous avez rencontré mon Papa !
- Oui, ton Papa avait appris qu’il existait un village bourguignon au Mexique. Et nous nous sommes croisés sur la plaza mayor de San Rafaël !
- Ce fut providentiel, lui dis-je.
- Oui, je le crois. Nous devions nous rencontrer, me répond le Père Jean Christophe Demard.

Avant de nous quitter, nous buvons le thé chez Albert et Félicie Demard.
Au moment de remonter dans la CX, Jean Christophe Demard et mon père se promettent de se revoir l’année suivante au Mexique.

Jacques Hosotte



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