L'arrivant VIII

Date 15-07-2012 16:30:00 | Catégorie : Nouvelles confirmées


L'arrivant VIII

Clhoé s'était approchée de moi, Rodéric s'accrocha à mon cou et soudain il était dans mes bras. Il coucha sa tête sur mon épaule.
"Tu ne te rendors pas bonhomme, on est très en retard"
Il était plus de 6 Heures, nous étions restés longtemps à contempler cette scène merveilleuse et à se réjouir du spectacle.
"Allez, la douche, on déjeune et on se prépare vite, Matthieu s'il te plait tu peux cueillir la papaye qui est mure ?"
"Attends Matthieu, ne descends pas, j't'aide"
Partrick redescendait en quelques enjambées les escaliers, il attrapa le tronc du papayer et le pencha jusqu’à ce qu'il toucha le bord de la rambarde.
"Tiens Matthieu attrape"
Matthieu se pencha à peine, il allongea son bras et détacha la plus grosse des papayes.
Excellente idée, car le papayer avec son long tronc sans branche et taché comme un corps de serpent, ne facilite pas la récolte de ses fruits excellents mais hauts perchés et qu'on nous consommions régulièrement au petit déjeuner.
Nous les aimions toujours arrosés d'un filet de citron vert, citrons verts cueillis eux aussi dans le jardin, ainsi que les avocats, dont la chair nous offrait la matière grasse du petit matin.
"Geneviève, Patrick, vous déjeunez avec nous ?"
" Oui d'accord, je vais faire le thé, tu as du pain au congél ?"
Geneviève était déjà en train de s'affairer dans la cuisine, Clhoé apportait les bols, les trois petits étaient partis sous la douche.
""Je prépare les croissants"
JF avait sorti la pâte à viennoiserie toute prête pour les croissants, et avec l'aide de Patrick il commençait à les rouler et leur donner la belle forme de ce délice apprécié des petits et des grands. La savoureuse odeur de croissants chauds n'allait pas tarder à se répandre dans la cuisine et sur la terrasse
"Je vais me doucher"
Rodéric toujours dans mes bras refusa tout net de descendre, quand je le saisis pour le poser sur le sol, il hurla comme un pauvre enfant que l'on va abandonner.
C'est donc en siamois, serrés l'un contre l'autre que nous primes la douche, nos peaux étaient collantes et paraissaient poisseuses au toucher.
L'humidité des tropiques humidifiait nos peaux sans répit et faisait friser mes cheveux plutôt raides à l'origine, sur le sol français.
Je frottai Rodéric et lui me frottait, mais si moi je m'appliquai à ne pas oublier une partie de son petit corps, lui en revanche me savonnait et me frottait toujours au même endroit.
La mousse de monoï parfumait si fort la salle de bain, que l'odeur venait jusqu'à la chambre attenante.
"Tu sens bon maman"
"Toi aussi mon bébé chéri"
L'eau était froide, car il n'était pas prévu d'eau chaude dans cette douche là et ce n’était vraiment pas un problème.
"Vite, vite, tout le monde est en retard, Geneviève tu prends une ou deux mains de bananes, et tu peux en donner à qui tu veux, je t'ouvre le garage en descendant "
D'accord, j'en emmènerai aussi au travail, mais c'est quoi ce chien dans le jardin ?
"C'est un nouvel arrivant qui s'est invité tout seul, si tu trouves comment il est entré ici dis le moi, et il bouffe comme quatre en plus, je vais à la radio pour passer une annonce et le donner "
"Mais il a beaucoup faim maman ! Geneviève, Geneviève, il s'appelle Gaston et il a perdu ses parents, peut-être qu'il veut aller chez toi "
"Je ne peux pas le prendre Rodéric, tu sais on est jamais là"
Rodéric regardait Geneviève rêveur
La table débarrassée, tout le monde était déjà en route.
Je roulai lentement dans les rues de la ville remplie d'une foule riante, où l'on pouvait voir qui, encore en long pagne de danse et soutien gorge en noix de coco, qui en paréo vif, qui en tenue de fête en tapa, tous portant leurs couronnes et les colliers de fleurs et déambulant tranquillement avec leurs guitares, ou leurs lourds pahu (gros tambours maoris), ou leurs "pu" ( coquillage dans lequel on souffle), ou leurs curieuses flûtes nasales ... Papeete était en fête.
Je me garai rapidement devant le petit groupe scolaire, Rodéric entra en courant dans sa petite école, je dus le rappeler pour avoir mon bisou sans lequel je ne serais pas partie heureuse.
Presque dans le même quartier de Papeete, c'est à dire pas très loin des bureaux du Haut commissaire de la république et du tribunal, se trouvaient les studios de RFO.
J.'arrêtai la voiture devant le bâtiment, sous les grands flamboyants de l'avenue, et au milieu des buissons de fleurs.
La réceptionniste que je connaissais bien, me fit le plus beau des sourires. Elle avait sur l'oreille droite une fleur, non pas de tiare mais d'hibiscus ouverte et bien évidement de la couleur de sa robe, un brillant oranger-rouge. Car le bon goût ici est et sera une coutume respectée, respectée et charmante comme l'est le port de la fleur qui d'autre part obéit à un code précis qu'il est bon de bien connaître, et qui ne sera pas oublié.
J'avais donc appris avec plaisir tout ce qu'il fallait en savoir.
Que le port de la fleur sur l’oreille droite de la vahiné signifie qu'elle est célibataire.
Que si elle est mariée ou fiancée ou que son cœur est pris, elle la portera sur l'oreille gauche.
Que si elle porte deux fleurs, une sur chaque oreille cela signifie que la vahiné est mariée mais malgré tout disponible. Et que si elle dirige la ou les fleurs vers l’arrière, il faut comprendre que sa liberté est immédiate, et qu'elle est disposée à être séduite sans tarder, et voilà qui est important !
Les hommes eux portent la fleur de tiare fermée comme un petit tube blanc, je n'ose dire comme une cigarette.
"Tu viens pourrr ton émission, il est pas là, tout le monde est allé voirrr la Bounty, pourquoi t'es pas allée ?"
Je dégustais depuis longtemps et sans me lasser cet accent tahitien, traînant et musical, qui semblait déguster chaque syllabe avec volupté en faisait longuement rouler les "R", cette gracieuse réceptionniste souriante me parlait avec ce fort accent si délicieux.
"J'avais oublié l'arrivée de la Bounty, non je ne viens pas pour l'émission, tu as gardé la maquette ? mais je viens parce que je voudrais que Anne-Marie, passe une annonce, j'ai un chien qui est venu dans mon jardin, je veux le donner ."
"Je vais lui dirrre, mais il y a perrrsonne ici pourrr le moment. Il y a des marrrins qui sont trrrrès beaux surrr le bateau !"
Elle riait, et me regardait en disant ça comme si elle me parlait d'une pâtisserie qu'elle avait vu. Elle avait un air canaille et gourmand qui ne démentait pas la réputation de ces filles des îles, libres et délurées..
"Ben tiens !" Je riais aussi, je pensais bien qu'elle allait tout faire pour en attraper un, ces femmes sont merveilleuses !"
Je partis aux cours rassurée, je savais que je trouverai certainement quelqu'un pour ce chien, cependant je devrai être très perspicace, car il ne fallait surtout pas que ce malheureux toutou ne finisse sa vie en brochettes dans une assiette.
J'avais eu raison de ne pas m'inquiéter, car je n'eus pas à attendre bien longtemps.
Juste cinq heures plus tard, alors que je venais de rentrer avec Rodolphe et que je préparais le déjeuner; le téléphone sonna. J'interrompis mes tâches cuisinières pour répondre et donner notre adresse à mon correspondant
Ce candidat à l'adoption d'un chien, habitait à l'opposé de Papeete, il était en manque d'un compagnon.
Nous décidâmes rapidement d'un rendez-vous, nous nous mîmes d'accord pour nous rencontrer à la maison l'après-midi même.
Pour éviter tout drame je choisis l'heure à laquelle Rodéric ferait sa sieste.
Et voilà tout est réglé, je revins le coeur léger à la cuisson de mon uru.
J'avais oublié l'arrivée de la Bounty, mais en mettant au menu du jour un Uru, on peut dire que je faisais preuve de façon tout à fait involontaire, d'un véritable esprit d'à-propos.
Car c'est ce fruit, le fruit de l'arbre à pain, qui est à l'origine de l'expédition du fabuleux trois mâts qui avait pour mission de rapporter de ces Îles isolées dans l'immense pacifique, des plants de ce bruit afin de nourrir plus aisément, c'est à dire à moindre prix la grande masse d' esclaves africains prisonniers sur les terres américaines.
Le "uru" , fruit de l'arbre à pain était donc l'objet e la traversée de ce navire et de son équipage venus de l'Angleterre coloniale et dont l'épopée fameuse fût a l'origine de quelques romans tout d'abord puis de films dont le succès se poursuit deux cents ans après les faits.
En 1789 Joseph Banks, un naturaliste, proposa, pour nourrir sans frais les nombreux esclaves victimes du commerce triangulaire, de se rendre dans ces îles perdues au milieu du Pacifique, dans le but d' y prélever puis ensuite acclimater aux Antilles, des arbres à pain dont il avait vu les tahitiens se nourrir lors de son voyage sur l'Endeavour.
Ce fruit, presque aussi gros qu' une pastèque, que l'on cuit et consomme en légume, a une chair qui ressemble à la mie de pain, d'où son nom de fruit à pain, qui se dit uru en polynésien.
Cette chair peut-être blanche, ou presque jaune, sèche ou plus grasse et plus ou moins goûtue selon les variétés.
Comme pour tous les légumes il existe bien sûr une grande variété de recettes mais j'avais ce jour l'âme paresseuse, j'étais un peu "fiu". Donc je décidai de le cuire le plus simplement possible.
Pour cela nul besoin d'une abondante batterie de cuisine, pas trop de vaisselle à faire.
Car la préparation est simple, on ne peut plus, simple puisqu'il suffit de déposer le uru entier et dans sa peau, sur la flamme du gaz, en le tournant régulièrement pour le cuire de tous côtés.
Le plus difficile étant d'être assez adroit pour ne pas se brûler les doigts.
Puis quarante minutes environ plus tard, lorsque le uru vert est devenu tout noir, le feu éteint, on l'épluche sur un plat, en séparant la chair de la peau avec le manche plat d'une cuillère.
Il faut procéder en introduisant le manche dans la peau et en la repoussant par bande en un mouvement de levier.
Plus simple ? non il n'y a pas .
Le Uru déshabillé, posé sur l'assiette était au milieu de la table. C'était un Aravei, un de ceux que nous préférions. Nous le mangerons avec l’incontournable boite de puno puatoro. nom local du corned beef.
Ce plat est le pique-nique préféré des Tahitiens, il est lié pour toujours dans nos mémoires, aux nombreuses journées sur la plage, à Huahine, Bora-bora, Moorea, Tahiti ou à Tahaa et Raiatea.
Ces deux dernières, sont deux magnifiques îles, deux fameuses sœurs jumelles couchées dans le même lagon, comme deux enfants dans la même matrice.
Le pique-nique avec un uru est si simple, Il convient juste de le cueillir sur place, dans un arbre alentour et d'allumer un feu sous les branches. Puis une fois le uru dégusté, accompagné de poisson fraîchement péché et grillé ou de viande en conserve, il suffit pour terminer son repas d'aller chercher son dessert en flânant sous les arbres et d'y décrocher un fruit. Il y a toujours, pas loin, un manguier, un corossol, un mape qui offre ses amandes.... Et pour finir cet intermède paradisiaque, une fois restaurés, le ventre bien plein nous allons rassasiés, nous coucher sur le sable de la plage pour dormir un peu avant le bain dans le lagon.
J'avais entendu les mobylettes et peu de temps après les voix des trois petits.
" Matthieu... Clhoé ... Florian ...Sacha ... Virginie..., Matthieu, Clo ...
"Stop, Rodéric ne crie pas comme ça, j'ai entendu, allez les enfants un bisou et à table tout le monde"
La grande table de la terrasse rassemblait la famille.
"Maman, Il va déménager Gaston ?"
"Peut-être, on verra, mais je crois bien que oui "

Loriane Lydia Maleville




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