Grève (défi du 2/04)

Date 09-04-2016 19:14:34 | Catégorie : Nouvelles confirmées


Réponse au défi d'Arielleffe :
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Lucie regarde la femme assise à sa droite. Celle-ci est avachie sur la banquette de bois, les yeux clos, la bouche entrouverte. Son corps est recouvert de tatouages gothiques et ses bras portent les marques de consommation de drogues dures. Face à elle, une dame d’un autre genre : robe moulante à l’extrême, maquillage marqué et talons aiguille. Lucie a l’impression de connaître ce visage. Serait-ce Camille, la fille la plus populaire de sa classe de rhéto ? Elle se destinait à embrasser une carrière dans le marketing. N’aurait-elle trouvé que son corps comme marchandise en embrassant des hommes à la chaîne ? Comme le regard de Lucie se fait un peu trop insistant, elle lui balance :

– Tu veux ma photo pour remplacer la tienne sur Facebook ?

La jeune fille baisse les yeux et rougit. « Mais comment en suis-je arrivée là ?! ».

Lucie a commencé son contrat de remplacement il y a un mois. Elle preste comme assistante sociale dans un CPAS wallon. Ce poste fut à pourvoir après la lourde chute d’une employée lors de ses vacances au ski. Les rumeurs disent qu’elle en aurait au moins pour six mois, cela ferait bien l’affaire de Lucie qui espère que cette convalescence sera aussi longue que celle de Schumacher.

Après les attentats du 22 mars 2016 en Belgique, le Ministre de l’Intérieur, Jan Jambon, pondit une idée un peu folle, mais qui fut validée par le Ministre de l’Emploi, Monsieur Peeters, à savoir débaucher les assistants sociaux des administrations pour les lâcher dans les quartiers de Molenbeek afin de servir à la fois de pacificateurs, de négociateurs et d’enquêteurs. Ce projet se basait sur l’idée que les travailleurs sociaux ont cette capacité à apaiser les esprits, trouver des solutions d’intégration des marginaux et sont relativement bien acceptés dans les milieux défavorisés ou sensibles. Le gouvernement avait hésité entre les assistants sociaux et les prêtres. Mais ces derniers étant en voie de disparition et leur identité religieuse pouvant poser problème, il se rabattit vers sa première idée. Les divers syndicats du pays appelèrent donc à la grève les assistants sociaux, considérant qu’ils n’étaient pas suffisamment formés pour cela et qu’il y avait un risque élevé pour leur sécurité. Il est de notoriété publique que les belges ne soient pas les plus soucieux en la matière, mais tout de même ! Envoyer une majorité de femmes dans l’arène, il fallait oser.
C’est ainsi que Lucie fut embrigadée dans une manifestation de grande envergure dans la capitale Bruxelloise. Toutes ses collègues ne lui avaient pas vraiment laissé le choix. Soit elle tenait le service à elle seule, soit elle se joignait à elles ! Faire face seule à un afflux d’une centaine de personnes par jour n’était pas envisageable. De plus, son père, soixante-huitard, l’avait encouragée à se battre pour ses idées. Arborant une jolie casquette rouge, Lucie défila dans les rues en criant le slogan « Jambon, gare à tes fesses ! » ou encore « Peeters, ça va péter ! ». La marche fut longue et fatigante. Peu à peu, des hommes à la casquette rouge avec la publicité d’une célèbre marque de bière belge s’intégrèrent dans le cortège. Lorsqu’ils furent une trentaine, ils se mirent à sortir des battes de base-ball de leurs manches et s’attaquèrent aux voitures et vitrines environnantes. Les forces spéciales de la police ne tardèrent pas à intervenir et procédèrent à l’arrestation d’une partie des manifestants dont Lucie, malgré ses véhémentes protestations qui lui valurent un coup de matraque.

La grille s’ouvre et on appelle la jeune fille. Celle-ci quitte, sans regrets ses compagnes de cellule. Un inspecteur à la barbe de trois jours se pose devant elle.

– Alors, on se la joue rebelle, ma belle ?
– Non, vous vous trompez ! J’ai été embarquée par erreur.
– Tout le monde me dit ça !

Lucie ne peut s’empêcher de fondre en larmes.

– Allez, allez ! Vous avez de la chance car il y avait des caméras de surveillance dans cette artère. On vous y voit bien en train… de ne rien faire !

Lucie pousse un soupir de soulagement.

– Mais vous comprenez bien que votre manifestation ne nous arrange pas. Si vous, assistants sociaux, refusez cette mission de pacification de Molenbeek, ce sont nos policiers qui devront être envoyés au front.
– Mais… c’est normal ! Vous êtes formés pour cela, pas nous !
– Ne prenez pas tous les policiers pour des gros durs, nous sommes sensibles aussi.
– Oui, mais vous avez des armes et des gilets pare-balle. Nous on a un stylo et notre sourire.

Lucie fut libérée. Le projet « lâcher d’assistants sociaux » fut abandonné. Les policiers prirent donc le relai, avec le renfort de l’armée belge. En un mois, tous les logements de la commune Molenbeekoise furent fouillés, les réseaux terroristes furent démantelés et les assistants sociaux purent continuer leur boulot en toute tranquillité. Lucie se vit proposer un nouveau contrat au retour de la skieuse malchanceuse. Avec cette arrestation, elle est devenue un peu l’héroïne du service, elle, la gréviste malgré elle, surtout en arborant un œil au beurre noir à son retour au boulot. Son père fut très fier d’elle.




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